Comprendre les Anglais

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Voici deux ans que je vis en Angleterre. Le livre de Jeremy Paxman, « The English » (Penguin Books 2008) m’a aidé à pénétrer les codes d’une société très proche mais aussi très différente de la France.

Sous le titre « Anglais et pas si fier de l’être », le supplément Education du Times avait publié en 1997 le résultat d’une enquête menée auprès de 850 jeunes français et anglais de 10 et 11 ans sur leur attitude à l’égard de leur pays. Seuls 35% des jeunes anglais se disaient très fiers de leur pays. Interrogés sur les raisons d’être fiers, les anglais répondaient des choses comme « il ne fait ni trop chaud ni trop froid, notre eau et notre nourriture sont saines… les Anglais sont solides et en bonne santé… nous sommes un pays indépendant… Manchester United vient d’Angleterre ». Les enfants français, par contraste, se disaient fiers de leur pays à 57% et parlaient de « notre beau pays », « parce qu’on est libre », ou disaient des choses comme « nous sommes tous égaux ». L’un écrivit même « car la France est un pays magnifique et démocratique et accueillant ».

Jeremy Paxman voit dans cette enquête le résultat de l’auto-intoxication des élites anglaises qui ne cessent depuis la fin de la seconde guerre mondiale de répéter que leur pays « va aux chiens ». Mais elle exprime surtout l’allergie de la culture anglaise aux idéologies et aux extrémismes : « dès l’âge de 10 ans, les enfants anglais avaient développé les compétences pragmatiques, de style question réponse, qui caractérisent la tradition intellectuelle anglaise, alors que leurs homologues français récitaient une foule de slogans préfabriqués ».

Les Anglais ont un problème d’identité que relève justement Paxman : alors que les Ecossais, les Irlandais et dans une moindre mesure les Gallois sont conscients de leurs caractéristiques propres et sont attachés à leurs symboles nationaux, l’identité anglaise est comme dissoute dans l’identité Britannique, celle d’un empire autrefois formidable mais aujourd’hui disparu. Mais il s’agit davantage d’une difficulté à formuler les traits caractéristiques de cette identité que de l’identité elle-même, qui est très forte. Paxman la fait remonter à la création de l’Eglise d’Angleterre par Henry VIII, une Eglise de convenance née pour couvrir un divorce, nullement « protestante » par nature, une Eglise pragmatique, confortable et accommodante. Mais cette Eglise traduisit la Bible en langage vulgaire et sculpta ainsi deux caractéristiques indéracinables : l’individualisme, c’est à le droit de chacun à sa propre vérité, jusqu’à l’excentricité ; et la passion pour les mots. Celle-ci se révèle dans le fait que l’industrie du livre britannique publie plus de 100.000 titres par an, plus que toute l’industrie américaine, dans le fait que le pays produit plus de journaux par tête d’habitant que presque n’importe où sur la terre, dans le flux ininterrompu de courriers des lecteurs, dans l’appétit inépuisable pour les puzzles verbaux, anagrammes, Scrabble, quiz et mots croisés, dans la vitalité du théâtre britannique, dans les marchés du  livre d’occasion dans la moitié des villes du pays. « Les livres sont une monnaie nationale », concluait un ambassadeur à l’étranger aujourd’hui retiré.

Jeremy Paxman plaide pour que l’Angleterre cesse de regarder le passé et déchiffre son identité aujourd’hui. Il cite un discours de John Major en 1993 au Parlement en défense de l’Europe : « Dans cinquante ans, la Grande Bretagne sera encore un pays avec de longues ombres portées sur les terrains communaux, de la bière chaude, des banlieues d’un vert invincible, des gens amoureux des chiens, et – comme l’écrit George Orwell – de vieilles servantes se rendant à la sainte communion en bicyclette dans la brume du matin ». Mais d’où venait donc ce charabia ? demande Paxman. Où trouve-t-on encore aujourd’hui de veilles servantes pédalant à l’aube pour entendre la messe ? L’Angleterre est devenue un pays multiculturel, riche de design et de finance, un pays où des institutions éternelles comme le mariage s’avèrent périssables. Il faut dès lors qu’elle s’invente un nouveau nationalisme tourné vers l’avenir et « fondé sur les attitudes d’esprit qui font de la culture anglaise ce qu’elle est : individualisme, pragmatisme, amour des mots et, par-dessus tout, ce glorieux et fondamental entêtement.»

 

Ma mère disait tu ne devrais jamais

Le théâtre de Watford donne jusqu’au 17 octobre une pièce de Charlotte Kealey produite pour la première fois à Manchester en février 1987 sous la direction de Brigid Larmour. C’est de nouveau Brigid Larmour, devenue directrice du Watford Palace, qui en assure la mise en scène.

« My Mother Said I Never Should » parle du destin de femmes au vingtième siècle. Les quatre personnages sont féminins : Doris, née vers 1900 dans une famille ouvrière du nord de l’Angleterre ; sa fille Margaret, mariée après la seconde guerre mondiale à un Américain ; sa petite fille Jackie, artiste dans le mouvement hippie des années soixante-dix ; Rosie, son arrière petite fille qui va avoir seize ans.

Sur la famille planent deux secrets : Doris a connu la honte d’être enfant illégitime ; Rosie a été confiée par sa mère Jackie à Margaret, elle considère Jackie comme sa sœur et Margaret comme sa mère.  Les quatre femmes, chacune en son époque, ont du tracer leur chemin. Doris a épousé Jack, n’a jamais vraiment rien partagé avec lui, mais s’est découverte affectionnée à lui le jour où il est mort. Margaret a fini par divorcer de Ken et par prendre un travail alimentaire de sténo dactylo. Jackie, fille de Margaret, a du lui abandonner Rosie, fruit d’un amour de passage, un jour d’immense détresse et pour pouvoir mener sa carrière d’artiste. Rosie finit par haïr celle qu’elle croit sa sœur et qui est sa mère. Aux côtés de Doris, elle devra dépasser la haine et s’assumer : la dernière scène de la pièce la montre réussissant enfin un Solitaire, le nom du jeu étant en lui-même tout un programme !

Le plateau est un plan incliné dépouillé où alternent des scènes appartenant à diverses époques. Les comédiennes jouent successivement leur rôle à différents âges de la vie. Certaines scènes sont déchirantes, comme celle où Jackie abandonne Rosie à Margaret et celle où Margaret, morte d’un cancer, traverse la scène lentement en chantonnant, comme un spectre. D’autres scènes sont drôles et le public de lycéennes venues assister au spectacle ne boude pas son plaisir.

C’est du bon théâtre, profondément humain, qui raconte des histoires personnelles au sein de  la grande Histoire.

 

 

 

Ellen MacArthur change de vie

La navigatrice Ellen McArthur, 33 ans, vient d’annoncer qu’elle ne cherchera pas à regagner le record du tour du monde à la voile en solitaire et va désormais militer pour un mode de vie respectueux de la planète, « sustainable living ».

Il y a peu de personnalités également populaires des deux côtés de la Manche. Je pense spontanément à Jane Birkin pour la chanson et le cinéma, à Arsène Wenger et Thierry Henry pour le football. Ellen MacArthur est de celles-là. Son duel avec Francis Joyon pour le record du tour du monde à la voile a passionné les opinions publiques britannique et française : 71 jours pour elle en 2005, 14 jours de moins pour lui l’an dernier. Les 80 jours de Phileas Fogg étaient pulvérisés.

« Ce monde, dit Ellen, dont, enfant, je pensais qu’il était le plus grand, le plus aventureux endroit que l’on puisse imaginer, n’est pas si grand. » Il faut, dit-elle, prendre conscience de ce que nos ressources sont limitées. « Quand vous naviguez à bord d’un bateau, vous prenez avec vous le minimum de ressources. Vous ne gaspillez rien. Vous ne laissez pas la lumière allumée ; vous ne laissez pas un écran d’ordinateur allumé. Et vous vous rendez compte de ce que sur la terre vous prenez ce que vous voulez. Vous ne feriez pas cela à bord d’un bateau. Si vous avez besoin d’un rouleau de papier de cuisine, vous déchirez un coin, pas un carré entier. Mais quelqu’un quelque part a pensé que tout le monde avait besoin d’une ligne perforée. »

Le Sunday Times (4 octobre 2009) évoque l’enfance d’Ellen et son rêve d’océans. « Elle était d’une certaine façon coincée puisqu’elle vivait loin de la mer au milieu du Derbyshire, de sorte que son bateau était au fond du jardin la plus grande partie de l’année. Elle s’asseyait simplement dedans imaginant la vie sur les vagues. »

Ellen imagine maintenant la vie dans un monde libéré de l’insouciante gloutonnerie.