Sorry!

Ayant la chance de vivre depuis deux ans en Angleterre, je tiens la chronique de mes étonnements.

Dans les rues d’une ville anglaise, il y a une règle d’or : ne pas stationner sur les trottoirs. Les droits des piétons sont sacrés. Comme le stationnement unilatéral n’existe pas et que les rues sont généralement étroites, circuler en voiture relève du gymkhana. On se glisse d’un créneau à l’autre en faisant assaut de courtoisie à l’égard des conducteurs venant en face, eux aussi anxieux de ne pas passer pour les goujats motorisés.

Dans les campagnes anglaises, les routes sont souvent si étroites qu’on ne peut s’y croiser. Comme elles sont souvent bordées de talus, de murs et de haies, la visibilité est restreinte. Lorsqu’on se trouve brutalement face à face avec un autre véhicule, l’un d’entre eux doit reculer souvent de plusieurs centaines de mètres pour laisser le passage. On fait alors assaut de sourires et de signes amicaux.

Dans le métro comme dans les routes, les Anglais sont habitués à des situations de foule où l’on risque à tout moment la collision, que l’on évite de justesse, courtoisement et avec un mot magique : « sorry ! »

D’où viens-tu ? Où vas-tu ?

Vivant depuis deux ans au Royaume-Uni, je tiens la chronique de mes étonnements. Parfois, l’usage de la langue est différent d’un pays à l’autre.

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Pour indiquer que l’on a compris la logique qui sous-tend l’idée d’un collègue, un français dira : « je vois où tu veux en venir ». Un anglais : « I see where you come from », je vois d’où tu viens.

Les Anglais semblent fermement enracinés dans leur patrimoine culturel. Les Français se projettent spontanément dans l’avenir. D’un côté le pragmatisme et le souci de composer avec la réalité pour la transformer. De l’autre, les idées qui mènent le monde.

Trop souvent, des points de vue différents engendrent des antagonismes stériles. Lorsqu’ils sont vécus comme des apports complémentaires, l’entreprise s’enrichit des différences.

Grande Bretagne : Chronique d’étonnements

J’ai la chance de vivre depuis près de deux ans à Watford, à 30km au nord-ouest de Londres. Voici ma chronique d’étonnements.

 Ophélie

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En cette belle dernière journée d’été, nous marchons le long du Grand Union Canal à Watford puis nous traversons la rivière Gade. Un attroupement s’est formé sur le pont qui enjambe la rivière. Une jeune femme est prise sous l’objectif d’un photographe. Il s’est avancé dans le lit de la rivière et l’eau lui arrive aux mollets. Elle porte une robe de mariée et est allongée dans le courant, sa longue robe flottant et vibrant à la surface. La scène fait penser au tableau Ophelia du peintre préraphaélite John Everett Millais (1851 – 1852) représentant Ophélie noyée dérivant sur un plan d’eau au milieu des plantes aquatiques. Le sens de la scène, aujourd’hui, nous échappe.

Dutilleux

L’auditorium du Barbican joue à guichets fermés un concert symphonique de Debussy, Dutilleux et Ravel par le London Symphonic Orchestra sous la direction de Valery Gergiev. J’admire cette ville de Londres capable de remplir des salles de concert quelques jours seulement après la clôture des « Proms », la série de quatre-vingts concerts estivaux de la BBC. Les applaudissements chaleureux après l’exécution du concert pour piano « L’arbre des songes » d’Henri Dutilleux se transforment en ovation lorsque le chef d’orchestre désigne un vieil homme assis dans l’assistance. Le compositeur lui-même, malgré ses quatre-vingt treize ans, est venu écouter la représentation de son œuvre. Extraordinaire City, capable de produire de si rares moments !

Grippe A

En France, la consigne est : « si vous sentez des symptômes de grippe, consultez votre médecin généraliste (payant) ». En Grande Bretagne, c’est « n’importunez pas votre general practioner (gratuit), consultez le site Internet de la grippe et téléchargez vos ordonnances ! » De ce côté de la Manche, la médecine est gratuite. Elle est général dépréciée par les expatriés français. De mon côté, j’admire son caractère fondamentalement démocratique et sa recherche du maximum de service au moindre coût.

Transhumance d’un agent secret

Le livre de William Boyd, « Restless » (Blommbury 2006) raconte le destin d’un agent secret britannique pendant la seconde guerre mondiale, sa disparition après avoir été trahie et sa vengeance.

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 En ce chaud été 1976, Ruth Gilmartin habite près d’Oxford avec son fils âgé de cinq ans, à proximité de sa mère Sally. Celle-ci lui révèle que son existence de veuve anglaise sans histoire cache un passé insoupçonnable. Elle est en réalité d’origine russe, s’appelait Eva Delectorskaya avant de devenir agent secret au service de la Grande Bretagne pendant la guerre. Eva / Sally entend que Ruth l’aide à régler un compte avec un homme qui l’a obligée à plonger dans la clandestinité et à vivre pendant des dizaines d’années une vie inquiète, sans cesse obsédée par la crainte que quelqu’un vienne la chercher et la tuer.

Eva travaillait sous la direction de Lucas Romer dans un service chargé de produire de la contre-information pour servir les intérêts de la Grande Bretagne. En 1941, il s’agissait d’obtenir de Roosevelt que les Etats-Unis entrent en guerre contre l’Allemagne. Tous les moyens sont bons : dans le rôle d’une journaliste, Eva séduit un haut fonctionnaire et le fait photographier en flagrant délit d’adultère. Romer affirme qu’il y a trois raisons pour lesquelles on trahit son pays : l’argent, le chantage et la vengeance. Les photos d’Eva feront chanter le fonctionnaire qui se montrera un ardent partisan d’un engagement actif de son pays aux côtés de la Grande Bretagne.

Le service de Romer a fabriqué de toutes pièces une fausse carte de l’Amérique latine redécoupée en macro-Etats contrôlés par l’Allemagne : cette fois, les Nazis sont aux portes des Etats-Unis ! Chargée de porter cette carte à des agents au Nouveau Mexique, elle échappe de peu à la mort en tuant son agresseur (d’un coup de crayon noir planté dans l’œil !) et découvre qu’elle a été trahie. Elle s’échappe au Canada, travaille pour le Gouvernement sous une fausse identité, réussit à se faire muter à Londres. Les bombardements lui donnent l’occasion de brouiller définitivement les pistes : elle se glisse dans l’identité de Sally, une jeune fille de 24 ans, comme elle, disparue avec toute sa famille. Elle cherche méthodiquement un homme qui lui permettra de vivre une existence anglaise banale, et le trouve en la personne de Sean Gilmartin.

Trente quatre ans plus tard, il reste à Eva à organiser un ultime face à face avec l’agent double qui a organisé la désastreuse équipée du Nouveau Mexique et a cherché à la faire taire définitivement, elle l’unique personne capable de prouver que cet homme couvert de gloire avait travaillé pour une puissance étrangère. Eva sort victorieuse de cette confrontation.

Pourtant, elle ne trouve pas la sérénité. Habituée toute sa vie à se cacher, à vérifier et contre-vérifier son environnement, l’inquiétude est devenue pour elle une seconde nature. Elle continue à attendre que quelqu’un l’emporte. Mais n’est-ce pas, se dit Ruth, notre commune condition de mortels ? Quelqu’un, un jour, viendra nous chercher sans retour.