La fête du gras

L’alimentation est probablement devenue un marqueur de classe plus discriminant que la montre que l’on porte ou la voiture que l’on conduit.

 Professeur de surf au Cap Ferret, Frédéric observait que, sur la plage huppée où il exerce, tout le monde est mince. En contrepartie, il observait que dans la station plus socialement mêlée de Maubuisson, autour des cabanes à frites dénommées « chez ProutProut » ou, de manière audacieuse « Au fin gourmet », c’est la « fête du gras ». Hamburgers, chichis, hotdogs, sodas apportent leur dose de calories et de graisses au moindre prix.

 Les Rolex et les Porsche Cayenne marquent certainement l’appartenance au club des possédants. Mais tous les riches ne pratiquent pas l’ostentation. S’alimenter sainement, se maintenir en forme, garder la ligne est probablement devenu un indicateur plus sûr d’appartenance à l’élite que la possession d’objets de valeur.

 Illustration : affiche du film « Super size me de Morgan Spurlock, qui dénonçait en 2004 la « malbouffe ».

Banlieue londonienne

Une heure passée dans un bus entre Harrow on the Hill et West Hampstead offre une jolie tranche de vie de la banlieue londonienne.

 Durant le week-end, plusieurs lignes de métro londoniennes sont suspendues pour travaux. Je mettrai deux heures et demies ce dimanche pour me rendre de Watford au centre de Londres, dont une heure d’autobus de remplacement de Harrow on the Hill à West Hampstead.

 Dans le bus se trouve représentée la diversité des races et ethnies qui caractérise la banlieue de Londres : des Indiens et Pakistanais, des Africains, quelques Européens. Deux femmes obèses assises en face de moi parlent et rient bruyamment, entre elles et au téléphone. Deux jeunes italiennes ravissantes sont debout et la jolie musique de leur langue me rend nostalgique. Un homme noir entre au bras de son père, un homme âgé et aveugle.

 Nous longeons des milliers de maisons, chacune semblable à ses voisines, chacune avec son petit espace devant, souvent utilisé pour stationner les voitures, chacune avec son long jardin étroit du côté cour. En l’espace de quelques centaines de mètres, on passe d’un quartier aisé, façades ravalées, massifs de fleurs, rideaux aux fenêtres, à des taudis venus tels quels de l’urbanisation massive du début du vingtième siècle.

 Dans la rue principale des communes, on trouve des restaurants de multiples nationalités et, lorsqu’on s’éloigne un peu du centre, des échoppes minuscules que l’on croirait transférées de Karachi ou Nairobi.

 De retour à Watford par le train, j’assiste à un concert donné par un groupe folk d’une dizaine d’instrumentistes et chanteurs dans le kiosque à musique qui jouxte la bibliothèque municipale.

 Photo « transhumances » : maisons à Richmond

Proms 2011

Les concerts promenade de la BBC, « Proms », constituent probablement l’événement culturel le plus important de l’été à Londres.

 Samedi 23 juillet, BBC2 programme un concert « Proms » donné quelques jours auparavant au Royal Albert Hall. L’orchestre philarmonique de Radio France dirigé par Myung-Whun Chung joue le Sacre du Printemps de Stravinsky. En première partie, le violoniste Renaud Capuçon et son frère cadet de cinq ans Gautier, violoncelliste, interprètent un concerto de Brahms. C’est un moment inoubliable. Gautier semble plus extraverti, plus flamboyant. Il est pourtant attentif au moindre mouvement de son frère, et c’est visiblement l’aîné qui mène. Leur émulation les conduit aux portes de la perfection, et bien au-delà de la simple émotion. Interviewés à leur sortie de scène, ils diront combien ils se sont sentis portés par le public, un public si nombreux qu’il semblait infini.

 J’assiste quelques jours plus tard, au Royal Albert Hall, à un concert. Un autre soliste français, le pianiste Jean-Efflem Bavouzet, interprète un concerto de Bartók. En seconde partie, le London Philarmonic Orchestra donne « Une Symphonie de Faust » de Franz Liszt, dont on célèbre le bicentenaire de la naissance. C’est une œuvre magnifique dont les trois parties tournent autour des personnages du drame de Faust : le docteur Faust lui-même, Gretchen et Méphistophélès. Lorsque ce dernier semble triompher, un ténor accompagné d’un chœur d’hommes chante un choral mystique qui marque la victoire finale de l’âme de Gretchen.

 L’immense espace du Royal Albert Hall et son organisation en une demi douzaine de niveaux de gradins et de loges pourraient condamner le lieu à la médiocrité musicale. C’est au contraire un lieu d’excellence. Au centre de l’ellipse, juste devant les musiciens, « l’arène » est réservée aux spectateurs debout. Ils sont là quelques centaines, des jeunes couples enlacés, des personnes âgées luttant contre les douleurs musculaires, la plupart debout, certains accroupis sur le sol, tous fascinés par la musique. L’arène a quelque chose de religieux. Elle évoque pour moi l’église de toile de Taizé dans les années soixante dix, lorsque la fervente communion dans l’attente d’une révélation rendait doux l’inconfort.

 Les musiciens sont excellents, comme sont excellents le chœur et le chef d’orchestre, comme le sont aussi les techniciens. J’admire le travail des cadreurs de la télévision, se faufilant avec leurs énormes caméras, choisissant la meilleure prise de vue en hauteur et en profondeur, suivant un script préétabli et anticipant les mouvements de la musique. Cette chronique, commencée à l’occasion d’une émission de télévision, s’achève par un hommage de sa capacité à se mettre au diapason de l’excellence des Proms.

 Photo The Guardian : Renaud et Gautier Capuçon au Royal Albert Hall.