Biutiful

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Javier Bardem a été primé à Cannes et nominé aux Oscars pour son rôle dans le film Biutiful de Alejandro González Inárritu.

Dans le Barcelone souterrain et interlope, Uxbal vit de trafics illicites. Il sert d’intermédiaire entre des ateliers clandestins chinois, des dealers africains et des chefs de chantier avides de main d’œuvre sans statut. Il fréquente assidument les funérailles et transmet aux vivants, moyennant rétribution, les dernières paroles des défunts.

Uxbal est confronté à la mort de manière plus personnelle. Le cimetière où il est enterré son père va être rasé. On exhume le corps. Comme il a été embaumé, Uxbal demande à le voir. Il est confronté à un homme vingt ans plus jeune que lui, un père qu’il n’a jamais connu et qui n’a pas vieilli en même temps que lui.

Uxbal apprend qu’il a un cancer généralisé et qu’il ne lui reste que quelques semaines à vivre. Il tente de remettre sa vie en ordre. Mais sa vie est un désastre. Pour soulager des immigrés chinois vivant dans des conditions inhumaines, il leur fait apporter des chauffages au gaz, mais cette bonne intention provoque leur asphyxie et leur mort. Les africains vendeurs à la sauvette d’objets de contrefaçon sont arrêtés et déportés dans leur pays d’origine. Il accepte de cohabiter de nouveau avec son épouse Marambra (Maricel Alvarez), mais celle-ci, alcoolique et nymphomane, est violente à l’égard de leur jeune fils.  

Ses deux enfants, une fille au seuil de l’adolescence et un petit garçon, sont le vrai trésor d’Uxbal. Il tente de les protéger de la cruauté et du désespoir ambiants, de les encourager à découvrir le côté « biutiful » du monde, de rêver à la neige dans les Pyrénées toutes proches. Il espère qu’Ige (Diaryatou Daff), une sénégalaise qu’il a sauvée de la déportation et à qui il laisse des liasses de billets, les prendra en charge après sa mort. 

Biutiful est un film glauque et difficile, parce qu’il parle de réalités que nous ne voulons pas regarder, parce que le langage cinématographique d’Inárritu est cru et violent et parce que Bardem, dans le rôle d’un truand au cœur tendre au bout de sa vie, est pathétique et sublime.

Photo du film Biutiful.

Au-delà du Crash

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Dans Beyond The Crash (Simon & Shuster, 2010), Gordon Brown raconte la crise financière et expose ses propositions pour l’avenir de l’économie mondiale.

La première partie du livre est consacrée à la narration au jour le jour des événements intervenus de septembre 2007 au sommet du G20 convoqué à Londres en avril 2009. Il raconte la crise financière et la réponse coordonnée par les gouvernements pour éviter la répétition, probablement en pire, de la récession des années trente. La couverture du livre donne la tonalité de ce chapitre : en première page, une photo de Gordon Brown dans une posture de penseur digne de Rodin ; en page 4, une photo du Premier Ministre britannique s’exprimant au micro alors que, un pas derrière lui, les présidents Obama et Sarkozy l’écoutent respectueusement. On retrouve là ce mélange d’intelligence aigue, de conviction qu’il a sauvé le monde et de maladresse qui font le charme de Gordon Brown. Sur le fond, il a probablement raison : le premier, parmi les chefs d’Etat occidentaux, il comprit que le problème était de recapitaliser les banques pour réduire l’effet de levier, et pas seulement de leur fournir des liquidités. « All I need is overnight finance » (la seule chose dont j’ai besoin, c’est de la trésorerie à un jour) lui dit le patron d’une des principales banques britanniques. En réalité, la situation de son bilan est si désespérée qu’il n’y aura d’autre solution que de la nationaliser.

Le sous-titre du livre est « dépasser la première crise de la mondialisation ». Gordon Brown craint une décennie de faible croissance en occident et de développement du chômage, avec ses conséquences dévastatrices pour les personnes et pour le lien social. Au long des vingt dernières années, un rééquilibrage massif s’est produit : l’industrie s’est déplacée vers les pays émergents, et plus seulement celle qui utilise une main d’œuvre non qualifiée. Mais les pays occidentaux ont continué à consommer. Ils se sont endettés auprès des pays émergents, qui ont accumulé des réserves considérables.

En bon keynésien, Brown s’inquiète de l’insuffisance de la demande globale. Les pays occidentaux doivent réduire leur endettement et restreindre la capacité de crédit de leur système financier. Mais la Chine, par exemple, ne consomme que 3% de l’activité économique mondiale. Est-il possible que la Chine, l’Inde, l’Afrique, compensent le déficit de consommation de l’Amérique et de l’Europe et permettent de revenir à des taux de croissance qui permettent de réduire le chômage en occident et la misère dans les pays émergents ? Brown ne croit pas que la réorientation d’une partie des économies émergentes de l’export vers la consommation intérieure permette par un simple effet mécanique de produire la croissance annulée par le désendettement. Mais il est convaincu qu’un plan de croissance mondiale décidé et géré par une structure comme le G20 permettrait d’accélérer la transition vers une économie mondiale plus équilibrée. Une meilleure maîtrise du risque de change international ou du cours des matières premières éloignerait par exemple le risque d’une guerre des exportations et d’un repli protectionniste.

« Il y a quelques années, quand les économistes imposaient aux plus pauvres pays du monde les politiques de libre échange les plus dogmatiques, ils utilisaient l’argument « Tina » : there is no alternative, il n’y a pas d’alternative. Mais les pays africains proposèrent leur propre acronyme : non pas Tina mais « Themba » : there must be an alternative, il doit y avoir une alternative. Dans ce cri, Themba, nous entendons tout ce qui doit nous guider aujourd’hui, parce que ce n’est pas seulement un acronyme, c’est aussi le mot zoulou pour la chose la plus importante qu’un être humain puisse avoir : l’espoir ».

Revisitant Adam Smith, lui aussi citoyen écossais, Gordon Brown propose de revenir à l’économie politique, c’est-à-dire à une conception de l’économie où le marché a toute sa place, mais pas toute la place.

Sculpture Britannique Moderne

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La Royal Academy of Arts présente jusqu’au 7 avril une exposition consacrée à la sculpture britannique moderne.

Disons-le franchement, l’exposition est décevante. On peine à trouver un réel fil directeur, par exemple du pompeux monument pour le jubilée de la Reine Victoria d’Alfred Gilbert à la « zone fumeur portable » de Sarah Lucas (1996). On a l’impression d’une juxtaposition d’œuvres d’intérêt inégal, rassemblées ici parce qu’elles se trouvaient disponibles. Les commissaires de l’exposition ont aussi pris le parti de considérer la photographie comme un sculpture, ce qui est contestable.

Il y a naturellement des choses intéressantes. La seconde salle fait se côtoyer des œuvres du vingtième siècle et des sculptures de civilisations anciennes de la collection du British Museum. On y découvre une étrange harmonie au-delà des siècles et des civilisations. « La mère et l’enfant » de Charles Wheeler (1926) est d’une grande beauté.

Au centre de l’exposition figurent une figure couchée d’Henry Moore et le monolithe sculpté en 1961 par Barbara Hepworth pour célébrer la mémoire du Secrétaire Général de l’ONU Dag Hammarskjöld. Nous avons eu l’occasion de visiter les musées en plein air consacré à ces deux artistes, Perry Green dans le Hertfordshire pour Moore, St Ives en Cornouailles pour Hepworth.

La massive statue « Adam » de Jacob Espstein (1940) impressionne par l’énergie sexuelle et spirituelle qu’elle dégage, au point de rendre la confrontation presque gênante pour le spectateur. C’est aussi de la gêne, en même temps que de la fascination, que ressent le visiteur devant l’installation de Damien Hirst, Let’s Eat Outdoors Today (1990 -1991). Sous une vitrine se trouvent un barbecue et une table de pique-nique abandonnés par leurs occupants. Les reliefs du repas sont en décomposition. Des milliers de mouches volent autour de la scène. Si le but de la sculpture est de susciter des émotions autour de la vie et de la mort, il faut reconnaître que, sur le versant macabre, l’objectif est atteint.

Illustration : Damien Hirst, Let’s Eat Outdoors Today (1990 -1991), dans www.niuzy.com

La Religieuse Portugaise

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A Londres, la critique accueille avec enthousiasme la sortie du film d’Eugène Green, la Religieuse Portugaise, tourné en 2008.

Nous avons vu « La Religieuse Portugaise » le lendemain du « Cygne Noir ». A la frénésie hallucinatoire de celui-ci répond la longue méditation mystique de celle-là.

Lucie, une jeune comédienne française avec des origines portugaises (Leonor Balque), vient à Lisbonne tourner un film inspiré de la Religieuse Portugaise, un roman qui narre l’amour impossible d’un officier français et d’une nonne au dix-septième siècle. Elle décide de s’imprégner totalement de l’ambiance de cette ville remplie d’histoire, de nostalgie et de sentimentalité qu’elle ne connait pas. Le film épouse le rythme de sa découverte, les yeux grands ouverts, silencieuse, envoûtée : il y a de longs plans sur la ville et sur le Tage, de longs plans sur des visages qui trahissent une émotion ou sur des pieds hésitants, des fados filmés sans coupure dans l’émotion des mots et des guitares.

Lucie est à un tournant de sa vie. Elle vit de passions charnelles et de chagrins. Elle aspire à quelque chose de nouveau. Au détour d’une ruelle, elle rencontre Vasco, un gamin de six ans à l’abandon. Au sortir d’un restaurant, elle se lie avec un aristocrate désespéré, qu’elle sauve du suicide sans presque s’en apercevoir. Elle est fascinée par une jeune religieuse qui, chaque nuit, prie dans une chapelle, le visage radieux. La femme affamée de rencontres physiques et la vierge mystique se parlent d’amour, du Dieu emprisonné au plus profond de leurs corps et dont elles font le siège comme d’une forteresse. On sent, présent dans leur dialogue glacial et brûlant, l’esprit de Thérèse d’Avila.

Les acteurs parlent avec la lenteur, la froideur et la préciosité de personnages de Truffaut. Il y a dans ce film une recherche sur le langage d’autant plus élaborée qu’elle se joue sur deux langues, le portugais et le français, toutes deux parlées de façon soutenue, impeccable jusque dans les liaisons. Eugène Green est un américain qui a fait du français sa langue de travail, au cinéma comme dans la littérature. Il a aussi appris le portugais. De la perfection de la langue de l’autre, les personnages semblent attendre une parfaite altérité, celle de Dieu peut-être.

La Religieuse Portugaise est un film atypique, invraisemblable, lourd de beauté intériorisée. Il nous ajuste à son rythme, celui d’une méditation où Lisbonne n’est pas un décor mais un acteur à part entière. Nous nous sentons peu à peu habités, apaisés, conquis.

Illustration : Leonor Balque dans La Religieuse Portugaise.