Industry Dinner 2011

J’ai évoqué en novembre 2009 dans « transhumances » l’Industry Dinner annuel des compagnies et des courtiers spécialisés en assurance-crédit. L’édition 2011 avait une signification particulière pour moi : la succursale de Coface au Royaume Uni était chargée de l’organisation de cette réunion très attendue.

 Il n’existe rien de semblable dans d’autres pays : les compagnies d’assurance spécialistes de l’assurance-crédit au Royaume Uni et les courtiers se réunissent pour un dîner de gala. Pour les membres du personnel, participer à l’Industry Dinner est perçu comme une promotion. Il y a une forte pression pour accroître d’année en année le nombre des participants : ils sont près de 400 cette année. Nous avons choisi comme lieu du dîner un « big top » (chapiteau) installé au cœur du quartier londonien de Bloomsbury, où se déroulent des événements aussi différents que des tournois de boxe ou des repas de Noël.

 L’événement commence à 19h par un apéritif pendant lequel les participants retrouvent leurs anciens collègues. Dans beaucoup de pays, dont la France, on tend à faire sa carrière dans la même compagnie d’assurance-crédit, et passer de l’une à l’autre est mal vu. Au Royaume Uni, passer d’une compagnie à un broker (courtier) ou à une compagnie concurrente est une pratique normale. Chacun arrive à l’Industry Dinner avec le plaisir de rencontrer des dizaines de personnes avec qui il a travaillé à un moment ou à un autre de sa carrière.

 Le dîner comporte trois figures obligatoires : le discours du patron de l’entité qui organise, un numéro d’humoristes et une vente aux enchères pour une « Charity » (œuvre de bienveillance). Pour animer la soirée, nous avons invité Garry Richardson, un peu l’équivalent de ce qu’est en France Nelson Montfort. Garry a interviewé à l’improviste Bill Clinton un jour de pluie à Wimbledon sur sa pratique du tennis et Nelson Mandela sur la boxe. Aujourd’hui, après quelques anecdotes sur son métier à la radio et à la télévision, il interview une célébrité du cricket, Phil Tufnell. Les deux se livrent à un duel d’humour sportif qui enchante l’auditoire. La Charity est « SkillForce » : des retraités de l’armée britannique, âgés en général de 30 à 40 ans, se reconvertissent dans le soutien scolaire à des jeunes de 14 à 16 ans en difficulté. Plusieurs sociétés présentes ce soir ont offert des lots. Leur mise aux enchères rapportera plus de 15.000 sterlings pour l’association.

 La soirée se clôture au choix par le disco ou le bar. La bière coule à flots. Les inhibitions tombent. Un grand gaillard serre longuement dans ses bras des collègues d’autrefois et pleure sur le temps passé. La dure loi de la concurrence se dilue dans l’alcool et de nombreux secrets habituellement bien gardés circulent dans l’euphorie de ce moment spécial. Comme au football se crée un véritable « mercato » dans lequel demandes et offres d’emploi s’échangent en trinquant à la santé de l’assurance-crédit et des cautions.

 Il y a une vraie diversité et beaucoup de passion dans ce métier. C’est ce que j’ai voulu évoquer dans une parabole adaptée d’une blague française qui, dans sa version originale, mettait aux prises des anciens de l’X, d’HEC et de l’ENA. « Ce week-end, j’ai passé quelques heures au bord de la mer avec trois amis. Le premier était un assureur-crédit intelligent ; le second, un courtier habile ; le troisième, un brillant fonctionnaire, un des inventeurs du « credit insurance top-up scheme » (un schéma de complément d’assurance-crédit mis en place par le gouvernement Brown pendant la crise et qui n’eut pas de succès). Nous étions proches d’un phare. Les trois amis décidèrent de faire un pari : le vainqueur serait celui qui serait capable de donner la hauteur exacte du phare.

 L’assureur-crédit intelligent appela son actuaire au téléphone. Ils utilisèrent leur expérience de pertes avérées, les scores de solvabilité, la perte maximum probable et construisirent un algorithme compliqué. Le résultat fut d’une étonnante précision : 33 mètres et 23 centimètres de hauteur.

 Le courtier habile eut une approche différente, basée sur le contact humain et sur le partage d’une Guinness. Il rendit visite au gardien du phare, parla de ses ancêtres et du golf à St Andrews et lui demanda incidemment la hauteur de son lieu de travail : il mesure 109 pieds et 7 pouces, répondit le gardien de phare.

 Le brillant fonctionnaire ne se sentit pas du tout embarrassé par la performance de ses amis. Sa Majesté, dit-il, me commande d’émettre un décret : le phare doit avoir 50 mètres de hauteur ! »

 Photo : un dîner de gala au Bloomsbury Big Top.

Métro transmanche

La communauté française de Londres est agitée par un ambitieux projet : le métro transmanche.

 L’idée part d’un constat : il y a davantage d’emplois dans la région d’Ashford,  dans le Kent, que dans la région de Calais. Il existe un tunnel reliant les deux régions, qui ne serait utilisé qu’à 50% de sa capacité. Plusieurs rames du TER Nord Pas de Calais seraient disponibles immédiatement pour un parcours Calais – Ashford. Il s’agirait donc de faire circuler une navette de TER entre Calais et Ashford pour acheminer des Français vivant dans le Pas de Calais vers leur travail dans le Kent, et les Anglais possédant une résidence sur la Côte d’Opale vers leur havre de paix.

 L’expression « métro transmanche » est donc par elle-même trompeuse : il s’agirait d’un train régional, la seule analogie avec le métro étant l’usage du tunnel. Lorsqu’on examine la faisabilité d’un tel projet, les obstacles s’accumulent. Qui prendrait en charge le coût d’utilisation de cette infrastructure coûteuse qu’est le tunnel ? Est-on certain qu’il reste 50% de capacité du tunnel aux heures de pointe ? Quel serait le temps de trajet, sachant qu’il est improbable que les mesures de sécurité dans la zone de Sangatte soient allégées ? Combien d’emplois seraient disponibles à Ashford pour des français résidant de l’autre côté de la Manche, et le nombre de voyageurs rendrait-il l’infrastructure justifiable, si ce n’est rentable ? Si des emplois sont vraiment à pouvoir, pourquoi ne pas frêter des autocars dès à présent et utiliser le « Shuttle » transmanche ?

 Le projet est porté uniquement par des Français. Ce n’est probablement pas un hasard. Il n’est pas sûr que les responsables économiques du Kent soient affamés de main d’œuvre immigrée de France. Mais il y a surtout une différence culturelle : s’enthousiasmer pour des grandes idées est une caractéristique de l’esprit français (ce goût de liberté aux peuples étrangers qui donnait le vertige, chantait Jean Ferrat). A un esprit anglais, le projet de métro transmanche semblera sans doute une distraction et une perte de temps.

 Photo : rame du TER Nord Pas de Calais, La Voix du Nord.

Cocktail à Londres

101109_cocktail.1289752555.JPG

Etre invité à un cocktail professionnel à Londres offre une plongée dans la culture anglaise. C’est étonnant et jouissif !

Andrew célèbre son quarantième anniversaire dans l’assurance-crédit. Il a invité les personnes avec qui il a travaillé pendant sa longue carrière, dans l’agence publique de garantie des exportations puis dans des sociétés de courtage, ainsi que des souscripteurs de risques dans des compagnies d’assurance et même des courtiers concurrents. C’est une nouvelle illustration de ce trait si fort de la culture professionnelle en Grande Bretagne : les personnes bougent facilement d’une entreprise à une autre et la communauté de métier est presque plus forte que le lien qui unit les salariés d’une même compagnie.

Les discours du président non-exécutif de la compagnie dirigée par Andrew, puis celui d’Andrew lui-même, sont des merveilles d’humour anglais où l’on pratique l’autodérision de manière d’autant plus outrancière qu’entre les lignes se lit une hagiographie en bonne et due forme.

C’est la participation du public qui frappe. Parfois, quelqu’un place une remarque en contrepoint du discours. Le plus souvent, le propos est accompagné d’onomatopées, « ah ! », « oh ! », semblable aux bruitages faits par les députés à la Chambre des Communes.

J’ai il y a quelques semaines évoqué les dernières paroles que Claire Rayner, la journaliste du cœur récemment décédée, aurait aimé prononcer : « dites à David Cameron que s’il étrangle mon cher NHS (le service national de santé) je reviendrai et le hanterai de mauvaise manière. » Quelques jours plus tard, un député travailliste impertinent profita des questions au Premier Ministre pour lui demander ce qu’il pensait du possible retour du fantôme de Claire. Pendant ce temps les « backbenchers » (députés de base) se livraient à cœur joie à des hululements dignes d’Halloween.

Les esprits chagrins décrieraient un comportement potache. Mais tout est tellement au second degré, dans le refus de se prendre au sérieux, qu’on éprouve un immense plaisir.

Au cours de la soirée, j’ai découvert qu’Andrew n’est pas seulement une figure du monde de l’assurance crédit britannique et européenne, mais un musicologue renommé, spécialiste du compositeur Elgar. Il ne faut décidément pas prendre au premier degré la légèreté du propos et l’autodérision !

Andrew a terminé par une blague, naturellement. Lorsque Gordon Brown inaugura le nouveau siège de Lehman Brothers il y a quelques années, il aurait dit : « ce que vous avez fait pour la City, je le ferai pour la Grande Bretagne ! » Andrew complimentait Gordon pour avoir accompli sa promesse !

Photo transhumances.

Agony Aunt

 

Le décès de Claire Rayner (1931 – 2010) bouleverse le Royaume-Uni. Journaliste du courrier du cœur, elle a aidé des milliers de personnes à surmonter leurs difficultés. Elle était aussi une militante.

Le métier de Claire Rayner était chroniqueuse du courrier du cœur. En anglais, « agony aunt », la tante à qui l’on confie ses tourments. Elle avait commencé comme infirmière en pédiatrie, écrivit des articles et des romans inspirés de son expérience hospitalière et franchit le pas du journalisme en 1962. Au sommet de son activité, travaillant à la fois pour des journaux et des chaînes de télévision, elle traitait 1000 lettres par semaine, s’engageait à répondre à chacune d’elles et employait six secrétaires, un assistant de recherche et un employé postal. « Chaque personne est fascinante, disait-elle. Je ne peux pas résister aux histoires d’autres personnes. Je lis beaucoup – des romans – j’aime les histoires. Les histoires des vies des gens ».

Claire n’avait peur de rien. Elle réussit à convaincre la rédaction en chef du Sun, le quotidien populaire à grand tirage, de s’intéresser aux problèmes des hommes. Sa rubrique sur l’éjaculation précoce, un sujet alors tabou, lui valut 18.000 lettres en une semaine !

Claire était impliquée dans des dizaines d’associations humanitaires. Athée et républicaine dans un pays où ces convictions ne sont guère populaires, elle les affirmait avec force. Atteinte d’un cancer, regardant la mort en face, elle avait souhaité que ses dernières paroles fussent : « Dites à David Cameron que s’il étrangle mon cher NHS (le service national de santé) je reviendrai et le hanterai de mauvaise manière. »  Des journalistes d’ITV remarquaient, le lendemain de son décès, que ce serait plaisant de la voir revenir.

Le mari de Claire a déclaré : « j’ai perdu ma meilleure amie et mon âme sœur. Je suis immensément fier d’elle ».

Ecrit d’après les articles de Suzie Hayman, John Plunkett et Roy Greenslade dans The Guardian du 13 octobre 2010. Photo de Claire Rayner dans sa maison d’Harrow en 2003, The Guardian.