Guadeloupe, les Roches Gravées

Roche gravée au parc archéologique de Trois Rivières

Parmi les traces laissées par les peuples qui ont occupé la Guadeloupe et plus généralement les îles Caraïbes, les « roches gravées» sont les plus énigmatiques.

 Le parc archéologique des Roches Gravées à Trois Rivières, au sud de l’île de Basse Terre, présente de curieux dessins gravés dans des roches volcaniques. On pense qu’ils datent de 300 à 400 après JC. L’interprétation de leurs motifs à forme humaine ou animale ne repose que sur des conjonctures. Pour cette raison, la visite guidée par une animatrice jolie et compétente porte davantage sur la botanique que sur l’art précolombien.

 C’est au musée Edgar Clerc, près du Moule, au nord-est de Grande Terre, que l’on trouve des informations sur les peuplements antérieurs à la Conquête. Le musée, ouvert en 1984, occupe un site superbe dans une cocoteraie en bordure de mer. Ce que l’on connait des « indiens » Arawaks et Caraïbes (ce mot a la même origine que « cannibale ») doit davantage aux observations de religieux soucieux de comprendre ce qui était derrière la tête des populations qu’ils étaient chargés de convertir, ne particulier le dominicain Raymond Breton (dictionnaire caraïbe – français, 1665), le jésuite Ignace Pelleprat (1665), le dominicain Jean-Baptiste Labat (1772).

Musée Edgar Clerc, Le Moule

 On sait que les populations locales ont été exterminées en quelques décennies, sous l’effet des épidémies, de l’expulsion de leur territoire et de la répression. Les indigènes caraïbes ne survivent en tant que tels que dans une réserve sur l’île de la Dominique, entre Guadeloupe et Martinique.

 Le peuplement de la Guadeloupe et des autres îles des Antilles est ancien. On peut dire qu’il est préhistorique, au sens de préexistant à l’écriture. Il reste beaucoup à faire pour connaître les peuples qui ont vécu dans ces îles, leurs migrations et leurs cultures.

William Morris, une vie pour notre temps

La biographie de William Morris (1834 – 1896) par Fiona Mac Carthy (William Morris, a life for our time, Faber & Faber 1994) se lit, malgré ses 680 pages, comme un roman.

 « Quand Morris était mourant un de ses médecins diagnostiqua sa maladie comme « étant simplement William Morris, et ayant accompli plus de travail que dix hommes ». Il était le plus grand artiste artisan de son époque. Il gérait une entreprise de décoration et de fabrication et tenait une boutique haut de gamme au centre de Londres. Morris était aussi un réformateur social passionné, l’un des premiers environnementalistes, un pionnier de l’éducation et un féministe en germe ; à cinquante ans, il « franchit la rivière de feu » pour devenir un socialiste révolutionnaire. A une époque de spécialisation de plus en plus étroite, la polyvalence de Morris est difficile à saisir ».

 C’est ainsi que Fiona Mac Carthy commence sa biographie. A la liste de ses talents et de ses incarnations successives, il faudrait ajouter ce pour quoi il fut salué à sa mort, à l’âge de 62 ans : il fut un écrivain prolifique, un poète renommé et un romancier talentueux. Le livre de Mac Carthy nous fait entrer dans l’intimité d’un homme extraordinaire. Fils d’un agent de change prospère, Morris put fréquenter l’université à Oxford, voyager en France à la découverte de l’art gothique, entrer en apprentissage chez un architecte, tenter de devenir peintre et finalement trouver sa voie dans les arts décoratifs sans vraiment devoir se soucier de ses fins de mois.

 Sa jeunesse est marquée par la fraternité des préraphaélites. Dante Gabriel Rossetti fut son ami, et aussi l’amant de sa femme Jane. Edward Burnes Jones fut l’ami de toute une vie, malgré le désaccord sur le socialisme, et sa femme Georgiana devint son amie intime. Les préraphaélites expriment une protestation face aux ravages de la révolution industrielle ; ils entendent revenir à la nature, aux héros chevaliers d’avant la Renaissance, aux femmes à la beauté sauvage, celle précisément de Jane Morris, le modèle favori de Rossetti. Tout au long de sa vie, Morris cherchera son inspiration dans un monde pur, inaltéré par la pollution physique et morale. Il voyagea en Islande, s’enthousiasma pour la vie simple de ses habitants et traduisit ses sagas.

 La vie de Morris est marquée par une activité frénétique. Dans sa période de prêcheur socialiste, il tue l’ennui des voyages d’un meeting à l’autre en traduisant Homère en vers anglais. Il passe des heures à teindre, tisser, calligraphier. Il écrit des poèmes, des essais, des conférences, des romans fantastiques. Il rencontre des amis, il voyage, il est militant et trésorier d’associations. Il gère son entreprise, Morris & Co, qui produit des vitraux, des meubles, des tissus et des papiers peints. Contrairement à ce que j’ai écrit dans une précédente chronique, l’entreprise n’avait rien d’une coopérative : elle était sa propriété privée et était managée d’une main de maître.

 L’humilité et l’obstination de Morris sont impressionnantes. Il passe des mois à apprendre des techniques de teinture ou d’imprimerie à l’ancienne, non dénaturées, et des mois encore à trouver les teintes ou les caractères qui lui conviennent. C’est un perfectionniste : il n’a de cesse que de parvenir à la matière, à la couleur et à la forme idéales, et devient la bête noire de ses fournisseurs, qui peinent à s’adapter à son standard de qualité.

 Morris est très vite devenu un militant, d’abord pour sauver des monuments anciens de la déréliction ou, pire encore pour lui, des restaurations sauvages. Il fut ensuite un personnage marquant du socialisme anglais, aux côtés notamment de la fille de Marx, Eleanor. Certains ont présenté son engagement révolutionnaire comme un moment d’égarement. Mac Carthy montre au contraire qu’il était dans la droite ligne de son rejet de la laideur et de l’avilissement de l’industrialisation capitaliste. Il manifestait sa foi dans un monde où chacun, femme et homme, pourra être producteur de beauté. Il n’excluait pas aussi un certain masochisme : Morris jouissait de l’âpreté d’un meeting un dimanche matin glacial, devant un auditoire clairsemé et sceptique, en concurrence avec le stand de l’armée du salut.

 Les passages les plus émouvants du livre sont consacrés à la vie privée de Morris. Comme d’autres préraphaélites, il avait épousé une femme d’extraction populaire, avec l’idée de l’éduquer. Mais Jane ne l’aima jamais vraiment. Dès l’âge de 29 ans, elle fut chroniquement malade, ne retrouvant brièvement la santé que lorsqu’elle fut l’amante de Rossetti, puis plus tard de Wilfrid Blunt. Jane et William eurent deux filles. Jenny, l’ainée, devint épileptique à l’adolescence et gravement handicapée. May, la seconde, fut l’assistante de son père, consacra sa vie à défendre sa mémoire et devint une référence des arts décoratifs en Grande Bretagne au début du vingtième siècle. Morris souffrit intimement de son incapacité à rendre sa femme heureuse et de la déchéance de Jenny. En bon Anglais victorien, il n’en parla jamais directement, mais s’employa convertir ses frustrations et ses peurs en poèmes vibrant d’émotion, en prêches pointant à un monde nouveau et en créations artistiques qui façonneront les intérieurs du Royaume bien après la mort de la Reine Victoria.

 « William Morris, une vie pour notre temps » est un livre magnifique, bien écrit, illustré de photos d’époque. Grâce à son auteure, cet homme est entré dans ma vie, plus d’un siècle après sa mort.

Le Musée d’Archéologie Nationale

Le Musée d’Archéologie Nationale de Saint Germain en Lay mérite une visite.

 Le musée occupe le château de Saint Germain, une bâtisse du seizième siècle dont le parc surplombe la Seine. Le terme « Antiquités Nationales » est si large qu’en réalité deux musées pourraient coexister. Une grande part des collections est consacrée à la préhistoire (paléolithique et néolithique), à l’âge du bronze et l’âge du fer. Une autre part présente des objets de la Gaule romaine et du bas Moyen Age.

 En France, la préhistoire commence vers 500.000 ans avant Jésus-Christ avec l’homme de Tautavel. Les collections du musée suivent un strict ordre chronologique. On voit tout au long du paléolithique, jusqu’au sixième millénaire, les outils devenir de moins en moins rudimentaires. Vers 20.000 avant Jésus-Christ apparaissent des motifs décoratifs, dont certains sont des figures abstraites dont le sens nous échappe, d’autres des représentations d’animaux. La plus célèbre pièce du musée est le portrait d’une femme, la Dame de Brassempouy, une petite sculpture de 3.65cm de haut taillée dans de l’ivoire de Mammouth, trouvée dans la grotte du Pape dans les Landes. On reste émerveillé par la résilience de l’humanité, confrontée au cours des millénaires à ces changements climatiques radicaux et capable de domestiquer le feu, de construire des armes de chasse de plus en plus efficaces puis, à partir de 6.000 environ, d’inventer un mode de vie sédentaire puis l’écriture.

 En comparaison de la vaste préhistoire, la période de la Gaule romaine et du bas Moyen Age couvre un espace de temps très court : quelques centaines d’années seulement. Mais les collections sont riches. Les objets sont superbement éclairés et ont pour beaucoup une grande valeur artistique.

 Illustration : la Dame de Brassempouy, Musée d’Archéologie Nationale, Château de Saint Germain en Laye

La Dame de Fer

Le film de Phyllida Lloyd « The Iron Lady » (La dame de fer) raconte la carrière exceptionnelle d’un personnage révéré et haï dans son pays et à l’étranger : Margaret Thatcher.

 Margaret Thatcher n’est pas morte que déjà l’organisation de ses obsèques nationaux est commentée par les journaux britanniques. Et c’est une Thatcher vieillie et même sénile que nous présente le film réalisé par Phillida Lloyd et écrit par Abi Morgan. Dans la première scène, elle va elle-même acheter son lait et provoque la panique de l’équipe de sécurité censée la protéger, d’abord contre elle-même. Revenue chez elle, elle se plaint de la hausse du coût de la vie. Margaret se retrouve en terrain connu : elle était fille d’épicier et aux anciens élèves d’Eton qui constituaient (et constituent encore) l’épine dorsale du Parti Conservateur, elle fait la leçon en citant le prix d’articles du panier de la ménagère.

 Thatcher a toujours pensé pour agir, et agir pour changer les choses. A l’approche de la mort, il lui faut apprendre à être. Elle a toujours tracé son chemin seule, seule femme dans un monde d’hommes. Mais lorsque Dennis, son mari, la laisse veuve, elle ne ressent que vide et désespoir.

 Le film est construit autour de flash-back, dans lesquels Maggie se rappelle de moments-clés de sa vie, sa vie à l’épicerie familiale, le Blitz, la première campagne électorale, la rencontre avec Dennis, la bataille pour le leadership du parti Tory, les grèves de mineurs, l’attentat de l’IRA à Brighton, la sourde-oreille à la grève de la faim de Bobby Sand, la guerre des Malouines et finalement la bataille de trop et la révolte des députés Tory qui la contraignent à la démission. « Je me suis battue à chaque instant de ma vie », dit Maggy aux généraux venus lui présenter des plans de reconquête des Malouines.

 Le film nous incite à la pitié pour la personne délabrée que la femme de fer est devenue dans son grand âge. Il nous fait admirer sa détermination malgré les épreuves. Il nous montre la fermeté de ses convictions : la protection sociale infantilise les gens, il ne faut pas avoir peur du succès, il faut encourager l’esprit d’entreprise. Il s’attarde longuement sur la victoire des Malouines. Il présente Callaghan et les Travaillistes comme des velléitaires et des faibles.

 Il est certain que « La Dame de Fer » est un film apologétique, et le Parti Conservateur ne cache pas sa satisfaction. Il reste qu’il ose s’intéresser à un personnage considérable de l’histoire contemporaine de la Grande Bretagne et que la performance de Meryl Streep dans le rôle principal est remarquable.