Le Foundling Museum à Londres

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Le Foundling Museum, non loin du British Museum à Londres, conserve le souvenir du Foundling Hospital qui, du dix huitième siècle au début du vingtième accueillit les enfants abandonnés.

Le musée conserve le souvenir des bienfaiteurs du Foundling Hospital, le philanthrope Thomas Coram, le peintre William Hogarth et le musicien George Friedrich Haendel.

L’exposition temporaire a pour titre « Threads of Feeling »,  fil de sentiments. Plus de quatre mille bébés furent abandonnés anonymement au Foundling Hospital entre 1741 et 1760. Ils partaient en nourrice à la campagne, puis revenaient dans l’institution pour recevoir une formation qui les conduisait le plus souvent à des positions de domestiques pour les filles, de soldats pour les garçons.

Une fiche signalétique était remplie pour chaque enfant. On y attachait un morceau du vêtement qu’il portait lors de son abandon, ou un message ou objet laissé par la maman. Bien que l’enfant fût adopté par l’Etat, on voulait que sa mère puisse le reprendre si sa fortune personnelle s’améliorait. Le tissu permettait de l’identifier.

Les pages du registre du Foundling Hospital sont profondément émouvantes car elles nous parlent de séparations déchirantes. Elles offrent aussi un vaste échantillon de textiles vieux de près de trois siècles et une précieuse source d’information pour les historiens.

Illustration : The Foundling Museum, exposition « Threads of Feeling », tissu brodé de fleurs et de feuilles attaché à la fiche signalétique d’un petit garçon admis le 25 août 1758.

La maison de Dickens à Londres

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Charles Dickens (1812 – 1870) vécut deux ans dans une maison de Londres, aujourd’hui consacrée à son souvenir.

Nous avons croisé deux fois les pas de Charles Dickens ces dernières semaines. Au théâtre, nous avons assisté à une adaptation de son roman « Les Grandes Espérances ». Au cinéma, le film « Au-delà » du réalisateur Clint Eastwood montre le personnage joué par Matt Damon faire un « break » dans sa vie et visiter à Londres la maison de son héros, Charles Dickens. Il contemple en particulier « le rêve de Dickens », un tableau de Robert W. Buss représentant le romancier endormi à la table de sa bibliothèque et songeant aux personnages qu’il a créé tout au long de sa carrière.

Dickens occupa une maison bourgeoise typiquement londonienne, 48 Doughty Street, dans l’arrondissement (borough) de Camden pendant les deux ans qui suivirent son mariage, de 1837 à 1839. Dans le musée qui y a été installé en 1925, on trouve de nombreux souvenirs, portraits de l’écrivain, meubles, manuscrits.

Dickens écrivait ses livres sous forme de feuilletons d’une trentaine de pages, ce qui permettait de faire grandir l’intérêt du public et aussi de tenir compte des réactions des lecteurs pour la rédaction des chapitres non encore publiés.

Illustration : Maison de Dickens à Londres, www.dickensmuseum.com

Matteo Ricci, Li Madou

 

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La biographie de Matteo Ricci par Michela Fontana (Matteo Ricci, un jésuite à la cour des Ming, 2005, traduction française 2010, Editions Salvator) raconte la vie incroyable d’un homme qui avait le projet de convertir la Chine au Catholicisme.

La ville de Macerata, dans les Marches, est une jolie cité médiévale. Sur les murs de la Grand Place, des plaques commémorent le combat héroïque des patriotes italiens contre la tyrannie. Une plaque signale la maison natale de Matteo Ricci, né ici en 1552.

A l’âge de 19 ans, il rejoint le noviciat des pères Jésuites, une congrégation fondée une trentaine d’années plus tôt par Ignace de Loyola et plusieurs camarades, dont Francisco de Jassu y Azpilicuerta de Javier, François Xavier en français Ce dernier était décédé alors qu’il attendait l’autorisation d’entrer en Chine, l’année même de la naissance de Matteo.

Après une formation théologique et scientifique à Rome et avoir patienté à l’Université de Coimbra, Matteo s’embarque à Lisbonne avec d’autres missionnaires destinés à l’Asie. Il attendra encore quatre ans à Goa en Inde avant d’être affecté à Macao, base portugaise en Chine. Il a alors 31 ans. Il obtient l’autorisation de s’installer à Zhaoquing, il en est expulsé 6 ans plus tard. Il vit ensuite à Shaozhou, Nanchang puis Nankin, seconde capitale de l’Empire des Ming avant d’atteindre en 1601 son objectif : être invité à Pékin à la Cour de l’Empereur.

L’entreprise de Ricci commence petitement. Avec quelques compagnons, ils apprennent le chinois, se vêtent à la manière des moines bouddhistes et sont à la merci du bon vouloir des pouvoirs locaux. Mais le dessein est vaste : il s’agit de convertir la Chine en partant de ses élites jusqu’en bas. Ricci, devenu Li Madou (Li pour Ricci, Madou pour Matteo), n’a peur de rien : il ambitionne de convertir ni plus ni moins que l’Empereur Wanli, le Fils du Ciel !

Li Madou a du monde la vision de Ptolémée. La lune, les planètes, le soleil et les étoiles gravitent autour de la terre. La terre est ronde, et au-dessus d’elle se trouvent plusieurs niveaux de ciel dont, le tout dernier, celui où demeure Dieu. La géométrie, l’astronomie et la théologie sont intimement mêlés. Apporter la mathématique occidentale aux Chinois les conduira logiquement à adorer le Seigneur du Ciel ! Ayant acquis une parfaite maîtrise du mandarin, ayant abandonné l’habit des moines pour celui des lettrés, devenu Xitai, le sage de l’Extrême Occident, Li Madou dessinera des cartes géographiques, construira des horloges mécaniques, écrira des livres de sagesse et traduira les Eléments d’Euclide.

Il fut d’une intolérance totale à l’égard du Bouddhisme, mais accepta le Confucianisme comme une sagesse compatible avec le Christianisme, y compris dans ses rites. Il se heurta à d’innombrables difficultés. Certaines étaient d’ordre pratique : la classe dirigeante, qui avait les moyens d’entretenir des concubines, n’acceptait pas de bon gré la monogamie, condition préalable à la conversion. D’autres étaient philosophiques : la séparation de l’âme et du corps, principe de base du christianisme, n’était pas compatible avec une conception de la vie où l’homme et l’univers sont totalement imbriqués.

Li Madou ne réussit jamais à rencontrer l’Empereur en personne, mais son œuvre fut continuée par ses successeurs. En 1644, 34 ans après la mort de Ricci, le jésuite Adam Schall von Bell fut nommé directeur du bureau des observations astronomiques ; dans les années 1670, le jésuite Ferdinand Verbiest maintint un dialogue fécond avec l’empereur mandchou Kangxi, qui promulgua en 1692 un édit de tolérance reconnaissant le droit pour les Catholiques de prêcher leur foi. La tolérance fut malheureusement à sens unique. Le pape interdit les rites chinois en 1715 par la bulle Ex Illa Die. La politique d’acculturation prônée par Ricci et développée par ses successeurs se trouvait déjugée par Rome. Le Catholicisme fut banni de Chine en 1724 alors que les convertis se comptaient par centaines de milliers. La congrégation des jésuites fut dissoute par le Vatican en 1773.

Le livre de Michela Fontana se lit comme un roman. Mais c’est aussi une analyse documentée d’une rencontre en profondeur de deux cultures. L’auteur a vécu en Chine et est historienne des sciences. Elle montre la mission de Ricci non seulement comme Ricci la concevait, mais comme les Chinois, avec leur propre culture, la percevaient.

Rafael

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L’écrivain portugais Manuel Alegre s’est présenté à l’élection présidentielle portugaise le 23 janvier dernier au nom du Parti Socialiste et du bloc des gauches. Il a obtenu un score décevant, moins de 20%. Son livre Rafael, publié à Lisbonne en 2004 aux Editions Dom Quixote, raconte son itinéraire personnel de manière romancée. C’est aussi un témoignage sur l’histoire du Portugal avant la Révolution des Oeillets.

« L’exil est un pays sévère ». Cette phrase de Victor Hugo est placée en exergue de l’autobiographie de Manuel Alegre, écrite à la première et à la troisième personne, qui couvre la période 1961 – 1974.

En 1961, l’auteur a 25 ans. Il est étudiant à l’Université de Coimbra et est mobilisé pour l’Angola. Il participe à une mutinerie, fait six mois de forteresse à Luanda et, de retour au Portugal, doit s’exiler en 1964. Il vivra 11 ans entre Paris, Genève et Alger jusqu’à ce que la Révolution des Œillets lui permette de retourner au pays.

Le récit de Manuel Alegre peut se lire sous le registre historique, comme une chronique de la gauche portugaise et européenne dans les années soixante et soixante-dix : la rupture entre l’Union Soviétique et la Chine, Cuba, l’Algérie de Ben Bella et Boumediene, Mai 68, le Coup de Prague, les guerres coloniales portugaises, le Général Delgado, le Mouvement des Forces Armées et la Révolution des Œillets.

Il peut se lire sous le registre poétique. Les vers des poètes sont la voix des prisonniers et des exilés :

« Não posso viver comigo,

Não posso fugir de min »

(« Je ne peux vivre avec moi-même, je ne peux fuir de moi-même », Sá de Miranda).

« Empieza el llanto de la guitarra

Es inútil callarla

Es imposible callarla ».

(« Commence le pleur de la guitare, il est inutile de la taire, il est impossible de la taire », Federico Garcia Lorca)

Pour Rafael, dont la vie a été envahie par l’Histoire, une expression caractérise Mai 68 : « la poésie est dans la rue ».

Le livre d’Alegre contient des pages magnifiques sur l’exil.  « En cette fin d’après-midi, ceux qui passent près de toi vont quelque part, il n’y a que toi qui n’aie pas de place, ni de nom, ni de papier, tu ne sais pas exactement où tu es, où dormir, on a envie de mourir quand on est si seul et désemparé dans une grande ville à l’heure où les gens rentrent chez eux. Je est un Autre, cet autre est toi, l’étranger, moi-même qui n’a déjà plus de moi, tu as perdu ta patrie, tu as perdu ton nom, tu es en train de te perdre à l’intérieur de toi-même ». Arrivant à Paris, Rafael laisse sa valise dans un hôtel rue Cujas et n’ira jamais la récupérer. Cette valise est une métaphore de son âme, de cette part cachée de soi-même pour toujours perdue à l’étranger.

A El Biar, Manuel Maria, patriarche de cette tribu à demi perdue dans le désert, reçoit les émigrés pour fêter Noël. Sa femme Clotilde réussit à cuisiner un Bacalao. Même ceux des colonies viennent tremper le pain dans l’huile. Au-delà du sourire, il y a d’autres tables dans d’autres maisons avec des chaises vides. D’une certaine manière, ils sont tous assis où ils ne sont pas, présents – absents. Et comme chaque année Rafael formule ce vœu : l’an prochain au Portugal !

Manuel Alegre évoque ses relations amoureuses. Fatima vient à Paris pour perdre sa virginité dans un vertigineux week-end, puis disparaît. Julia n’accepte pas de se reconnaître femme de quelqu’un et déclare son amour par la médiation d’une langue étrangère : « ti voglio bene ». Elle entre dans la vie de Rafael et en sort, d’objet de passion elle devient seulement référence. Rafael rencontre Clara, envoyée par Julia. Le jour même de leur première rencontre, elle décide de le suivre dans son exil à Alger.

L’auteur nous fait rencontrer des personnages hors du commun. Jorge Fontes, « accusé de toutes les déviations, mais fidèle à ses convictions, résistant non seulement au fascisme, peut-être le plus facile, mais aussi aux calomnies ». Manuel Maria, donnant une leçon de flegme au policier qui l’escorte dans un avion dont un moteur est en panne. Fernão Mendes Pinto, expulsé du PC mais convaincu que nul ne peut l’expulser de ses idées communistes. Henrique Taraves de Romariz, aristocrate qui fait la révolution au Portugal après avoir participé à la Guerre Civile espagnole du côté des Républicains, pour des raisons esthétiques : parce que le fascisme est laid.

Enfin, le Camarade, un homme élégant et réservé. Tout en lui est maîtrise de soi. Il étudie discrètement ses interlocuteurs, et cherche à lire dans les autres sans jamais se révéler. Même dans les moments les plus décontractés, il ne baisse jamais la garde. Il ne permet jamais que l’émotion se superpose à l’autodiscipline par laquelle il a modelé la statue de soi-même. Le Camarade finit par approuver l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques.

Photo « transhumances », Lisbonne.