Exercice d’évacuation

 

Les exercices d’évacuation d’un immeuble de bureaux permettent de voir l’entreprise sous un jour nouveau.

 Lorsque retentit l’alarme d’incendie, on se sent vaguement inquiet – y a-t-il vraiment une situation d’alerte, et contrarié – il faut abandonner la tâche en cours et sortir en hâte dans le froid. Au point de rassemblement, l’ambiance est toute spéciale. On se croirait dans la cour de récréation d’un collège. On se parle, on échange des plaisanteries. La hiérarchie est inversée. Ce sont les responsables incendie de chaque étage, vêtus pour l’occasion de vestes phosphorescentes, qui donnent les instructions et les directeurs obéissent docilement.

 Il y a quelques années, l’ordre d’évacuation avait été donné alors que nous venions de signifier à un fournisseur l’interruption de son contrat. L’interruption de la réunion avait symbolisé à merveille une situation dans laquelle il s’agissait de sortir d’une relation professionnelle et de la vider de son contenu.

Parangonnage

Le « benchmarking » est à la mode, dans les entreprises comme dans les administrations publiques. Un mot français tente de le substituer : « parangonnage ».

 L’Ambassadeur de France à Londres, Bernard Emié est témoin du benchmarking effréné que la présidence et le gouvernement français font de la politique menée en Grande Bretagne par le gouvernement de David Cameron. Ils tentent de comparer les pratiques des deux côtés de la Manche, de comprendre ce qui est semblable et différent, d’identifier ce qui marche et ce qui ne marche pas, de comprendre ce qu’on pourrait acclimater dans notre pays et ce qui semble trop lié à la culture anglo-saxonne pour que l’on puisse l’adapter avec succès.

 Si le mot « benchmarking » est dans toutes les bouches, si la pratique de la comparaison est sans nul doute féconde, utiliser de manière répétée un anglicisme écorche la francophonie. L’Ambassadeur a donc suggéré le mot « parangonnage ». On connait l’expression « un parangon de vertu », et c’est bien de cela qu’il s’agit : tendre à l’excellence en se mesurant à d’autre. Abandons-nous donc aux plaisirs de la comparaison des pratiques vertueuses : parangonnons !

 Photo « transhumances » : bas reliefs à la façade d’un pub à Stratford-upon-Avon

Christmas Party

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La Christmas Party est un moment fort de la vie de la structure de 150 personnes que je dirige en Grande Bretagne.

Le Social Committee, chargé de l’organisation des fêtes de l’entreprise, a réservé cette année une magnifique salle du siège de la British Medical Association à Londres. La contribution est de £10 pour les membres du personnel, de £15 pour leurs « partners », terme politiquement correct pour désigner leur conjoint de l’un ou l’autre sexe.

Un autocar nous amène de Watford à Londres. Beaucoup de convives ont revêtu la tenue de soirée, mais la tenue de ville ne choque pas. La soirée commence par un apéritif au champagne. Une caricaturiste croque le portrait de plusieurs convives, et c’est une occasion de rires et de commentaires partagés. Le dîner est organisé par tables de huit ou dix convives en fonction des désirs de participants. Ils souhaitent en général se retrouver avec ceux qu’ils connaissent bien, de sorte que la géographie de la salle est le reflet presque exact de l’organigramme : Risques, Contentieux, Commercial…

La musique de fond s’interrompt entre l’entrée et le plat principal pour le discours que je prononce en tant que Managing Director. Dans l’après-midi a éclaté comme un coup de tonnerre avec la nouvelle de l’éviction de notre directeur général à Paris, Jérôme Cazes. Je rappelle combien Jérôme a fortement marqué tous les aspects de notre vie d’entreprise. Je dis aussi qu’il ne faut pas avoir peur du changement car, de restructurations en plan de crise, nous avons fini par l’apprivoiser ! Depuis trois ans, nous avons progressé, nous sommes plus présents sur notre marché, nous connaissons mieux nos risques, nous travaillons davantage en équipe.

Au dessert, « Father Christmas » fait son entrée et préside au tirage d’une loterie. Commence alors le disco et l’open bar. Ce que j’écrivais en 2006 du « Jantar de Natal » à Lisbonne se vérifie de nouveau. « Plusieurs jeunes femmes se lancent dans la danse, on va d’une table à l’autre pour se saluer, se retrouver et passer un moment ensemble. C’est comme si l’entreprise quittait sa personnalité juridique pour prendre corps,  ou plus précisément pour prendre la forme de dizaines de corps en mouvement, des corps en couleurs et en clameurs, des corps rythmés qui se révèlent, se rapprochent et se détachent. »

En observant la piste de danse, je me rends compte de l’internationalité de notre entreprise : il y a probablement là une bonne vingtaine de nationalités représentées, des cinq continents. Malgré l’alcoolémie croissante de quelques jeunes collaborateurs qui dansent bouteille de bière à la main, l’ambiance est franchement gaie, détendue et amicale. Nous passons un bon moment, typiquement londonien par sa tranquille simplicité.

Photo de Londres à l’approche de Noël, Blanca Majó / José Pastor

Charlie

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Charlie est ce personnage anonyme de Martin Hanford qu’il faut reconnaître dans une foule immense.

Charlie arrive chaque matin à 8h00. Comme il vient au bureau en voiture et que la circulation dans une grande ville est imprévisible, on peut se demander s’il ne patiente pas sur un parking voisin jusqu’à ce que sonne l’heure juste. Il dépose son cartable à ses pieds, en extrait une bouteille d’eau, ouvre son ordinateur. Son rôle est de payer des factures. Il le fait avec application, pas trop vite, mais aussi sans perdre du temps à faire la conversation. Il feuillette des documents, les vérifie, en saisit le contenu à l’écran, les tamponne et les classe. Il travaille ainsi pendant quatre heures et trente minutes. Il prend alors la pause règlementaire de quarante cinq minutes, à son poste de travail, avec un sandwich. Il se consacre à faire des réussites sur son ordinateur.

L’après-midi se déroule sur le même mode : factures, tampon, écran, factures, tampon, écran. A 16h30 précises, Charlie quitte son poste, sans un au-revoir à ses collègues.

Charlie est en fin de carrière. A le voir, me viennent à la bouche les paroles de la chanson de Jean Ferrat sur les jeunes femmes qui, mariées jeunes et mères de famille, n’ont d’autre horizon que leur cuisine  et leur buanderie :

Faut-il pleurer, faut-il en rire ?

Fait-elle envie ou bien pitié ?

Je n’ai pas le cœur à le dire

On ne voit pas le temps passer.

Illustration : Charlie, le voyage fantastique