Les Britanniques épris de leurs chemins de fer

Cotswold line entre Oxford et Hereford. Photo The Observer

Dans The Observer du 3 mars, Robin Mc Kee évoque l’extraordinaire passion des britanniques pour leurs chemins de fer, cinquante ans après la publication du rapport Beeching qui prévoyait une réduction drastique du réseau ferroviaire.

 Le 27 mars 1963, Robert Beeching publiait un rapport sur le retour à la rentabilité des chemins de fer britanniques, qui prévoyait la fermeture de 5.000 miles de voies et de 2.000 gares. Cinquante ans après, le désamour frappe la voiture individuelle. Au cours des cinq dernières années, le nombre de candidats au permis de conduire dans la tranche d’âge 17 – 19 ans a baissé de 20%. La voiture est chère, polluante et embouteillée. Chaque année, malgré la stagnation économique, le trafic ferroviaire de passagers augmente de 6%. Il a presque doublé en 10 ans.

 L’époque est à la réouverture de certaines lignes dans des zones densément peuplées, comme celle qui joignait Oxford à Cambridge via la ville nouvelle de Milton Keynes. Le problème est que les planificateurs des années soixante et soixante dix ont vendu des emprises ferroviaires et détruit des ouvrages d’art. Ils ne concevaient pas, dit Robin Mc Kee, qu’une ligne fermée pût être rouverte un jour. Dans leur esprit, le train était sale et sans avenir. Cette mentalité a conduit à la disparition d’une partie du patrimoine ferroviaire qui serait utile aujourd’hui, alors que les opérateurs sont contraints à accroître leur offre.

 Le journaliste reconnaît que la fermeture de beaucoup de lignes était inéluctable et mentionne que 1.500 miles de voies ont été transformés en pistes cyclables. Mais il constate l’absence de vision de la part de technocrates qui, il y a cinquante ans, ne voyaient pas d’avenir à un moyen de transport que les jeunes plébiscitent aujourd’hui.

 Les Britanniques sont amoureux de leurs chemins de fer. En Grande Bretagne, 102 lignes sont préservées par des associations qui y font circuler du matériel ancien, le plus souvent sous traction vapeur : en Europe, 117 lignes de ce type existent, en tenant compte des britanniques !

 Les Français vivent une passion semblable pour les tramways. A Bordeaux par exemple, le tramway fut abandonné à la satisfaction générale en 1957 après trois quarts de siècle de service, hippomobile puis électrique. Il allait être remplacé par des autobus ultramodernes. A peine trois décennies plus tard, le réseau d’autobus était victime d’apoplexie. Le nouveau tramway fut mis en service en 2003. Il transporte plus de 350.000 voyageurs par jour.

Indiscrétion

Tableau d’Edward Hopper

Les quais du tramway sont noirs de monde. Une femme parle à son téléphone portable si fort que chacun profite involontairement de sa conversation. « Mon ex-mari a rendez-vous avec ma sœur cet après-midi. Elle me vole mon mari. Ils n’ont rien à faire ensemble, elle a 57 ans, il en a 31. Il passe ses après-midi à coucher avec des femmes au lieu de chercher du travail ». Gonflée d’indignation, sa voix se fait de plus en plus sonore.

 Les participants involontaires à ce déballage intime commentent entre eux à mi-voix. Quelqu’un s’exclame tout haut : « c’est du joli tout ça ! ». Un autre apprécie les performances du mari volage : « quel homme ! » L’indiscrète n’entend pas, ou fait mine de ne pas entendre malgré les rires d’un public rendu coquin par un rayon de soleil annonciateur du printemps.

 Tous les après-midis, Sophie Davant anime sur France 2 une émission intitulée « toute une histoire », qui exploite un filon découvert avant elle par Ménie Grégoire et Jean-Luc Delarue. Des gens blessés par la vie viennent exposer au grand jour leurs problèmes, guidés avec doigté par l’animatrice, conseillés par des psychologues et applaudis par un public choisi.

 Dans son livre « Surfer la vie », Joël de Rosnay évoque les « naturistes du web », ces internautes qui ne cherchent pas à se protéger et choisissent de se rendre totalement transparents.

 De mon côté, je me sens voyeur sans l’avoir choisi, coupable d’une indiscrétion que je n’ai pas commise. La dame délaissée, les victimes de « toute une histoire » et les naturistes du web me gênent.

L’église Saint Syméon de Bouliac

Chœur de l’église Saint Syméon de Bouliac

Bouliac, commune de la périphérie de Bordeaux juchée sur une colline de la rive droite de la Garonne, offre au visiteur une jolie église romane : Saint Syméon.

 De l’extérieur, l’église présente un aspect curieux. Le bâtiment, construit au douzième siècle, est de style roman, mais un casernement de soldats fortifié a été construit pendant la guerre de cent ans en aplomb du chœur ; le clocher date quant à lui de 1863. Du parvis, on jouit d’une ample vue sur Bordeaux et la vallée de la Garonne.

 Sous le porche roman, le regard est attiré par d’intéressants chapiteaux, malheureusement abîmés. En entrant dans la nef, le visiteur est frappé par l’harmonie du chœur roman, où coexistent le dessin architectural initial, de jolis chapiteaux, des vitraux modernes, un autel reposant sur des sarcophages mérovingiens et un reliquaire de la Renaissance qui gagnerait à être décapé.

 Le plafond de la nef est en bois, comme le sont par ailleurs la vaste tribune d’orgue, la chaire sculptée et le confessionnal. Les murs sont entièrement recouverts de peintures murales du dix-neuvième siècle, dans le style médiévaliste qui illustrait encore les catéchismes des années 1950. Ces peintures ont été récemment restaurées. Si elles heurtent notre esthétique d’aujourd’hui, il est probable qu’elles prendront leur place dans le goût des générations futures. C’est la préservation de styles différents qui donne à l’église Saint Syméon un caractère très spécial : des générations de croyants se sont succédées ici, et leur souffle est sensible dans les œuvres d’art qu’elles nous ont transmises.

Saint Martin partage son manteau, fresque murale dans l’église Saint Syméon de Bouliac

Revenir en prison

France 2 vient de diffuser le troisième volet du documentaire de François Chilowicz intitulé « Hors la Loi », dont « transhumances » a déjà rendu compte. Cet épisode avait pour titre « revenir en prison », après « entrer en prison » et « rester en prison ».

 Le titre de cette troisième partie, « revenir en prison », en indique d’emblée la tonalité. Il met le doigt sur la difficulté du système judiciaire et carcéral à atteindre son principal objectif : aider ses « sujets » à prendre la mesure de leur déviance et leur donner les moyens de reconstruire leur vie.

 Du côté des « sujets » de la justice, il y a la propension au déni. Accusé de cambriolage, multirécidiviste, D se proclame innocent et se pose en victime de l’injustice de la Justice. Il refuse les travaux d’intérêt général, car il estime injuste de travailler sans rémunération. Arrêté pour avoir conduit sans permis, sans assurance et en état d’ivresse, P bénéficie d’une libération conditionnelle sous condition de suivre un traitement pour son addiction. Mais il considère que le traitement ne se justifie pas : il ne boit pas… sauf quand il boit. S, âgé de 45 ans et père de 3 enfants, est accusé d’agression sexuelle contre une personne vulnérable dans le centre où il était éducateur sportif. Il nie en bloc et raconte un scénario invraisemblable de ce qui s’est passé. L’avocate de la partie civile explique à la Cour que cette dénégation elle-même fait courir un risque de récidive à la société et requiert 3 ans de prison ferme. Le tribunal ira au-delà et prononcera une peine de 4 ans, dont S fera appel.

 Du côté de l’administration de la justice, le risque est celui du jargon. Un juge d’application des peines ou un conseiller de probation dira volontiers qu’il faut « mettre en place un projet de réinsertion ». Pour le détenu, cette phrase toute simple peut sonner creux. Qu’est-ce qu’un projet, lorsqu’on vit au jour le jour, parfois sous la dépendance de l’alcool ou d’une drogue ? Quelles réelles opportunités existent-elles d’apprendre un métier, de trouver un logement, de recréer des liens stables et affectueux hors du milieu de la délinquance ? L’expression « mettre en place » elle-même, bien qu’utilisant des mots simples, semble jargonneuse : qui parle comme cela dans la vie, hormis les travailleurs sociaux ?

 Le documentaire de François Chilowicz est solidement construit. Il ne se départ jamais de son parti pris de départ, vivre les événements du point de vue de celui qui est arrêté, gardé à vue, incarcéré et jugé. Le montage est séquentiel, suivant pas à pas le parcours policier et judiciaire de six personnes interpellées pour divers crimes ou délits. Le cadrage est rigoureux, alternant l’impersonnalité des commissariats, de la prison et du palais de justice et les visages des hommes et femmes auxiliaires de la justice. La musique elle-même exprime bien le caractère anxiogène des procédures et l’extension du temps qui n’en finit pas de passer.

 Au fond, « Hors la Loi » est un film profondément humain. Il met en lumière l’intensité des efforts consentis par tous les acteurs du système de la justice pour comprendre les individus et leur donner une chance. Il est aussi humain en ce qu’il montre le profond enracinement du mal dans des personnalités si intimement déformées qu’elles ne peuvent reconnaître la faute ni s’amender.