Bien-être en Grande-Bretagne et en France

L’OCDE vient de lancer un nouveau rapport sur la mesure du bien-être, intitulé « Comment va la vie ? ». La Grande Bretagne semble être un pays plus heureux que la France.

 L’OCDE présente ainsi ce nouveau rapport. « Comment va la vie ?  détaille l’éventail des éléments qui composent une vie agréable. Bien que le revenu soit un facteur de première importance, il y a de nombreux autres facteurs qui importent davantage encore. Le bien-être est intrinsèquement lié à une bonne santé, à un environnement sain, à un fort sentiment d’appartenance à la communauté et d’engagement citoyen, un logement agréable et un quartier sûr.

Alors que la plupart des gens bénéficient de tout cela, les inégalités et la pauvreté restent de réelles barrières au bien-être pour de nombreuses personnes. La population des pays les plus riches n’est pas nécessairement la plus heureuse, particulièrement quand elle souffre de faibles niveaux de contacts sociaux, de confiance envers autrui ou d’insécurité personnelle. »

 Le rapport compare l’état de bien-être d’une trentaine de pays selon 11 critères : logement, revenu, travail, communauté, éducation, environnement, gouvernance, santé, satisfaction de la vie, sécurité, équilibre travail – vie personnelle. En Europe, le pays le plus heureux est le Danemark avec un indice de bien-être de 7,8/10. L’enquête semble confirmer qu’il y a trois sortes de désespoirs en Europe, le hongrois (indice 4,7), le portugais (4,9) et le russe (5,3). Curieusement, l’Espagne, dont le tonus et le dynamisme sont universellement célébrés, se classe après la France : indice 6.2 contre 6.8. Et la France est (un peu) moins heureuse que la Grande Bretagne (indice 7,0).

 Les critères pour lesquels la France fait mieux que la Grande Bretagne sont l’équilibre vie personnelle / travail (indice 7,7 contre 7,0) et la santé (7,5 contre 7,1). Les deux pays sont à peu près à égalité pour le logement et l’éducation. Mais les Britanniques sont mieux lotis pour ce qui concerne leurs revenus (indice 4,0 contre 3,6) et leurs emplois (7,1 contre 5,6, mais ce score devrait se dégrader dans le contexte de montée rapide du chômage des jeunes). Ils se sentent plus soutenus par leurs familles et leurs amis (8,5 contre 8,0). Ils sont mieux gouvernés (6,3 contre 4,5) et plus en sécurité (7,4 contre 6,7). Au total, ils se sentent plus heureux dans la vie (7,4) que leurs voisins d’Outre Manche (6,7).

 La mesure du bonheur national brut n’en est qu’à ses débuts. Elle indique toutefois aux politiciens sur ce quoi ils devraient concentrer leurs programme et leurs efforts.

 Photo « transhumances »

Du Contestataire à l’Indigné

La photo publiée récemment par The Guardian du campement des Indignés sur le parvis de la Cathédrale St Paul à Londres rappelle à bien des égards la contestation des années soixante-dix. Mais entre le contestataire d’hier et l’indigné d’aujourd’hui, il y a des différences.

 Une table, des tableaux noirs écrits à la craie, des feuilles de papier ou de carton hâtivement remplies d’informations au feutre et collées à un mur : la photo n’aurait guère été différente il y a quarante ans – quelques années après 1968 – si ce n’était le téléphone portable de la jeune militante. La contestation d’alors était largement improvisée, comme l’indignation d’aujourd’hui. Elle était internationale, nourrie du Vietnam, du Chili et de l’Espagne franquiste. Elle était déjà écologiste et pacifiste, influencée par le mouvement hippie et le rejet du nucléaire. Si le mouvement des indignés nous est sympathique, c’est aussi parce qu’il semble répliquer l’ingénuité et l’enthousiasme de la génération précédente.

 Il y a pourtant des différences. Au militant a succédé l’activiste. Ce n’est pas seulement une victoire de la terminologie anglaise sur le mot français. Dans les années soixante dix, le chaos de la contestation permettait à des groupes d’idéologie extrême de se faire entendre de manière stridente : trotskystes et maoïstes promettaient le grand soir. Leur fanatisme allait produire la Bande à Baader et les Brigades Rouges. Au contraire, les indignés du parvis de St Paul  ne sont pas habités par une idéologie.  

 Ils ne croient pas que la politique puisse changer radicalement les choses. La protestation s’est déplacée au terrain éthique. On exige de la société qu’elle bannisse les comportements prédateurs, le lucre et la corruption. On veut une démocratie véritable et transparente.  Le mouvement des Indignés est inclusif : les embrassades gratuites (free hugs) offertes aux passants sur le parvis de Saint Paul s’inspirent du mouvement « action pour le bonheur » ; elles symbolisent aussi un mouvement qui « embrasse » plus qu’il ne rejette et qui s’adresse aux « 99% » de citoyens qui subissent un système économique injuste.

 Le mouvement est international d’une autre manière qu’il y a 40 ans. Ce n’est pas principalement l’usage d’Internet et des réseaux sociaux qui fait la différence. La quantité de pays impliqués implique par soi-même un changement qualitatif. Dans les années 1970, la contestation touchait quelques pays développés. L’indignation touche maintenant 70 pays, et le Chili n’est plus le pauvre dont on s’apitoie, mais un participant à part entière.

 Photo « The Guardian »

Les « indignants » occupent la City

Le mouvement des « indignés » s’invite à la City de Londres. Le parvis de la Cathédrale Saint Paul est depuis ce week-end le site d’un campement anticapitaliste.

 Rebaptisé « Tahrir Square EC4M, City of Westminster », le parvis de la Cathédrale Saint Paul accueille environ 300 manifestants qui ont installé des tentes, une cuisine, des toilettes et ont bien l’intention de rester là longtemps. Le mouvement s’inspire davantage de « Occupy Wall Street » que de la Puerta del Sol. Il faut dire que « indignés » ne se traduit pas harmonieusement en anglais : « Indignants » ? « Outraged ? » Les slogans sont aussi dérivés de ceux de New York : « nous sommes les 99% », par opposition au 1% qui, aux Etats Unis, détient près du quart de la richesse nationale.

 Au Révérend Giles Fraser, Chanoine Chancelier de Saint Paul, l’occupation du parvis ne déplait pas. Par un heureux hasard, l’évangile du jour était « nul ne peut servir deux maîtres, Dieu et Mammon (l’argent) ».

 Photo « The Guardian »

Journalisme d’investigation

Une série d’articles du quotidien britannique The Guardian viennent de contraindre le Ministre de la Défense britannique, Liam Fox, à la démission. Il y a quelques mois, la révélation du scandale des écoutes téléphoniques de The News of the World avait entraîné la fermeture de ce titre. Le journalisme d’investigation est puissant en Grande Bretagne et constitue un pilier de la démocratie.

 Liam Fox a démissionné après avoir dû admettre qu’il avait mélangé ses activités privées et ses devoirs de ministre. Il avait associé de manière fréquente son ami et associé en affaires Adam Werritty à des déplacements à l’étranger et ce dernier s’était présenté comme conseiller du Ministre, bien qu’il n’en eût pas le titre. Fox avait démenti de manière répétée la participation de Werritty à des voyages et réunions officiels. Comme l’écrit Rupert Neate dans The Guardian, les journalistes interrogèrent les participants à une réunion suspecte à Dubaï, recherchèrent sur Internet toutes les photos de déplacements du Ministre, pressèrent le Ministère de questions : Combien de réunions ce conseiller officieux avait-il organisées ? Qui avait-il rencontré ? Des patrons de la Défense ? Des Généraux ? Des Chefs d’Etat ? Avait-il souvent voyagé à l’étranger avec Fox ? Se rencontraient-ils au siège du Ministère de la Défense à Whitehall ? L’obstination des journalistes, la priorité donnée dans ses colonnes par la rédaction de The Guardian à l’investigation ont fini par payer.

 Liam Fox représentait au Cabinet l’aile droite du Parti Conservateur. Admirateur de Lady Thatcher, qui participa en septembre à la célébration de son cinquantième anniversaire, fondamentalement atlantiste et anti-européen, il est lié aux « néo-cons » des Etats-Unis dont il reçoit un financement via The Atlantic Bridge Charity.

 Certains se demandent pourquoi David Cameron a laissé Fox s’enferrer toute une semaine, alors que sa chute semblait inéluctable depuis qu’il avait admis que des fautes avaient été commises. La chroniqueuse Marina Hyde a une opinion : « Le Docteur Fox aura vu chaque jour de survie comme une bataille gagnée dans sa guerre(…) mais en fait c’était le contraire. David Cameron le joua parfaitement, permettant au chéri des droitiers de rester suspendu pour sa totale éviscération par les médias. Si Fox avait démissionné lundi en faisant une déclaration vexée et concise sur le fait qu’il avait commis des erreurs mais qu’il ne voulait pas distraire le gouvernement de son travail vital, il serait retourné parmi les députés de base ensanglanté mais non brisé ; il y serait resté une menace de bas niveau et aurait pu même – dans la pagaille qui peut se produire alors que les inconnues financières battent à la porte – voir une sérieuse opposition anti-Cameron se coaguler autour de lui. Mais son insistance à rester à son poste a permis au premier ministre de se composer un visage « honnête et sympathique » tout en voyant un vieux rival s’enfoncer de plus en plus irrémédiablement à chaque nouvelle révélation. »

 En Grande Bretagne, la presse d’investigation est un pilier de la démocratie. Elle a récemment rappelé aux politiciens qu’ils ne peuvent abuser des notes de frais, que trop de proximité avec la puissance médiatique de Murdoch était dangereuse et qu’un ministre devait respecter une ligne rouge entre ses devoirs d’Etat et ses affaires privées.

 Curieusement, l’ultra-atlantiste Fox a renforcé l’alliance militaire de la Grande Bretagne et de la France. Il a signé un accord qui, en pratique, met en commun l’arme nucléaire. Il a orchestré l’intervention en Lybie, qui a principalement impliqué les armées des deux pays. Il était reconnu comme un bon ministre, si toutefois un bon ministre peut s’affranchir de la déontologie de sa fonction.

 Photo « The Guardian » : Liam Fox.