Anthropologie de la City

Dans The Guardian du 15 septembre, Joris Luyendijk annonce le lancement d’une recherche anthropologique sur les banquiers de la City de Londres. L’étude, interactive, est appuyée sur le blog http://guardian.co.uk/bankingblog.

 Le domaine des banques est nouveau pour Luyendijk, qui a principalement travaillé au Moyen Orient, dans les bidonvilles du Caire puis en Palestine entre les leaders du Hamas et les colons juifs. Il se propose de découvrir leurs sous-cultures, leurs codes vestimentaires, leurs manières de parler, leurs stéréotypes, leurs conventions et naturellement leurs plaisanteries : « tous les économistes savent qu’il y a trois sortes d’économistes : ceux qui savent compter et ceux qui ne savent pas. »

 « Le sous-titre du blog, dit Luyendijk, est « devenir un indigène dans le monde de la banque ». C’est un clin d’œil au risque de s’identifier de trop près avec les gens que l’on étudie. C’est ainsi qu’après un bout de temps en Papouasie Nouvelle Guinée, les sacrifices humains finissent par sembler assez raisonnables. »

 Luyendijk parle du code vestimentaire. « Un avocat d’affaires et moi étions assis dans un restaurant nommé l’Anima, un endroit sobrement décoré d’Exchange Square, l’un des plus grands quartiers de bureaux de la City. Il scruta les tables autour de lui et dit : « il y a principalement des avocats ici. Pas d’épouses ou de petites amies spectaculaires, pas de femmes habillées de manière extravagante. Je vois des hommes qui gardent leur veste – ce que nous avons tendance à faire en tant qu’avocats. Beaucoup d’avocats ne voudraient pas être le premier à tomber la veste, et la plupart des avocats que je connais la conservent quoi qu’il en soit. Garder l’uniforme vous fait sentir solide (…). Etre ennuyeux est une bonne chose pour un avocat. Nous vendons de la fiabilité, de la solidité et de la prudence. Nous voulons que notre manière de nous présenter reflète cela. Et nous facturons souvent des honoraires substantiels, alors nous de faisons pas étalage de notre richesse parce que les clients vont se demander : bon, est-ce que je ne suis pas en train de payer trop cher ? »

 « Il se mit alors à comparer son habillement à celui d’un banquier spécialiste en fusions et acquisitions. Les banquiers peuvent s’habiller dans un style très voyant et conduire des voitures très couteuses. La raison en est qu’ils vendent des entreprises à leurs clients, et qu’ils font de leurs clients des gens très riches. Si je suis un banquier spécialiste en fusions et acquisitions et que j’irradie la richesse et le succès, des nouveaux clients potentiels ne vont pas penser : est-ce que je suis en train de payer trop cher ? Les clients potentiels vont penser : ce gars a rendu d’autres gens riches, il doit être très bon, je vais m’attacher ses services de manière a devenir riche moi aussi ». »

 Photo « the Guardian »

Portrait de Jimmy Carter

Dans The Observer, Carole Caldwalladr dresse un portrait émouvant de Jimmy Carter.

 J’ai une grande admiration pour Jimmy Carter, l’ancien président américain (celui d’un seul mandat, que Barak Obama aimerait bien exorciser !). Après avoir été battu par Reagan à l’élection de 1986, il a su mettre de côté la rancœur et s’est engagé pour l’élimination de maladies rares et comme médiateur de conflits internationaux.

 La journaliste insiste sur la solidité et la fécondité du couple que Jimmy forme avec son épouse Rosalynn. Elle dit de lui « je crois qu’il a toujours cherché quelque chose de plus à faire (…) Je pense que c’est sa nature d’être aventureux. Il a toujours dit « si vous n’essayez pas quelque chose, vous ne pouvez pas réussir ». C’est pourquoi il n’a jamais peur de l’échec. »

 « Jimmy Carter mena sa carrière avec tout le pragmatisme d’un homme pratique, et avec la moralité profondément enracinée d’un homme religieux. La politique américaine est de plus en plus dominée par ce qu’on appelle la droite religieuse ; des conservateurs qui partagent une vision du monde anti-scientifique, qui traitent l’évolution de théorie hérétique et le système général de santé comme un dangereux socialisme. Mais Carter était de la gauche religieuse, un animal très différent. Il a une profonde foi, enracinée dans ses origines baptistes. Lui et Rosalynn lisent la Bible l’un à l’autre chaque nuit et l’ont fait pendant quelque trente ans. (Ils lisent en espagnol, de manière à pouvoir pratiquer leurs compétences linguistiques au même moment ; ce sont des acharnés de l’amélioration personnelle). « Je lis un chapitre une nuit, dit Rosalynn, et il lit un chapitre la nuit suivante. »

 Photo : Jimmy Carter dans sa petite maison de Plains en Géorgie. Photo de Cris Stanford pour The Observer.

La basilique Saint Julien de Brioude

 La basilique Saint Julien de Brioude, dans le Massif Central, est un chef d’œuvre de l’art roman.

 Nous quittons Anne et Benoît, qui nous ont chaleureusement accueillis dans leur superbe maison en Ardèche, et traversons le Massif Central de Privas au Mont Dore en remplissant nos yeux de paysages somptueux et en visitant à Brioude et Saint Nectaire des trésors de l’art roman.

 La basilique Saint Julien de Brioude est particulièrement intéressante. Elle présente de magnifiques chapiteaux. Un grand nombre de murs ont conservé leurs fresques d’origine – on sait que les églises du Moyen Age étaient intérieurement recouvertes de peintures et ignoraient la pierre nue que nous admirons tant aujourd’hui.

 Un artiste coréen, Kim en Joong, a été choisi il y a quelques années pour dessiner des vitraux seyant à cet édifice multiséculaire. Le résultat est excellent : le graphisme et les couleurs sont modernes mais participent de la même élévation d’âme que les architectes du onzième siècle avaient su insuffler à la basilique.

 Photo « transhumances »

René Payet, le « Don Camillo péi »

Le Journal de la Réunion et le Quotidien de la Réunion rendaient hommage hier à René Payet, qui vient de disparaître à l’âge de 89 ans.

 Son autobiographie avait pour titre « quel diable de prêtre » (Karthala 1996). On l’appelait aussi le prêtre rouge, ou encore le « Don Camillo Péi » (Péi = dont le pays est la Réunion). A vrai dire, l’analogie n’était pas appropriée. Loin de s’opposer aux Peppone du parti communiste réunionnais, René Payet en était le compagnon de route. Il avait longuement collaboré à leur journal, Témoignages, sous le pseudonyme de « Olivier Tienbo », qui en lui-même représentait un double clin d’œil à la créolité : « Tienbo » pour tiens bon ; O.T. pour « Oté ! », l’interjection favorite des Réunionnais (avec un sens voisin de « ça alors ! »).

 René Payet était en conflit chronique avec l’évêque Gilbert Aubry, qui ne supportait pas son engagement politique à gauche : René s’était présenté trois fois à des élections (sans jamais être élu) et avait présidé un Mouvement pour l’égalité, la démocratie, le développement et la nature, proche du Parti Communiste.

 En lisant les réactions des lecteurs du Journal de la Réunion on ressent, malgré les cicatrices des combats passés, une grande affection. Certains Réunionnais pouvaient ne pas aimer ses opinions et ses engagements, mais nombreux sont ceux qui ont été baptisés, catéchisés ou mariés par lui. Il faisait partie de la famille. On souligne sa profonde humanité, son humour, son courage.

 Grâce à Robert Ageneau, j’ai eu l’occasion de rencontrer René dans les années quatre-vingts et quatre-vingt dix. J’étais un jour allé à Orly l’accueillir à l’arrivée du vol Air France de La Réunion. Il m’indiqua qu’il avait des bagages à récupérer au terminal de fret. Les bagages en question étaient principalement des bombonnes de Rhum Charrette. Il sut se montrer convainquant : les douaniers fermèrent les yeux sur ce « cadeau pour les paroissiens exilés en métropole ».

 Quelques années plus tard, je lui rendis visite dans son presbytère de Saint Louis. Il me parla des pratiques de sorcellerie dans les hauts de la Réunion, de comment elles permettaient aux gens de conjurer une peur ancestrale. René aimait vraiment les gens et les comprenait.

 C’est une personne exceptionnelle qui vient de s’éteindre.

 Photo : Journal de la Réunion.