La clé de Sarah, le film

Le film « Sarah’s key », la Clé de Sarah, réalisé par Gilles Paquet-Brenner en 2009, est sorti cet été sur les écrans britanniques.

 En français, le nom du film est « elle s’appelait Sarah ». Il suit de près le roman de Tatiana de Rosnay, dont « transhumances » avait rendu compte le 19 septembre 2009. Il donne un visage lumineux, celui de Kristin Scott Thomas, à Julia, cette journaliste américaine enquêtant sur la rafle du Vel’ d’hiv qui, par son acharnement pour la vérité, va dévoiler des secrets profondément enfouis dans deux familles. Sa propre belle famille a prétendu oublier que, lorsqu’ils occupèrent en 1942 un appartement confisqué à une famille juive déportée, ils avaient trouvé  le cadavre en décomposition d’un petit garçon dans un placard. Le mari américain de Sarah, qui avait enfermé son petit frère dans le placard pour le protéger de la rafle, avait caché à sa propre famille que sa femme était juive et qu’elle s’était suicidée sous le poids de la culpabilité.

 Le film exprime bien la culpabilité écrasante des personnages, qui prétendent épargner leurs proches en gardant le silence mais empoisonnent ainsi leur vie sans s’en rendre compte. Dans le Vel d’Hiv, sous une chaleur étouffante, dans la puanteur et l’angoisse, le père de Sarah reproche à sa petite fille d’avoir condamné son petit frère à une mort atroce, et Sarah ne supporte pas que son père ait laissé filer l’occasion de faire libérer le petit garçon par une jeune femme qui avait tenté, et finalement réussi, une évasion impossible.

 Le roman était magnifique. Le film est au diapason.

 Photo : Kristin Scott Thomas dans « Sarah’s key ».  

Le goupe de Bloomsbury à Charleston Farmhouse

Charleston Farmhouse vue du jardin

Près de Lewes, à une centaine de kilomètres au sud de Londres dans l’East Sussex, Charleston Farmhouse conserve le souvenir de Vanessa Bell, Duncan Grant et du groupe de Bloomsbury.

 Avant de pénétrer dans la maison, on peut s’imprégner de l’ambiance du lieu en flânant dans le jardin, tout petit dans son enclos de murs élevés mais qui offre un exubérance d’espèces végétales, de couleurs et de senteurs.

 On entre dans la maison par petits groupes de huit personnes avec un guide. Les pièces sont toutes petites et ses habitants, pendant soixante ans de vie commune à partir de 1916, ont décoré eux-mêmes les portes, les cloisons, le mobilier jusqu’aux rideaux et aux tissus des fauteuils. C’est un écrin fragile, encore vibrant de l’âme de Vanessa Bell, Duncan Grant, Clive Bell et les innombrables artistes et intellectuels qui y ont séjourné : Virginia Woolf, sœur de Vanessa, et son mari Leopold ; l’économiste John Maynard Keynes ; E.M. Foster ; Lytton Strachey et bien d’autres.

 Le « groupe de Bloomsbury » a une filiation directe avec la fraternité des préraphaélites, née dans le même quartier de Londres : Julia Stephen, mère de Virginia (Woolf) et Vanessa (Bell), servit souvent été de modèle aux préraphaélites et sa tante, la photographe Julia Margaret Cameron, appartenait à la fraternité.

 Le groupe était issu d’amitiés nouées à Cambridge. Ses membres pensaient que rien n’était plus important que les relations personnelles. Ils croyaient que la qualité de ces relations devait primer sur les  conventions sociales. Duncan Grant était homosexuel mais eut une fille, Angelica, avec Vanessa. Vanessa et son mari, le critique d’art Clive Bell, étaient de fait séparés mais partageaient la vie de communauté de Charleston. John Maynard Keynes fit de longs séjours à Charleston bien qu’il eût été pendant quatre ans l’amant de Duncan Grant. Le groupe de Bloomsbury était antimilitariste, passionné de l’art pour l’art, fasciné par les nouveautés venues de France.

 On et frappé par la fécondité artistique et intellectuelle du groupe de Bloomsbury. Je connaissais le keynésianisme. A Charleston House, j’ai aperçu un aspect de la vie de John Maynard Keynes dans un environnement communautaire qui, par bien des aspects, anticipait d’une génération l’esprit de 1968.

 Photo « transhumances »

Philip Gould, la vie inachevée

 

Philip Gould, 61 ans, ancien gourou du New Labour, s’est vu signifier par son médecin qu’il n’a plus que trois mois à vivre. Il parle au journaliste du Guardian Simon Hattenstone de son expérience d’une vie intense à la porte de la mort, qu’il est en train de décrire dans un livre qui sera probablement publié à titre posthume : « la vie inachevée ».

 « La vie inachevée » fait écho à « la révolution inachevée, comment le Parti Travailliste a changé pour toujours la politique en Grande Bretagne », le livre dans lequel Philip Gould raconte l’émergence du « New Labour » de Tony Blair, aux côtés de qui il a joué un rôle de conseiller en stratégie. Blair reste proche de Gould dans son épreuve : un cancer de l’œsophage qui le frappe pour la troisième fois avec, maintenant, un pronostic fatal.

 Quel est le pronostic, avait demandé Gould au spécialiste ? Trois mois, avait répondu ce dernier. Son épouse, l’éditrice Gail Rebuck, demanda alors quel était le meilleur scénario possible. Trois mois, avait-il répondu.

 « Vous savez, cette période de la mort est étonnante, dit Philip Gould. Au moment où entrez dans la phase de la mort, c’est un endroit différent. C’est plus intense, plus extraordinaire, plus puissant. » Après que le diagnostic fut prononcé, lui et Gail parlèrent, parlèrent, du passé et du futur, de tout ce qu’ils avaient réussi et de ce qu’ils avaient raté ; une période de bilan.

 A-t-il peur de la mort ? « A partir du moment où j’ai résolu et réconcilié les choses avec Gail, la peur a disparu. Je pense que l’acceptation est la clé. Si vous acceptez la mort, la peur disparait ».

 Gould a été un passionné de la politique au point dit-il d’en négliger sa famille. Mais à la fin, la politique n’a pas été son but principal. Alors quel a-t-il été ? « Le but maintenant est simplement de vivre cette vie de mort imminente ou émergente d’une manière telle qu’elle donne infiniment d’amour aux gens qui comptent pour moi et, je suppose, qu’elle me prépare à la mort ».

 Photo « The Guardian »

Anthropologie de la City

Dans The Guardian du 15 septembre, Joris Luyendijk annonce le lancement d’une recherche anthropologique sur les banquiers de la City de Londres. L’étude, interactive, est appuyée sur le blog http://guardian.co.uk/bankingblog.

 Le domaine des banques est nouveau pour Luyendijk, qui a principalement travaillé au Moyen Orient, dans les bidonvilles du Caire puis en Palestine entre les leaders du Hamas et les colons juifs. Il se propose de découvrir leurs sous-cultures, leurs codes vestimentaires, leurs manières de parler, leurs stéréotypes, leurs conventions et naturellement leurs plaisanteries : « tous les économistes savent qu’il y a trois sortes d’économistes : ceux qui savent compter et ceux qui ne savent pas. »

 « Le sous-titre du blog, dit Luyendijk, est « devenir un indigène dans le monde de la banque ». C’est un clin d’œil au risque de s’identifier de trop près avec les gens que l’on étudie. C’est ainsi qu’après un bout de temps en Papouasie Nouvelle Guinée, les sacrifices humains finissent par sembler assez raisonnables. »

 Luyendijk parle du code vestimentaire. « Un avocat d’affaires et moi étions assis dans un restaurant nommé l’Anima, un endroit sobrement décoré d’Exchange Square, l’un des plus grands quartiers de bureaux de la City. Il scruta les tables autour de lui et dit : « il y a principalement des avocats ici. Pas d’épouses ou de petites amies spectaculaires, pas de femmes habillées de manière extravagante. Je vois des hommes qui gardent leur veste – ce que nous avons tendance à faire en tant qu’avocats. Beaucoup d’avocats ne voudraient pas être le premier à tomber la veste, et la plupart des avocats que je connais la conservent quoi qu’il en soit. Garder l’uniforme vous fait sentir solide (…). Etre ennuyeux est une bonne chose pour un avocat. Nous vendons de la fiabilité, de la solidité et de la prudence. Nous voulons que notre manière de nous présenter reflète cela. Et nous facturons souvent des honoraires substantiels, alors nous de faisons pas étalage de notre richesse parce que les clients vont se demander : bon, est-ce que je ne suis pas en train de payer trop cher ? »

 « Il se mit alors à comparer son habillement à celui d’un banquier spécialiste en fusions et acquisitions. Les banquiers peuvent s’habiller dans un style très voyant et conduire des voitures très couteuses. La raison en est qu’ils vendent des entreprises à leurs clients, et qu’ils font de leurs clients des gens très riches. Si je suis un banquier spécialiste en fusions et acquisitions et que j’irradie la richesse et le succès, des nouveaux clients potentiels ne vont pas penser : est-ce que je suis en train de payer trop cher ? Les clients potentiels vont penser : ce gars a rendu d’autres gens riches, il doit être très bon, je vais m’attacher ses services de manière a devenir riche moi aussi ». »

 Photo « the Guardian »