La foi de l’Archevêque

 

Dans The Guardian Week-End du 9 juillet, David Hare livre une interview de Rowan Williams, l’Archevêque de Cantorbéry et primat de l’Eglise Anglicane depuis huit ans.

 J’ai consacré le 16 juin un article de « transhumances » à Rowan Williams sous le titre « L’Archevêque indigné ». Son incursion dans la politique britannique, reprochant aux Conservateurs de mener une politique radicale pour laquelle nul n’avait voté et aux Travaillistes leur incapacité à définir une alternative, m’avait impressionné. David Hare décrit Rowan Williams comme un « boxeur de Dieu » n’ayant pas peur de recevoir des coups et d’en donner. Au-delà du polémiste, il nous présente un homme de foi.

 « Il ne convient pas à Dieu de sauver son peuple par des arguments », disait Saint Ambroise cité par Williams. « Oh, voyez, dit ce dernier, l’argument a pour rôle de limiter la casse. Le nombre de gens qui acquièrent la foi par un argument est vraiment plutôt faible. Mais si les gens disent des choses stupides sur la foi chrétienne, alors cela aide de dire seulement « allons, ça ne marche pas ». Il y a un miasme de suppositions : d’abord, qu’on ne peut pas avoir une vision scientifique mondiale et une foi religieuse ; deuxièmement, qu’il y a un problème insoluble autour de Dieu et de la souffrance dans le monde ; et troisièmement que tous les chrétiens sont névrotiques au sujet du sexe. Mais ces arguments ont été recyclés et refourgués plus de fois que nous avons eu de diners chauds. Et je grogne intérieurement chaque fois que je tombe sur un nouveau livre sur les raisons pour lesquelles on ne devrait pas croire en Dieu ».

 « Ce qui change les gens, c’est l’extraordinaire sentiment que les choses se mettent ensemble(…) Faire sens n’est pas un grand système théorique, mais c’est d’une certaine manière pouvoir voir les connexions et – j’ai envie ici d’utiliser l’analogie musicale – entendre les harmonies. Il est possible que tout ne soit pas cohérent dans chaque détail, mais cette harmonie est assez présente pour penser « OK, je prends le risque de m’aligner avec cela ».

 Portrait de l’Archevêque Rowan par Spencer Murphy pour The Guardian Week-End.

L’euro et le Saint Empire Romain

Dans The Guardian du 22 juillet, Simon Jenkins affirme que l’union monétaire, toujours impraticable, a mis en route un désastre européen. Son point de vue, stimulant et critiquable, fait référence au souvenir de la Réforme et de la Contre-réforme.

 L’idée de base de Jenkins est que l’euro oblige les nations européennes à adopter des politiques fiscales contraignantes que les citoyens n’ont pas choisies. Il y a là une distorsion de la démocratie qui est en train de provoquer un divorce des opinions publiques d’avec le projet européen qui augure des conflits toujours plus insolubles dans l’avenir.

Après avoir noté que le langage de haut vol du premier projet de Traité de Lisbonne rédigé par Valéry Giscard d’Estaing était celui d’une encyclique papale, Jenkins écrit : « comme avant la Réforme, l’imposition de l’Europe du Nord pour soutenir les subventions et l’activité de la mère église durèrent un temps, mais elle ne pouvait durer pour toujours. Les contribuables allemands peuvent secourir les Grecs, parce que la moitié des dettes grecques appartiennent à des banques étrangères. Mais les contribuables ne vont pas aussi secourir des Portugais, les Espagnols et les Italiens. Le projet de faire revivre le Saint Empire Romain est condamné à l’échec. Les thèses de Luther vont bientôt être clouées sur les portes, non de Wittenberg mais du palais Berlaymont de Bruxelles. « Une union toujours plus étroite » a toujours été un dangereux fantasme, un impérialisme autoritaire forgé dans les imaginations trop pleines des cardinaux de la foi paneuropéenne. Ils pensaient qu’ils pourraient nier la réalité politique. Son arrogance réside dans la croyance que d’une certaine manière l’union monétaire pourrait laisser l’identité nationale intacte, qu’un parlement européen corrompu pourrait offrir suffisamment de responsabilité (« accountability ») démocratique.  Une vigoureuse démocratie interne est l’une des forces des Etats européens d’après guerre. Une distante discipline ne fonctionnera pas. Toute union plus étroite tombe carrément dans la définition de l’historienne Barbara Tuchman d’une grande folie historique, « une politique dont on peut démontrer qu’elle impraticable » et qui est connue comme telle à l’époque. C’était la politique suivie par les leaders européens, comme tant de folies auparavant, comme un « enfant chéri du pouvoir ». La tentative d’imposer une discipline fiscale dans toute l’Europe va provoquer sa mort. »

 L’article de Simon Jenkins est amusant par sa référence aux temps des guerres de religion, même si la Grèce, épicentre du séisme actuel, appartenait alors à l’Empire Ottoman et n’avait guère d’allégeance envers la papauté. Il pose surtout de vraies questions sur la démocratie. Le récent sommet de Bruxelles a ainsi décidé que tous les Etats de la zone Euro devraient revenir à 3% de déficit des finances publiques en deux ans, mais les électeurs n’ont nullement été consultés. Le manque de consultation des citoyens fait le lit des extrémismes et du populisme.

 Il est aussi profondément erroné. Il part du présupposé que, aujourd’hui comme il y a cinquante ans, le cadre national est le seul adéquat pour exercer la démocratie. Or, d’immenses centres de pouvoir se sont constitués ignorant les frontières des nations, qu’il s’agisse des multinationales industrielles ou financières ou du crime organisé. En parallèle, le pouvoir s’est aussi rapproché des citoyens par la décentralisation au profit des régions et des communes, au point qu’une sécession de l’Ecosse du Royaume Uni n’est plus inimaginable. Le projet européen n’est pas un monolithe pontifical comme le suggère Jenkins. C’est une réorganisation des pouvoirs dans la diversité, de manière à respecter et encourager les cultures multiples du continent et, parallèlement, pouvoir peser ensemble à l’échelle internationale. L’euro fait partie de ce projet. Il ne relève pas du fantasme mais d’une bonne intelligence d’un monde où la monnaie est au cœur des relations internationales.

 Jenkins raille l’obsession de Tony Blair de faire rentrer la Grande Bretagne dans l’Euro. La crise de la monnaie unique européenne rend actuellement inaudible la voix de ceux ses partisans en Grande Bretagne. Je ne suis pas certain que la question ne se repose pas dans les quelques années à venir.

 Photo « The Guardian » : un euro frappé en Grèce.

Aller à Ikea

Aller à Ikea est sur la liste non exhaustive des choses que la chanteuse Rose voudrait faire avec son amour.

 Le parcours du magasin Ikea de Bordeaux Lac s’étale sur deux niveaux et plusieurs centaines de mètres. Rien n’est épargné au consommateur, qui ne bénéficie pas, comme au magasin frère de  Wembley, de raccourcis. Pour acheter une banale poubelle de salle de bains, il faut monter au premier étage et visiter en grand détail les bureaux, les chambres, les cuisines et les salons avant de gagner le droit de redescendre au pays des batteries de cuisine, luminaires, cadres de tableaux, tapis et autres housses de couettes.

Le parcours se fait à sens unique dans une foule bigarrée dans laquelle les vieux claudicants se heurtent aux enfants braillards à qui les parents exaspérés promettent de justes punitions corporelles, et les hommes tatoués et ventripotents reluquent les jeunes filles en talons aiguille.

 Ikea Bordeaux Lac invite à l’humilité. Nous ne sommes pas plus adroits que nos compagnons d’embouteillage et provoquons plus qu’à notre tour des bouchons devant les rayons qui attirent notre attention. Nous nous promettons bien de ne pas nous laisser piéger par le machiavélique marketing de la grande surface, mais au terme d’une épreuve de plus d’une heure, nous découvrons à la caisse que notre liste de courses initiale n’avait rien d’exhaustif : elle s’est alourdie d’un bon nombre d’articles dont l’absolue nécessité nous est apparue pendant notre interminable pérégrination.

Photo Ikea.

Quatorze Juillet

La polémique suscitée par la proposition d’Eva Joly de remplacer le défilé militaire du quatorze juillet par un défilé citoyen souligne le caractère émotionnel de la fête nationale en France.

 Je trouve stimulante la proposition d’Eva Joly et déplacées les réactions de ceux qui fustigent l’origine norvégienne de la candidate écologiste à la présidentielle. Un défilé citoyen mettrait en scène les forces vives de la société civile, romprait la dichotomie entre acteurs en uniforme et spectateurs et serait plus cohérent avec l’événement fondateur de la République, la prise de la Bastille par le peuple de Paris.

 Toutefois, il faut bien reconnaître qu’un défilé citoyen unique ferait double emploi avec les rassemblements citoyens multiples qui, partout en France, marquent la fête nationale par des dîners champêtres, des bals musette et des feux d’artifice. Je ne connais pas de pays européens où la fête nationale est célébrée par tant de citoyens, en tant de lieux et avec tant de cœur.

 Le défilé militaire porte, lui aussi, le souvenir vivant de la Révolution Française et de la défense de la patrie en danger. Il nous rappelle que, comme nation, nous avons décidé d’intervenir en Côte d’Ivoire, en Lybie ou en Afghanistan et que des hommes risquent leur vie pour cela. Il donne de la France une image multicolore de perfection humaine et technologique à laquelle nous aimerions tant que ressemble la réalité de notre pays.

 Photo « transhumances » : feu d’artifice à Carcans (Gironde), le 14 juillet 2011