Quand est-ce qu’on mange ?

Pour la seconde fois, un groupe d’amis constitué lors de notre séjour madrilène s’est retrouvé fin juin pour un week-end partagé.

 Nous nous retrouvons quatre couples de quinquagénaires ou sexagénaires pour quatre jours de retrouvailles. Nous étions l’an dernier dans la maison de Didier et Frédérique, près de Toulouse. Cette année, il nous revient d’organiser les retrouvailles. Nous avons opté pour une comédie musicale à Londres le vendredi soir, la visite de la ville de Bath le samedi, une promenade au travers de la région des Cotswolds par Bibury, Burford, Bourton on the Water et les jardins de Hidcote le dimanche et la visite de Stratford upon Avon, la ville de Shakespeare, le lundi.

 Il est difficile d’être plus dissemblables. Nos personnalités vont de la timidité réflexive à l’extraversion jubilante. Nos métiers et occupations sont différents, comme le sont nos centres d’intérêt. Nous vivons dans des régions différentes. Pourtant, nous passons un voyage merveilleusement harmonieux. C’est en partie dû au soleil qui brille généreusement. Cela tient aussi en partie au luxe relatif de notre voyage : nous descendons dans des hôtels confortables, nous circulons en voiture, nous n’hésitons pas à nous arrêter dans un pub ou un restaurant, nous visitons des sites remarquables et coûteux. « Quand est-ce qu’on mange » est devenu le refrain souriant de notre voyage : nous veillons à ce que le rythme biologique de chacun soit respecté.

 Nous devons aussi ce moment de bonheur à la gentillesse des Anglais. Dans le restaurant Green Park de l’ancienne gare de Bath, la serveuse prie aimablement des consommateurs de nous laisser une table suffisante pour notre groupe de huit personnes ; la même scène se produira dans le pub le plus ancien de Stratford upon Avon, où un couple nous laisse aimablement sa place.

 Nous savons saisir les opportunités : un champ de coquelicots à photographier, un chœur répétant un concert dans l’Abbaye de Bath, un pianiste de rue jouant d’un drôle d’instrument de son invention, un rock endiablé au son d’une guitare près du bar d’un pub, la douceur d’un déjeuner dans le jardin secret d’un restaurant à l’écart de la foule, le goût amer d’une bière ou d’un cidre de la région, la sieste dans un pré des jardins du manoir d’Hidcote.

 Au fil des conversations, nos vies prennent de l’épaisseur : les gens que nous aimons, les joies et soucis professionnels, les lieux que nous aimons et ceux que nous visitons, nos projets de vacances. Et notre souci immédiat et partagé : « quand est-ce qu’on mange ? » ! L’amitié se fonde aussi sur les nourritures terrestres.

 Photo « transhumances ».

 

Parangonnage

Le « benchmarking » est à la mode, dans les entreprises comme dans les administrations publiques. Un mot français tente de le substituer : « parangonnage ».

 L’Ambassadeur de France à Londres, Bernard Emié est témoin du benchmarking effréné que la présidence et le gouvernement français font de la politique menée en Grande Bretagne par le gouvernement de David Cameron. Ils tentent de comparer les pratiques des deux côtés de la Manche, de comprendre ce qui est semblable et différent, d’identifier ce qui marche et ce qui ne marche pas, de comprendre ce qu’on pourrait acclimater dans notre pays et ce qui semble trop lié à la culture anglo-saxonne pour que l’on puisse l’adapter avec succès.

 Si le mot « benchmarking » est dans toutes les bouches, si la pratique de la comparaison est sans nul doute féconde, utiliser de manière répétée un anglicisme écorche la francophonie. L’Ambassadeur a donc suggéré le mot « parangonnage ». On connait l’expression « un parangon de vertu », et c’est bien de cela qu’il s’agit : tendre à l’excellence en se mesurant à d’autre. Abandons-nous donc aux plaisirs de la comparaison des pratiques vertueuses : parangonnons !

 Photo « transhumances » : bas reliefs à la façade d’un pub à Stratford-upon-Avon

Au travail à bicyclette

Dans The Sunday Times du 19 juin, Robin Henry indique que, pour la première fois, le nombre de trajets jusqu’au travail à bicyclette dépasse le nombre de trajets en voiture dans la City de Londres aux heures de pointe.

 Malgré la mise en service des « Boris Bikes », l’équivalent londonien du Vélib’ et la création de quelques miles de pistes cyclables, Londres reste en général une ville hostile aux cyclistes. Pourtant, sur Cheapside, une rue dans la City, les vélos constituent plus de 50% des déplacements domicile / travail (« commuting ») selon des données officielles, et ils comptent pour 42% de la circulation sur le pont de Southwark au dessus de la Tamise. Dans d’autres villes d’Angleterre, comme Bristol, Cambridge ou York, la bicyclette représente aussi un moyen de transport en fort développement.

 A Londres, le succès de la bicyclette s’explique en partie par la « congestion charge », l’octroi perçu sur tout véhicule pénétrant dans le centre ville, qui rend en semaine le trafic relativement fluide. Il est aussi dû à l’inconfort du métro aux heures d’affluence, bondé et en permanence proche du point de rupture. Il répond à un effet de mode : les journaux publient souvent des photos de célébrités délaissant la voiture pour la petite reine, ne fût-ce que le temps du cliché.

 Il y a enfin le succès des bicyclettes pliables, qui sont autorisées sur les trains même aux heures de pointe. A chaque arrivée dans les grandes gares londoniennes, des dizaines de ces engins sont déployés.

 Photo « The Guardian », 2007

Le « Mad Professor » a pour horizon le monde

Dans The Guardian du 14 juin, Peter Wilby trace le portrait de Michael Barber, surnommé « the Mad Professor ») le professeur fou, qui fut l’éminence grise de Tony Blair en matière d’enseignement.

 Agé de 55 ans, Michael Barber a enseigné à Watford (Hertfordshire) et au Zimbabwe, fit un court passage dans la politique locale au sein du Parti Travailliste, puis fut conseiller du New Labour en matière d’enseignement. La politique suivie consista à imposer des connaissances de base pour la maîtrise du langage (« litteracy ») et du calcul (« numeracy ») ainsi que des indicateurs de performance ; elle fut ressentie comme dictatoriale et largement rejetée par le corps enseignant.

 Barber quitta ses fonctions en 2005 pour le cabinet de consultant mondialement renommé Mc Kinsey don la devise officieuse, selon Peter Wilby, pourrait être la sienne : « tout peut être mesuré, et ce qui se mesure peut être géré. »

 Barber a été nommé « head of global education practice » à Mc Kinsey (responsable du département d’éducation mondiale) et a créé aux Etats Unis une « education delivery unit » sue le modèle de la structure instituée par Blair pour mettre en œuvre la réforme de l’enseignement). Il est co-auteur de livres qui entendent mettre en lumière les conditions de succès pour les systèmes nationaux d’enseignement, et il assure la coprésidence d’un groupe de travail au Pakistan pour établir des standards fondamentaux pour l’enseignement de base. Il vient de devenir conseiller pour les questions d’éducation du groupe Pearson, le propriétaire de Penguin Books et du Financial Times qui est, selon sa propre description « la compagnie leader mondiale dans la formation » avec une présence dans 70 pays, y compris dans l’enseignement primaire au Kenya et l’enseignement supérieur en Afrique du Sud.

 Né à Liverpool dans une famille Quaker prospère, Michael Barber ne croit plus en Dieu ni en un pacifisme absolu. Mais il affirme que les valeurs Quakers guident encore sa vie, en particulier la croyance que « vous êtes sur la planète pour faire une différence ».

 Il s’agit d’une personnalité intéressante, à la fois par le contraste entre ses origines religieuses et idéalistes et une approche presque statistique de l’éducation et par sa volonté d’avoir une vision mondiale des questions d’enseignement.

 En écrivant cet article, je me rends compte de la difficulté de traduire d’une langue à l’autre les concepts relatifs à l’éducation. L’anglais utilise le concept de « education », qui couvre à la fois l’enseignement au sens strict et l’éducation au sens large. Il parle aussi de « learning », qui peut se traduire par apprentissage ou formation, mais vu du côté de celui qui apprend et non du côté du maître de stage ou du formateur, comme ce serait le cas en français.

 Photo « the Guardian » : Michael Barber.