Concert en la cathédrale d’Ely

La cathédrale d’Ely est, comme celle de Chichester à laquelle « transhumances » a consacré récemment un article, est un lieu de spiritualité vivante.

 Ely est une petite ville à une trentaine de kilomètres au nord de Cambridge. Comme celle de Chartres, sa cathédrale domine la plaine environnante et s’aperçoit à des kilomètres de distance. La nef, longue et massive, est de style roman. La principale caractéristique de l’édifice est une tour octogonale construite au quatorzième siècle après que la tour centrale romane se fut effondrée. Le chœur, construit à la même époque, est de style gothique.

 Le Chœur de la cathédrale et l’Orchestre d’East Anglia répètent le concert de ce soir : Vivaldi, Albinoni, Haendel, Bach. L’immense édifice vibre de musique et de sensations. Des œuvres d’art contemporaines amplifient le souffle spirituel venu du fond des siècles : une interprétation de la Vierge Marie en passionaria, la rencontre de Marie Madeleine et Jésus ressuscité dans le style de Giacometti, une immense sculpture en acier représentant à la fois un labyrinthe et une croix d’acier, œuvre de Jonathan Clarke.

 Dans une tribune latérale de la nef a été installé un musée du vitrail. L’essentiel de la collection est consacrée aux dix-neuvième et vingtième siècles. Les Anges Musiciens, vitrail réalisé vers 1910 sur un dessin d’Edward Burne-Jones (1833 – 1898) est magnifique. J’ai été ému par « pictures of violence », œuvre de Rosalind Grimshaw, qui assemble des images réalisées selon des techniques du vitrail différentes.

 Nous étions de passage à Ely, avant de poursuivre notre excursion à Cambridge. Nous sommes restés plusieurs heures dans ce lieu exaltant.

 Photo « transhumances » : Way of life, sculpture de Jonathan Clarke dans la cathédrale d’Ely.

L’assistance judiciaire en question en Grande Bretagne

L’aide judiciaire va être l’une des victimes du plan de restrictions budgétaires en Grande Bretagne. The Guardian a publié le 6 juin un article d’Amelia Hill sur les conséquences de ces mesures.

 Le Gouvernement britannique a l’intention de supprimer totalement l’assistance judiciaire dans plusieurs situations telles que les conflits familiaux, sauf lorsqu’ils comportent une violence domestique. L’économie budgétaire est conséquente : 350 millions de sterlings. On estime que 500.000 à 650.000 personnes ne pourront se prévaloir des services d’un avocat payé par le Ministère de la Justice et devront défendre elles-mêmes leur cause devant les tribunaux.

 Amelia cite le cas de Stuart Johnson, un père de famille divorcé en 2007 après 17 ans de mariage et  à qui son ex-femme déniait l’accès à Jim, leur jeune fils âgé de 4 ans, bien que le droit de visite lui fût reconnu. Pensant à tort que son niveau de revenu ne lui donnait pas droit à l’assistance judiciaire, il dut se représenter lui-même au procès. Il décrit cette expérience comme horrible, intimidante, embarrassante et humiliante. « Il n’y avait personne pour me dire comment me comporter au tribunal. Je ne savais pas quelle preuve il fallait ou même comment parler au juge. J’apportais avec moi deux valises de papiers à chaque audience mais alors, parce que je ne savais pas quand parler et quand me taire, ou quels termes légaux utiliser, ou ce qui était important de lui dire et ce qui ne l’était pas, le juge se mettait en colère et je devenais confus et émotif ».

 Stuart pataugea ainsi pendant 18 mois avant de découvrir qu’en réalité il avait droit à l’aide judiciaire. L’aide d’un professionnel lui permit de remettre les choses d’aplomb et d’obtenir gain de cause. « C’est horrible de devoir passer tout seul par un processus judiciaire. La Justice n’est pas rendue parce que vous êtes tout seul à vous battre, et que vous ne connaissez pas les règles ».

 Photo « the Guardian » : Stuart Johnson.

Essor des accents régionaux en Angleterre

Loin de s’éroder sous l’effet de la radio et de la télévision, les accents régionaux gagnent du terrain en Angleterre et de nouveaux dialectes urbains se forment sous l’effet de l’immigration. C’est ce qu’affirme la journaliste Rosie Kinchen dans le Sunday Times, le 5 juin.

 Cheryl Cole, la star de l’émission de variétés britannique X Factor, vient d’être exclue de l’avatar américain de ce programme : les téléspectateurs du Midwest n’auraient pas apprécié son accent « geordie », celui des natifs de Newcastle on Tyne, l’équivalent anglais de l’accent chti.

 Pourtant, écrit Rosie Kinchen, « on croyait autrefois la progression de l’anglais de l’Estuaire (l’anglais de  Londres et du sud-est de l’Angleterre) irrésistible ; maintenant, pourtant, la Grande Bretagne est en train de se sauver d’une fade homogénéité linguistique par la résurgence d’accents régionaux et de nouveaux dialectes urbains façonnés par les manières dont les immigrants parlent l’anglais. Des villes comme Birmingham, Bradford et Londres sont le foyer des nouveaux dialectes urbains, alors que les accents régionaux qui connaissent le plus grand développement se trouvent dans les Nord Est et les West Midlands. Le développement a démenti les craintes que l’Angleterre puisse un jour se retrouver avec rien d’autre que des accents génériques du sud et du nord. »

 Des chercheurs en sociolinguistique, comme Paul Keswill de l’Université de Lancaster ou Carmen Llamas, de l’Université de York, observent les évolutions en cours. On ne distingue pas moins d’une quinzaine d’accents différents en Angleterre. Ils observent que le « geordie » de Newcastle tend à se répandre dans les régions limitrophes, ou que les particularités du « scouse » de Liverpool se renforcent. Ils observent aussi la montée de « l’anglais multiculturel de Londres », baptisé « Jafaican », qui doit ses racines aux immigrants mais est maintenant parlé par plusieurs groupes ethniques et tend à remplacer le cockney (la version londonienne du titi parisien) dans les quartiers populaires de l’est de Londres.

Pour l’immigrant français à Londres que je suis, les différences entre tant d’accents sont parfois imperceptibles. Je suis toutefois frappé par la multiplicité des façons de parler à la télévision. L’anglais aristocratique de la famille royale et de David Cameron occupe une bonne place, mais c’est aussi le cas du « geordie » de Cheryl Cole : il fait partie de son identité de star et est volontiers adopté par ses admirateurs. Je ne suis pas sûr qu’une chaîne de  télévision française accepte si naturellement le parler de Dunkerque ou de Colmar.

 Photo Cheryl Cole, www.cherylcole.com

HHhH

HHhH, roman de Laurent Binet (Grasset 2009) raconte l’attentat contre Reynard Heydrich à Prague le 27 mai 1942.

Himmlers Hirn heißt Heydrich, le cerveau d’Hitler s’appelle Heydrich, HHhH, tel était l’un des surnoms d’Heydrich, organisateur du service de renseignement de la SS, metteur en scène de la « solution finale » et, en 1942, « Protecteur » de la Bohême Moravie. Stéphane Binet ne cache pas sa fascination pour le personnage, un homme intelligent, travailleur, coureur de jupons, mélomane comme son père, habile à manier la carotte et le bâton, courageux au point de participer aux combats aériens sur le front russe et de circuler dans Prague sans escorte dans une voiture découverte, et surtout totalement dénué de sens moral. Profitant de la « nuit des longs couteaux », il fait emprisonner et abattre un ennemi personnel et ordonne qu’on laisse « ce cochon se vider de son sang » jusqu’à ce que mort s’en suive.

 L’autre objet de fascination pour l’auteur est Prague, ville où il a vécu et où il a aimé. Il s’assimile tant aux héros de l’attentat de Prague, Gabčík, Kubiš et Valčík que le roman quitte parfois le terrain du récit historique pour s’approcher d’une autobiographie imaginaire.

 L’attentat contre Heydrich, dans un virage de la route montant au château tourne au fiasco : la mitraillette de Gabčík s’enraille, la grenade de Kubiš explose derrière la voiture et ne fait que blesser le Protecteur.  L’arrivée de tramways complique encore la situation, mais permet aux trois auteurs de l’attentat de s’enfuir. L’opération d’Heydrich pour des blessures dans le dos est un succès, mais du crin de cheval utilisé pour le rembourrage des sièges de la voiture a été projeté dans la plaie et il meurt quelques jours plus tard de septicémie.

 Les auteurs de l’attentat se réfugient avec d’autres parachutistes dans la crypte d’une église. Ils apprennent le succès de leur mission, la mort de leur cible, mais aussi la férocité de la répression que les Nazis, furieux de voir mise en question leur invulnérabilité et de ne pas mettre la main sur les coupables, ont déclenchée : en une nuit, le village de Lidice, suspecté à tort d’être celui d’un des « terroristes » est rayé de la carte et ses habitants, femmes et enfants compris, sont assassinés ou déportés. Pendant des heures, une poignée de parachutistes tiennent tête à huit cents soldats avant de mourir sous les balles ou de se donner la mort.

 HHhH est un roman palpitant qui ne laisse pas au lecteur le temps de respirer. C’est aussi un coup au ventre : il nous rappelle la réalité de l’inimaginable violence nazie, que l’on connaît intellectuellement mais qui, par la littérature, prend aux tripes. Binet raconte le massacre des Juifs à Babi Yar, dans la périphérie de Kiev, en septembre 1941. « Dans un souci d’efficacité très allemand, les SS, avant de les abattre, faisaient d’abord descendre leurs victimes au fond de la fosse, où les attendait un « entasseur ». Le travail de l’entasseur ressemblait presque en tout point à celui des hôtesses qui vous placent au théâtre. Il menait chaque Juif sur un tas de corps, et lorsqu’il lui avait trouvé une place, le faisait étendre sur le ventre, vivant nu allongé sur des cadavres nus. Puis un tireur, marchant sur les morts, abattait les vivants d’une balle dans la nuque. Remarquable taylorisation de la mort de masse. Le 2 octobre 1941, l’Enisatzgruppe en charge de Babi Yar pouvait consigner dans son rapport : « Le Sonderkommando 4a, avec la collaboration de l’état-major du groupe et de deux commandos du régiment Sud de police, a exécuté 33.771 Juifs à Kiev, les 29 et 30 septembre 1941 ». »

 Le roman nous parle de personnages héroïques, prêts a sacrifier leur vie et leur jeunesse pour une cause qui les dépasse, et d’effroyables lâches, Chamberlain et Daladier trahissant leur allié tchécoslovaque à Munich pour une paix illusoire, Karel Čurda trahissant à Prague ses compagnons parachutistes pour quelques millions de marks.

 Notre démocratie est imparfaite, sans cesse menacée d’être rognée par le populisme et la politique spectacle. Mais c’est un bien précieux, chèrement acquis.

 Photo « transhumances » : le château de Prague vu du Pont Charles.