La force de Pâques

110420_cierge_pascal.1303328026.jpg

Je suis sensible à la force des symboles de Pâques.

Ils nous parlent d’expériences humaines fondamentales : la traversée de la Mer Rouge après les années de servitude, le feu et la lumière après l’obscurité, l’arbre plein de sève après l’arbre mort de la croix, la résurrection après la mort.

Ils nous signalent une image de Dieu bouleversante : non pas Horloger, ou Juge, ou Seigneur. Mais un Dieu homme, et homme maltraité et torturé. Ils nous disent que Dieu, s’il existe, n’est pas immuable : il est transformation, mouvement, énergie, échange, amour. Transposé en langage philosophique par Hegel, cela signifie que Dieu est dialectique : l’idée éternelle a besoin de la matière périssable pour accéder à un stade supérieur de son être. Dieu est Trinité, et le seul péché qui ne peut être pardonné est le péché contre l’esprit.

Le Dieu que nous indiquent les symboles de Pâques est fondamentalement ennemi des religions, qui prétendent l’enfermer dans un dogme et dans des rites et qui, ce faisant, pèchent contre l’esprit. Le paradoxe est que la mémoire de Pâques nous est transmise par des organisations religieuses.

Est-il fatal que le souffle prophétique de l’événement pascal ne nous soit accessible que sous la forme d’un dogme ? Est-il fatal que l’extraordinaire histoire rapportée par les disciples de Jésus, interprétée non comme une vérité révélée mais comme un sommet parmi d’autres de la sagesse humaine, se dissolve dans l’oubli si elle n’est pas structurée par des prêtres et des théologiens comme un corps de doctrine ?

Illustration : cierge pascal, www.liturgiecatholique.fr

Action pour le Bonheur

110414_bonheur.1302804606.JPG

Le mouvement « Action pour le Bonheur » (Action for Happiness) a été lancé au Royaume Uni le 12 avril. Son directeur, Mark Williamson, explique son positionnement et son programme dans le quotidien The Guardian.

Fondé par des chercheurs en sciences sociales dont Richard Layard, professeur à la London School of Economics, Action for Happiness se présente comme un mouvement de masse pour le changement social. « Il se base sur une idée simple, qui est que si nous voulons une société plus heureuse, nous devons dans nos propres vies donner priorité à ce qui compte vraiment, y compris le bonheur de ceux qui nous entourent. »

Action for Happiness dénonce une société certes devenue plus prospère, mais aussi « de plus en plus concurrentielle et égoïste, avec une culture qui nous encourage à poursuivre la richesse, l’apparence, le statut et l’avoir au dessus de tout le reste. Dans les années soixante, 60% des adultes en Grande Bretagne disaient qu’ils croyaient qu’on peut faire confiance à la plupart des gens. Aujourd’hui le chiffre tourne autour de 30%. »  Il est urgent de combattre l’épidémie de solitude et d’isolement dont souffre le pays.

Le modèle du Mouvement est le Danemark. « Si la Grande Bretagne se hissait à son niveau,  2,5 millions de personnes de moins seraient malheureuses, et 5 millions de personnes de plus seraient très heureuses. » La recette : « des familles aimantes, des amitiés proches, une bonne conscience de soi-même, de forts liens communautaires, faire des choses pour les autres, rester actif  et avoir d’une certaine manière un but plus large pour sa vie. » Et pour y arriver, des actions pratiques telles que « trouver chaque jour des choses dont on est reconnaissant, même si elles sont petites ; essayer quelque chose de nouveau ou de différent ; et rechercher ce qui est bien dans les autres ».

Le mouvement affirme avoir une base scientifique, la science du bonheur. Il rejoint en ce sens les préoccupations de gouvernements, notamment ceux de Grande Bretagne et de France, qui veulent mesurer l’état de bonheur de la population. Transhumances avait évoqué ces projets le 9 janvier 2011 dans un article intitulé « bonheur national brut ».

Mark Williamson reconnaît que « à un moment où les familles et les communautés sont confrontées partout au Royaume Uni à des difficultés économiques, une sécurité de l’emploi incertaine et des coupes budgétaires sauvages, parler du bonheur peut sembler aller à contresens. » En effet, les critiques, tels John Grace, lui aussi dans The Guardian, estiment que ce n’est pas le moment : « dans une période de coupes budgétaires, je peux voir l’intérêt de se centrer sur les espaces de sa propre vie sur lesquels on peut exercer un certain contrôle. Mais cette poursuite du bonheur personnel est une distraction des causes réelles du malheur. Je suis prêt à parier que si les Danois sont si heureux, c’est qu’ils ont moins de pauvreté, moins d’inégalité et plus de mobilité sociale, et pas parce qu’ils méditent en plus grand nombre. Et la pauvreté, l’inégalité et la mobilité sociale peuvent être quantifiées. »

Dans le même sens, Simon Jenkins affirme que le bonheur a une forte dimension sociale et politique. Les gouvernements, dit-il, savent pertinemment ce qui rendrait les gens heureux, comme construire des hôpitaux à taille humaine au lieu de faire la course à la concentration et au gigantisme, ou abroger la loi sur les drogues de 1971 au lieu criminaliser les utilisateurs.

La science du bonheur en est encore à ses balbutiements. Happiness (bonheur) est un concept voisin de flourishing (épanouissement) et wellbeing (bien-être). Il est né pendant le Siècle des Lumières et est mentionné dans la Déclaration d’Indépendance américaine. Le droit au bonheur s’est imposé contre les religions, qui le reconnaissait dans l’autre monde mais le niait au monde des vivants. Action for Happiness associe bonheur et altruisme. Ce faisant, le Mouvement laïcise ce que les religions désignent par « charité ». En ce sens, il constitue une initiative bienvenue !

Photo « transhumances »

La gestion du chaos monétaire

110413_city.1302726571.JPG

La réforme du système monétaire international est l’un des objectifs de la présidence française du G20. Mais existe-t-il vraiment un système monétaire international ? Et est-il réformable ?

Dans le cadre de la présidence du G20, l’Ambassade de France en Grande Bretagne organise un cycle de conférences sur le thème « le G20, une révolution silencieuse dans la gouvernance mondiale ». L’une de ces conférences, en partenariat avec le Financial Times dans les locaux du journal, était consacrée à la réforme de la régulation financière et du système monétaire international.

Les intervenants s’accordèrent sur le diagnostic. Le monde est en train de changer à une vitesse accélérée. La Chine, d’autres pays asiatiques et le Brésil croissent à marche forcée. Comme ces pays n’ont pas confiance dans le système monétaire international, ils accumulent de gigantesques réserves qui constituent une menace pour l’équilibre mondial. Se référant à l’ancien étalon or, Jacques de Larosière énonça les caractéristiques d’un vrai système monétaire international : les monnaies sont convertibles, il y a un mécanisme d’ajustement automatique lorsqu’un pays dérape et il n’y a pas de marge de négociation. Si l’Etat émetteur de la principale devise, le dollar, refuse de se soumettre à une discipline commune, si les autres Etats sont libres de laisser flotter leur monnaie ou, comme la Chine, d’appliquer un taux fixe avec le dollar, ce n’est pas d’un système monétaire, mais d’un chaos monétaire qu’il faut parler.

Des progrès ont été accomplis récemment en élargissant les compétences et les ressources du fonds monétaire international, mais on est loin du compte. Les intervenants à la conférence semblaient avoir fait leur deuil d’une vraie réforme. Ils reportaient leurs espoirs sur une amélioration concertée de la gestion prudentielle des banques. Il s’agit en particulier de tenir sous contrôle la taille du bilan des banques et leur capacité de création monétaire par le crédit. La Banque des Règlements Internationaux à Bâle tend à accroître le capital que les banques doivent détenir pour garantir leurs engagements. D’autres sujets sont sur la table : la séparation des banques de détail et des banques d’investissement, les bonus des traders, les agences de rating. Les intervenants à la table ronde soulignèrent le risque que, sous la pression du lobby des banques, le mouvement de réforme s’essouffle. C’est bien ce qui se passe en Grande Bretagne. Le rapport intérimaire de la Commission Vickers sur la Banque tourne le dos à une séparation entre ce que le Parti Libéral Démocrate appelait « la banque casino » et la « banque de service ». Il y a quelques semaines, le dialogue entre banques et Gouvernement baptisé « Projet Merlin » se limitait à un code de bonne conduite, en particulier sur les bonus.

L’animateur du débat, le journaliste du Financial Times Martin Wolf, par ailleurs l’un des membres de la Commission Vickers, semblait s’accommoder du chaos : « quand on voit la gravité et la violence de la crise, on s’en est sorti remarquablement bien », remarquait-il. On sentait chez Jacques de Larosière une profonde frustration de ne pouvoir mettre plus de rationalité dans les relations économiques internationales. Plus qu’une divergence sur le fond, leur désaccord était culturel : pragmatisme d’un pessimiste tout étonné d’être encore en vie du côté de l’Anglais, dépit d’un idéaliste cartésien face à la mauvaise volonté des faits et des chiffres du côté du Français.

Photo « transhumances » : la City à Londres

Rouen, à l’ombre de Saint Jean-Baptiste

110404_rouen_saint_jean-baptiste.1301949431.JPG

La Tour du Gros Horloge à Rouen est décorée d’un bas relief représentant Saint Jean-Baptiste. Et l’un des portails de la Cathédrale illustre sa décollation.

A gauche, le roi Hérode et ses convives admire la danse de la belle Salomé. Celle-ci obtient en remerciement la tête de Jean-Baptiste. Comme dans une bande dessinée, on assiste à la décapitation du saint dans son cachot, à droite de la scène. Mais l’histoire ne suit pas tout à fait l’ordre chronologique : on revient au centre du tableau pour voir Salomé recevoir son trophée.

Lorsque la cathédrale a été construite, Rouen était une capitale du textile. Comme dans les Cotswolds, en Angleterre, les tisseurs avaient le culte du mouton et avaient fait de l’ermite à la peau de mouton leur saint patron.

Photo « transhumances »