Pour l’économie britannique, un plan B ?

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Dans The Guardian du 16 décembre, le caricaturiste Steve Bell évoque le saut dans l’inconnu de l’économie britannique.

Le dessin montre le Premier Ministre David Cameron et le Chancelier de l’Echiquier George Osborne conjointement dans le rôle d’un cheval ailé s’élançant d’une falaise. « Un plan B ? Et pourquoi donc aurions-nous besoin d’un plan B ?», demande Cameron.

Le programme d’augmentation d’impôts et d’économies budgétaires bénéficie à ce jour d’un large soutien. Les britanniques sont effrayés par la hausse vertigineuse du déficit public et de l’endettement, et craignent que le pays s’engage dans une spirale négative à la grecque ou à l’irlandaise. Pourtant les premiers signes de résistance sont apparus avec les manifestations contre la hausse des droits d’inscription à l’université. Ils devraient s’intensifier : dans la fonction publique, 130.000 licenciements devraient être effectués avant avril, début de la nouvelle année fiscale. La TVA va passer de 17.5% à 20% en janvier, ce qui ponctionnera le pouvoir d’achat. On peut toutefois prévoir que le Gouvernement restera ferme sur l’application du programme, du moins si les choses ne dérapent pas.

Or, le consensus des économistes est que l’économie devrait croître de 1.6% à 2% en 2011. Leur optimisme est fondé sur la reprise des exportations dopées par la faiblesse de la livre, la capacité d’adaptation des entreprises britanniques, la renaissance du secteur financier. Pour eux, les choses ne devraient pas déraper. Le cheval ailé ne se lance pas du haut de la falaise, il n’y a pas lieu de penser à un plan B.

On est toutefois frappé par les contradictions qui tiraillent la société et l’économie britanniques aujourd’hui. Les exportations augmentent certes de 4%, mais les importations augmentent davantage et tirent l’inflation. Les pétrodollars s’engouffrent dans le marché immobilier londonien et tirent les prix vers le haut, mais partout ailleurs dans le pays les logements ne se vendent pas et les prix baissent. Les banques sont de nouveau profitables, grâce aux 200 milliards de livres prêtés chaque jour par la banque centrale ; mais les entreprises se plaignent de ce que le crédit est devenu rare et cher. Le taux d’intérêt directeur est à 0.5%, mais l’inflation est supérieure à 3%, ce qui est incompatible.

Le Gouvernement britannique applique un remède de cheval à un malade sous perfusion. Cela peut marcher, mais ce n’est pas certain. Penser à un plan B ne serait pas forcément une mauvaise idée !

Prière des Musulmans en France

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Le récent sondage de l’édition électronique du Monde sur la question de la prière des Musulmans dans la rue fait apparaître une majorité en faveur de leur interdiction « absolue ». Je ne m’attendais pas à un tel résultat.

Le résultat du sondage révèle que 48% des lecteurs ayant voté sont en faveur de l’interdiction absolue de prières collectives dans la rue. Les autres se partagent entre deux autres manières de voir la question : construire des mosquées et transformer des lieux clos (grandes salles par exemple) en lieux de prière.

Je crois pour ma part qu’il faut encourager la construction de mosquées comme d’églises et de synagogues et permettre aux croyants de pratiquer leur foi collectivement sans se sentir marginalisés ou suspectés. Je n’ai pas de réticence à l’égard de prières dans la rue, pas plus que je n’en ai pour les messes en plein air.

Il faudrait interpréter le sondage. Il mêle probablement les réponses de personnes qui au nom de la laïcité souhaitent cantonner la religion à la sphère privée, et d’autres pour qui l’Islam doit être combattu car il est synonyme d’islamisme et qu’il charrie guerre sainte et fanatisme.

L’une et l’autre attitudes me semblent erronées. La laïcité marche de concert avec la tolérance et ne me semble pas faire bon ménage avec quelque interdiction « absolue » que ce soit. La diabolisation de l’Islam ne rend pas justice aux hommes et aux femmes musulmans qui, dans l’histoire et aujourd’hui, vivent leur religion comme une humble acceptation de notre condition d’humains, frères et sœurs devant Dieu.

L’Islam est le nouveau cheval de bataille de l’extrême droite, en France et ailleurs en Europe. Il est temps de réagir.

Photo « transhumances »

Christmas Party

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La Christmas Party est un moment fort de la vie de la structure de 150 personnes que je dirige en Grande Bretagne.

Le Social Committee, chargé de l’organisation des fêtes de l’entreprise, a réservé cette année une magnifique salle du siège de la British Medical Association à Londres. La contribution est de £10 pour les membres du personnel, de £15 pour leurs « partners », terme politiquement correct pour désigner leur conjoint de l’un ou l’autre sexe.

Un autocar nous amène de Watford à Londres. Beaucoup de convives ont revêtu la tenue de soirée, mais la tenue de ville ne choque pas. La soirée commence par un apéritif au champagne. Une caricaturiste croque le portrait de plusieurs convives, et c’est une occasion de rires et de commentaires partagés. Le dîner est organisé par tables de huit ou dix convives en fonction des désirs de participants. Ils souhaitent en général se retrouver avec ceux qu’ils connaissent bien, de sorte que la géographie de la salle est le reflet presque exact de l’organigramme : Risques, Contentieux, Commercial…

La musique de fond s’interrompt entre l’entrée et le plat principal pour le discours que je prononce en tant que Managing Director. Dans l’après-midi a éclaté comme un coup de tonnerre avec la nouvelle de l’éviction de notre directeur général à Paris, Jérôme Cazes. Je rappelle combien Jérôme a fortement marqué tous les aspects de notre vie d’entreprise. Je dis aussi qu’il ne faut pas avoir peur du changement car, de restructurations en plan de crise, nous avons fini par l’apprivoiser ! Depuis trois ans, nous avons progressé, nous sommes plus présents sur notre marché, nous connaissons mieux nos risques, nous travaillons davantage en équipe.

Au dessert, « Father Christmas » fait son entrée et préside au tirage d’une loterie. Commence alors le disco et l’open bar. Ce que j’écrivais en 2006 du « Jantar de Natal » à Lisbonne se vérifie de nouveau. « Plusieurs jeunes femmes se lancent dans la danse, on va d’une table à l’autre pour se saluer, se retrouver et passer un moment ensemble. C’est comme si l’entreprise quittait sa personnalité juridique pour prendre corps,  ou plus précisément pour prendre la forme de dizaines de corps en mouvement, des corps en couleurs et en clameurs, des corps rythmés qui se révèlent, se rapprochent et se détachent. »

En observant la piste de danse, je me rends compte de l’internationalité de notre entreprise : il y a probablement là une bonne vingtaine de nationalités représentées, des cinq continents. Malgré l’alcoolémie croissante de quelques jeunes collaborateurs qui dansent bouteille de bière à la main, l’ambiance est franchement gaie, détendue et amicale. Nous passons un bon moment, typiquement londonien par sa tranquille simplicité.

Photo de Londres à l’approche de Noël, Blanca Majó / José Pastor

Wikinomics

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Wikinomics, le best seller de Don Tapscott et Anthony D. Williams (Atlantic Books, London, 2006 – 2008) est sous-titré « comment la collaboration de masse change tout ». Le livre propose une stimulante réflexion sur la manière dont des entreprises innovantes cherchent à se placer au cœur de réseaux ouverts et à capter leur énergie pour leurs propres fins. L’entreprise se définissait autrefois par des frontières hermétiques. Ses limites deviennent poreuses, ce qui l’oblige à définir rigoureusement son identité et sa stratégie.

Il y a des livres qui défient le compte-rendu, tant ils sont bien écrits et lumineux. C’est le cas de Wikinomics. Le chroniqueur n’a qu’une voie possible : s’éloigner du texte et être attentif aux échos qu’il éveille en soi.

Commençons par le titre du livre. Wiki est le mot hawaïen pour « rapide » ; economics signifie « science économique ». Tout le monde connaît Wikipedia, l’encyclopédie collaborative lancée par Jimmy Wales sur la base d’un logiciel, Wiki, qui permet chaque jour à des milliers de personnes de contribuer à son enrichissement. Wikipedia met à la disposition de ses utilisateurs une plateforme libre d’accès. Chaque participant est invité à améliorer les contributions existantes. Les apports de chacun sont au bénéfice de tous, ils ne peuvent être privatisés.

Le système d’exploitation Linux est, comme Wikipedia, une plateforme collaborative. La carte du génome est un projet collectif  dans lequel plusieurs laboratoires pharmaceutiques mettent en commun leurs moyens et leurs résultats, ce qui leur permet de construire ensemble le socle sur lequel chacun développera ses propres applications thérapeutiques.

Les auteurs attribuent quatre caractéristiques à la nouvelle économie collaborative, celle où baignent les « entreprises 2.0 ». La première est l’ouverture (« openness »): ces entreprises sont plus à l’aise sur la place publique que dans des jardins clôturés. La seconde est la collaboration entre égaux (« peering ») : dans l’exemple de YouTube, il n’y a pas de hiérarchie parmi les utilisateurs / acteurs ; c’est le nombre de consultations qui définit l’intérêt d’une vidéo partagée sur la plateforme et non l’autorité de son auteur. La troisième est le partage (« sharing »): il s’agit d’un renversement complet de l’idée même de propriété industrielle ; le savoir est mis à la disposition d’une très vaste communauté  de « prosumers » (consommateurs qui sont aussi producteurs), et ceux-ci sont invités à se l’approprier et à le « remixer » ; le champ de la propriété industrielle et du copyright se réduit à ce qui est vraiment stratégique. La dernière caractéristique est la dimension mondiale (« acting globally ») : les entreprises 2.0 n’ont pas de frontière ; comme on le voit dans le cas de Facebook, le marché potentiel n’a pas d’autre limite que l’humanité elle-même.

C’est une véritable révolution culturelle qu’a opérée IBM, autrefois le leader des systèmes « propriétaires », lorsqu’elle a opté pour Linux et décidé que des bataillons entiers de ses chercheurs participeraient, sur un pied d’égalité, au développement du système d’exploitation ouvert. C’est aussi une rupture profonde dans les habitudes de travail qu’a mise en œuvre Boeing : les spécifications pour l’électronique embarquée du 777 occupaient 2.500 pages ; quelques années plus tard, celles du 787 Dreamliner tenaient en 20 pages, laissant le champ libre à la créativité des fournisseurs.

Wikinomics incite les entreprises à créer autour d’elles des « écosystèmes » vibrants d’énergie où elles se laissent porter par l’enthousiasme d’une communauté de créateurs. La création en commun par Amazon et Warner Bros d’Amazon Studios illustre cette dynamique. « L’idée de base, dit le quotidien The Guardian (18 novembre) est d’inviter des scénaristes et metteurs en scène à présenter leurs projets en envoyant un scénario ou une maquette de film. Une fois qu’un scénario est sur le réseau, d’autres internautes auront la possibilité de le lire et même de l’améliorer, créant de nouvelles versions. En ce qui concerne les maquettes de films, elles seront-elles aussi publiques et pourront être soumises au vote. »

Le passage à l’économie collaborative change radicalement la perception que les entreprises ont de leur environnement et brouille le tracé de leurs frontières. Il existe un vrai risque de dilution de leur identité et d’évaporation de leur valeur ajoutée. L’ouverture, la collaboration entre égaux, le partage et la dimension mondiale ne deviennent sources de richesse que pour autant que l’entreprise soit claire sur son positionnement, divise de manière adéquate ses investissements entre la participation aux communautés collaboratives et ses projets propres, et focalise l’organisation de ses ressources sur ses objectifs clés.

Illustration : couverture de Wikinomics.