Inside Job

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Inside Job, le film documentaire de Charles Ferguson auquel Matt Damon prête sa voix, est actuellement projeté sur les écrans londoniens. C’est un réquisitoire contre l’irresponsabilité des banques et des pouvoirs publics américains avant la crise financière et, malheureusement, aussi après.

La dérégulation du système financier, initiée par Ronald Reagan et poursuivie avec enthousiasme par les présidents Bush, Clinton et Bush sous la supervision complaisante du Gouverneur de la Fed Alan Greenspan, a mené le monde au désastre de la crise financière de 2008.

Au long des années 2000, les crédits se sont mis à représenter un multiple de plus en plus élevé des dépôts des banques. Saucissonnés et réassemblés en instruments financiers composites regroupant plusieurs classes de risques dans plusieurs pays, labellisés par les agences de rating, ces crédits étaient revendus à des investisseurs. Ceux-ci, à leur tour, pouvaient se protéger contre le risque inhérent à ces instruments par des contrats d’assurance, les « credit default swaps, » CDS. Dégagées du risque final, les banques consentaient des crédits à des débiteurs de moins en moins solvables, en particulier des crédits immobiliers « subprime » à des ménages incapables de rembourser. Le film montre une commission d’enquête du Congrès accusant les dirigeants de Morgan Stanley d’avoir encouragé ses clients à acheter des instruments financiers poubelle, tout en spéculant eux-mêmes sur leur probable fiasco : double profit pour la banque, et escroquerie caractérisée.

Inside Job est fondé sur des images d’archive tournées aux moments-clé de la crise, dont celles, fameuses, montrant les employés de Lehman Brothers emportant leurs effets personnels dans des cartons au matin de la faillite de la banque ; des images fortes, comme celles de lotissements neufs désertés de leurs propriétaires et envahis de mauvaises herbes ; des graphiques vertigineux ; et des interviews impressionnantes.

Beaucoup d’acteurs, pour ne pas dire coupables, de la crise financière, avaient prudemment refusé d’être interrogés. Ceux qui, par inconscience ou vanité, se sont prêtés au jeu, doivent amèrement le regretter. Les visages sont filmés en plan serré, sans coupure. L’interviewer pose sur un ton anodin des questions terriblement embarrassantes, par exemple la rémunération perçue par un professeur d’université pour rédiger un rapport vantant la stabilité du système financier islandais, quelques semaines avant qu’il ne succombe dans la faillite et le scandale. La caméra enregistre sans pitié le sang qui afflue, la gorge qui se noue, les silences, les rictus, les bégaiements.

Les deux interviewés français se tirent bien de cet exercice périlleux : Dominique Strauss-Kahn et Christine Lagarde, chacun de son côté, s’étonnent de l’absence de regrets de la part des banques par qui tant de souffrances sont arrivées.

Le film est sévère pour l’Administration Obama, dont les conseillers économiques viennent des banques et sont des partisans convaincus de la libéralisation financière : de quoi être inquiet pour l’avenir !

Photo du film « Inside Job » de Charles Ferguson.

Huffington Post

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 Le succès du Huffington Post, journal d’information politique on-line vendu pour 315 millions de dollars à AOL, illustre les défis qu’affronte la presse.

Dans son premier éditorial comme directeur du Monde, Erik Israelewicz écrit « dans notre métier, l’information, la révolution portée par le numérique n’en finit pas de modifier la donne. L’expérience, parmi d’autres, du Huffington Post, aux Etats-Unis, nous oblige à repenser notre journal, à nous situer dans une culture multimédia. Là-bas, en moins de cinq ans, ce site d’information politique en ligne, créé ex-nihilo, s’est imposé comme un véritable journal de référence, venant concurrencer las plus grands quotidiens du pays. Il vient d’être racheté par AOL, un fournisseur d’accès à Internet, pour un prix deux fois supérieur à celui payé par les nouveaux propriétaires du Monde. »

Dans The Guardian du 16 février, Hadley Freeman raconte l’aventure du Huffington Post et de sa fondatrice, Arianna Huffington. Arianna naquit Stassinopoulos en 1950. Elle quitta la Grèce pour suivre des études à Cambridge. Extravertie, extraordinairement douée pour les relations publiques, elle fit preuve dès cette époque des qualités entrepreneuriales qui allaient faire son succès. Elle épousa un journaliste britannique dont elle divorça dix ans plus tard. Elle s’installa alors à New York et épousa en 1986 Michael Huffington, un millionnaire républicain dont elle eut deux filles avant de divorcer onze ans plus tard. Politiquement, elle évolua vers la gauche et se présenta contre Arnold Schwarzenegger en tant que candidate indépendante comme Gouverneur de Californie en 2003. C’est alors qu’elle lança, en 2005, le Huffington Post.

Le Huffpo, comme l’appelle ses fans, est d’orientation libérale. Il devient le baume  au cœur de millions d’Américains exaspérés par le néo-conservatisme des années Bush. Pourtant, son public ne se définit pas par ses opinions politiques : « les lecteurs sont bien éduqués, appartiennent à un ménage à haut revenu et utilisent le dernier cri de la technologie », dit un collaborateur d’Arianna. Le journal connaît un succès vertigineux, puisque après seulement six ans il compte 26 millions de visiteurs par mois et 200 journalistes payés.

La mention de « journalistes payés » est importante, car le secret du Huffington Post est de devoir une grande partie de ses contenus à 9.000 bloggeurs enregistrés. Dans le Los Angeles Times, Tim Rutten compara récemment le « business model » du journal à « une galère ramée par des esclaves et commandée par des pirates ». Il ajouta que l’accord avec AOL « allait pousser plus de journalistes plus profondément dans le secteur à bas salaires qui se développe tragiquement dans note économie de plus en plus brutale ».

L’achat du Huffington Post par AOL va enrichir Arianna, mais va aussi la propulser au rang d’éditrice en chef de tous les sites Web d’AOL. « Ce moment, dit-elle, va être pour le Huffpost pareil à descendre d’un train rapide et monter dans un jet supersonique… 1+1 = 11. »

L’avenir sera-t-il aussi rose ? Les lecteurs accepteront-ils le recentrage annoncé de la ligne éditoriale de libérale à centriste ? Et les bloggeurs, satisfaits d’apporter leur contribution au « peloton », à la  « communauté éditoriale » que représentait le Huffpost, accepteront-ils de continuer à ramer gratuitement ?

Au cours des dernières années, Le Monde a rendu sa version électronique plus interactive, alors que la version papier traditionnelle est restée produite presque exclusivement par les journalistes. On comprend la fascination d’Erik Israelewicz pour le modèle du Huffington Post. S’achemine-t-on vers un modèle où Le Monde électronique sera le journal de référence, largement produit par la communauté des bloggeurs, et où la version papier en sera en quelque sorte le prolongement, offrant mise en perspective et réflexion en profondeur. ?

Photo « The Guardian » : Arianna Huffington.

Matteo Ricci, Li Madou

 

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La biographie de Matteo Ricci par Michela Fontana (Matteo Ricci, un jésuite à la cour des Ming, 2005, traduction française 2010, Editions Salvator) raconte la vie incroyable d’un homme qui avait le projet de convertir la Chine au Catholicisme.

La ville de Macerata, dans les Marches, est une jolie cité médiévale. Sur les murs de la Grand Place, des plaques commémorent le combat héroïque des patriotes italiens contre la tyrannie. Une plaque signale la maison natale de Matteo Ricci, né ici en 1552.

A l’âge de 19 ans, il rejoint le noviciat des pères Jésuites, une congrégation fondée une trentaine d’années plus tôt par Ignace de Loyola et plusieurs camarades, dont Francisco de Jassu y Azpilicuerta de Javier, François Xavier en français Ce dernier était décédé alors qu’il attendait l’autorisation d’entrer en Chine, l’année même de la naissance de Matteo.

Après une formation théologique et scientifique à Rome et avoir patienté à l’Université de Coimbra, Matteo s’embarque à Lisbonne avec d’autres missionnaires destinés à l’Asie. Il attendra encore quatre ans à Goa en Inde avant d’être affecté à Macao, base portugaise en Chine. Il a alors 31 ans. Il obtient l’autorisation de s’installer à Zhaoquing, il en est expulsé 6 ans plus tard. Il vit ensuite à Shaozhou, Nanchang puis Nankin, seconde capitale de l’Empire des Ming avant d’atteindre en 1601 son objectif : être invité à Pékin à la Cour de l’Empereur.

L’entreprise de Ricci commence petitement. Avec quelques compagnons, ils apprennent le chinois, se vêtent à la manière des moines bouddhistes et sont à la merci du bon vouloir des pouvoirs locaux. Mais le dessein est vaste : il s’agit de convertir la Chine en partant de ses élites jusqu’en bas. Ricci, devenu Li Madou (Li pour Ricci, Madou pour Matteo), n’a peur de rien : il ambitionne de convertir ni plus ni moins que l’Empereur Wanli, le Fils du Ciel !

Li Madou a du monde la vision de Ptolémée. La lune, les planètes, le soleil et les étoiles gravitent autour de la terre. La terre est ronde, et au-dessus d’elle se trouvent plusieurs niveaux de ciel dont, le tout dernier, celui où demeure Dieu. La géométrie, l’astronomie et la théologie sont intimement mêlés. Apporter la mathématique occidentale aux Chinois les conduira logiquement à adorer le Seigneur du Ciel ! Ayant acquis une parfaite maîtrise du mandarin, ayant abandonné l’habit des moines pour celui des lettrés, devenu Xitai, le sage de l’Extrême Occident, Li Madou dessinera des cartes géographiques, construira des horloges mécaniques, écrira des livres de sagesse et traduira les Eléments d’Euclide.

Il fut d’une intolérance totale à l’égard du Bouddhisme, mais accepta le Confucianisme comme une sagesse compatible avec le Christianisme, y compris dans ses rites. Il se heurta à d’innombrables difficultés. Certaines étaient d’ordre pratique : la classe dirigeante, qui avait les moyens d’entretenir des concubines, n’acceptait pas de bon gré la monogamie, condition préalable à la conversion. D’autres étaient philosophiques : la séparation de l’âme et du corps, principe de base du christianisme, n’était pas compatible avec une conception de la vie où l’homme et l’univers sont totalement imbriqués.

Li Madou ne réussit jamais à rencontrer l’Empereur en personne, mais son œuvre fut continuée par ses successeurs. En 1644, 34 ans après la mort de Ricci, le jésuite Adam Schall von Bell fut nommé directeur du bureau des observations astronomiques ; dans les années 1670, le jésuite Ferdinand Verbiest maintint un dialogue fécond avec l’empereur mandchou Kangxi, qui promulgua en 1692 un édit de tolérance reconnaissant le droit pour les Catholiques de prêcher leur foi. La tolérance fut malheureusement à sens unique. Le pape interdit les rites chinois en 1715 par la bulle Ex Illa Die. La politique d’acculturation prônée par Ricci et développée par ses successeurs se trouvait déjugée par Rome. Le Catholicisme fut banni de Chine en 1724 alors que les convertis se comptaient par centaines de milliers. La congrégation des jésuites fut dissoute par le Vatican en 1773.

Le livre de Michela Fontana se lit comme un roman. Mais c’est aussi une analyse documentée d’une rencontre en profondeur de deux cultures. L’auteur a vécu en Chine et est historienne des sciences. Elle montre la mission de Ricci non seulement comme Ricci la concevait, mais comme les Chinois, avec leur propre culture, la percevaient.

Qu’est-ce que la droite ?

   

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Le Gouvernement de Coalition de David Cameron devrait annoncer prochainement la légalisation du mariage homosexuel. Une telle prise de position heurterait de front les convictions de nombreux partis de droite en Europe. Le concept de « droite » varie considérablement d’un pays à l’autre.

La décision du Gouvernement Britannique de légaliser le mariage homosexuel est probablement due en partie à la présence au sein de la Coalition du Parti Libéral Démocrate. Il reste que le Parti Conservateur ne s’y oppose pas. Le Partenariat Civil, équivalent britannique du PACS, avait été adopté en 2004 par le Parti Travailliste. C’est un pas de plus que la Droite et le Centre s’apprêtent à franchir. Il est d’autant plus significatif que les mariages célébrés selon le rite Anglican ayant valeur civile, les homosexuels pourront se marier à l’église.

Dans les pays sous forte influence de l’Eglise Catholique, les partis conservateurs défendent en matière de société les positions les plus conservatrices. C’est ainsi qu’en Espagne, le Parti Populaire s’est vivement opposé à la légalisation du mariage homosexuel par le Parti Socialiste. Le contexte culturel est différent en Grande Bretagne. Si l’Eglise Anglicane maintient, pour le moment, son opposition, les Quakers ont levé la leur en 2009.

La France est, géographiquement et culturellement, dans une position intermédiaire. Une partie de la droite se réclame de la doctrine sociale de l’Eglise et a voté contre la libéralisation de l’avortement, promue par la droite, et contre le PACS, promu par la gauche. Mais à côté de ce courant qui s’inscrit dans la ligne « Légitimiste », existe un courant dérivé de « l’Orléanisme » (libéralisme en matière de mœurs comme en matière économique) et un courant « Bonapartiste » (volontarisme étatique à connotation autoritaire).

Qu’est-ce donc que « la droite » ? C’est une configuration toujours changeante, toujours instable, dont le ressort est, en fin de compte, la protection des élites contre les « classes dangereuses ».

Photo « transhumances »