Pacte de compétitivité

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  Le « pacte de compétitivité » annoncé le 5 février par la Chancelière allemande et le Président français ne semble pas avoir eu l’écho qu’il méritait.

Profitant d’un sommet européen sur les questions de l’énergie, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont annoncé qu’ils allaient promouvoir ensemble un « pacte de compétitivité » entre les Etats membres de l’Eurozone. Ce pacte implique en particulier la recherche d’une harmonisation des politiques publiques dans le domaine de l’âge de la retraite (Les Allemands parlent de 67 ans), de l’impôt sur les sociétés (la fin du dumping irlandais), des salaires du secteur public (plus d’échelle mobile, comme en Belgique), des systèmes de sécurité sociale et des prestations sociales, de la reconnaissance des diplômes. La Constitution de chaque pays fixerait un plafond à l’endettement public. Un mécanisme robuste serait mis en place pour résoudre les crises financières.

A l’avenir, les pays membres de la zone Euro seront plus intégrés que ceux qui en sont absents. C’est une rupture dans la dynamique de la construction européenne, le début d’une Europe à deux vitesses qui prend acte de la réticence britannique à aller de l’avant. José Manuel Barroso s’en est ému à jute titre.

Pour la Chancelière allemande, il s’agit de prouver à ses électeurs que la contribution allemande au sauvetage de pays en difficulté ne se fera pas sana garantie ni contrepartie : leur refinancement se fera à condition que leur gouvernance soit compatible avec celle de l’Allemagne.

Le Président français s’adresse lui aussi à ses électeurs. Son programme pour l’élection de 2012 est tout tracé : c’est le pacte de compétitivité ! Il prépare un piège pour l’opposition de gauche : mon programme est celui de l’Europe unie, le refuser c’est se mettre au ban des nations qui ont adopté l’Euro. La gauche risque de voler en éclats, comme cela s’est déjà produit lors du referendum sur la constitution européenne. Elle doit au plus vite prendre la mesure du danger et définir sa riposte.

L’Euro est-il bon pour l’Europe ? La réponse est positive. Ce n’est pas pour rien que l’Estonie vient de l’adopter. Lorsque la majeure partie des exportations est destinée aux pays voisins, être exempt de l’aléa monétaire donne aux exportateurs une visibilité et une sécurité inappréciables. A l’échelon mondial, l’Euro est de plus en plus monnaie de réserve : c’est bon pour l’Europe, c’est bon pour la stabilité financière internationale.

Faut-il une convergence des politiques économiques des pays de l’Eurozone ? La réponse est moins nette. Si l’on considère les Etats de la zone Euro qui posent problème actuellement, deux d’entre eux, le Portugal et la Grèce, souffrent d’un Etat archaïque : le supplément de gouvernance imposé par le pacte de compétitivité est une réponse adaptée. En revanche, l’Irlande et l’Espagne affichaient des finances publiques saines, mais leurs banques ont trop prêté sans prendre garde aux risques ; l’application du pacte de stabilité n’aurait sans doute pas évité la crise dans laquelle ils se débattent. Si on ajoute dans le tableau de grands pays comme la France et l’Italie, il est certain que l’accumulation de déficits dans les années de croissance au lieu de se désendetter a constitué une erreur historique ; l’application du pacte de compétitivité aurait pu l’empêcher. Globalement, les ajustements qui ne peuvent pas se faire par la dévaluation doivent se faire par des changements des variables réelles de l’économie, production, prix, investissements, emploi. Le pacte de compétitivité vise à coordonner ces ajustements de manière à ce qu’ils soient moins brutaux et laissent sa chance à la croissance.

Si l’on adhère au principe du pacte de compétitivité, le définir ouvre un vaste champ de travail. Il faudrait d’abord y injecter ce qui manque : une vraie politique industrielle, de développement des compétences et d’encouragement à l’innovation. Les fonds européens existent ; sans doute faut-il les réorienter et diversifier leur financement. Il faut aussi éviter l’hégémonie du « moins » : moins de prestations sociales, moins de sécurité sociale, moins d’années de retraite etc.  Il est certain que des sacrifices doivent être consentis. Mais pourquoi ne pas prendre comme modèle ce qui marche le mieux dans l’ensemble des pays ? Il est certainement possible alors d’améliorer le service aux citoyens en limitant les taxes dont ils doivent s’acquitter.

Nous nous acheminons vers une bataille politique pour ou contre le pacte de compétitivité. Puisse le débat se déplacer vers le contenu du pacte et vers son objectif : comment faire pour que l’Europe retrouve le chemin d’une croissance durable, écologiquement saine et créatrice d’emplois ?

Photo The Guardian : Angela Merkel et Nicolas Sarkozy

Rafael

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L’écrivain portugais Manuel Alegre s’est présenté à l’élection présidentielle portugaise le 23 janvier dernier au nom du Parti Socialiste et du bloc des gauches. Il a obtenu un score décevant, moins de 20%. Son livre Rafael, publié à Lisbonne en 2004 aux Editions Dom Quixote, raconte son itinéraire personnel de manière romancée. C’est aussi un témoignage sur l’histoire du Portugal avant la Révolution des Oeillets.

« L’exil est un pays sévère ». Cette phrase de Victor Hugo est placée en exergue de l’autobiographie de Manuel Alegre, écrite à la première et à la troisième personne, qui couvre la période 1961 – 1974.

En 1961, l’auteur a 25 ans. Il est étudiant à l’Université de Coimbra et est mobilisé pour l’Angola. Il participe à une mutinerie, fait six mois de forteresse à Luanda et, de retour au Portugal, doit s’exiler en 1964. Il vivra 11 ans entre Paris, Genève et Alger jusqu’à ce que la Révolution des Œillets lui permette de retourner au pays.

Le récit de Manuel Alegre peut se lire sous le registre historique, comme une chronique de la gauche portugaise et européenne dans les années soixante et soixante-dix : la rupture entre l’Union Soviétique et la Chine, Cuba, l’Algérie de Ben Bella et Boumediene, Mai 68, le Coup de Prague, les guerres coloniales portugaises, le Général Delgado, le Mouvement des Forces Armées et la Révolution des Œillets.

Il peut se lire sous le registre poétique. Les vers des poètes sont la voix des prisonniers et des exilés :

« Não posso viver comigo,

Não posso fugir de min »

(« Je ne peux vivre avec moi-même, je ne peux fuir de moi-même », Sá de Miranda).

« Empieza el llanto de la guitarra

Es inútil callarla

Es imposible callarla ».

(« Commence le pleur de la guitare, il est inutile de la taire, il est impossible de la taire », Federico Garcia Lorca)

Pour Rafael, dont la vie a été envahie par l’Histoire, une expression caractérise Mai 68 : « la poésie est dans la rue ».

Le livre d’Alegre contient des pages magnifiques sur l’exil.  « En cette fin d’après-midi, ceux qui passent près de toi vont quelque part, il n’y a que toi qui n’aie pas de place, ni de nom, ni de papier, tu ne sais pas exactement où tu es, où dormir, on a envie de mourir quand on est si seul et désemparé dans une grande ville à l’heure où les gens rentrent chez eux. Je est un Autre, cet autre est toi, l’étranger, moi-même qui n’a déjà plus de moi, tu as perdu ta patrie, tu as perdu ton nom, tu es en train de te perdre à l’intérieur de toi-même ». Arrivant à Paris, Rafael laisse sa valise dans un hôtel rue Cujas et n’ira jamais la récupérer. Cette valise est une métaphore de son âme, de cette part cachée de soi-même pour toujours perdue à l’étranger.

A El Biar, Manuel Maria, patriarche de cette tribu à demi perdue dans le désert, reçoit les émigrés pour fêter Noël. Sa femme Clotilde réussit à cuisiner un Bacalao. Même ceux des colonies viennent tremper le pain dans l’huile. Au-delà du sourire, il y a d’autres tables dans d’autres maisons avec des chaises vides. D’une certaine manière, ils sont tous assis où ils ne sont pas, présents – absents. Et comme chaque année Rafael formule ce vœu : l’an prochain au Portugal !

Manuel Alegre évoque ses relations amoureuses. Fatima vient à Paris pour perdre sa virginité dans un vertigineux week-end, puis disparaît. Julia n’accepte pas de se reconnaître femme de quelqu’un et déclare son amour par la médiation d’une langue étrangère : « ti voglio bene ». Elle entre dans la vie de Rafael et en sort, d’objet de passion elle devient seulement référence. Rafael rencontre Clara, envoyée par Julia. Le jour même de leur première rencontre, elle décide de le suivre dans son exil à Alger.

L’auteur nous fait rencontrer des personnages hors du commun. Jorge Fontes, « accusé de toutes les déviations, mais fidèle à ses convictions, résistant non seulement au fascisme, peut-être le plus facile, mais aussi aux calomnies ». Manuel Maria, donnant une leçon de flegme au policier qui l’escorte dans un avion dont un moteur est en panne. Fernão Mendes Pinto, expulsé du PC mais convaincu que nul ne peut l’expulser de ses idées communistes. Henrique Taraves de Romariz, aristocrate qui fait la révolution au Portugal après avoir participé à la Guerre Civile espagnole du côté des Républicains, pour des raisons esthétiques : parce que le fascisme est laid.

Enfin, le Camarade, un homme élégant et réservé. Tout en lui est maîtrise de soi. Il étudie discrètement ses interlocuteurs, et cherche à lire dans les autres sans jamais se révéler. Même dans les moments les plus décontractés, il ne baisse jamais la garde. Il ne permet jamais que l’émotion se superpose à l’autodiscipline par laquelle il a modelé la statue de soi-même. Le Camarade finit par approuver l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques.

Photo « transhumances », Lisbonne.

Il est parti

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Au cours de la célébration de funérailles de mon cousin Jean-Louis, un poème de William Blake, « le Voilier », a été lu.

Jean-Louis est mort des suites d’un cancer au seuil de ses 64 ans. L’une de ses passions était la voile. Le poème de William Blake en était une évocation.

Je suis debout au bord de la plage.

Un voilier passe dans la brise du matin et part vers l’Océan.

Il est la beauté et la vie.

Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.

Quelqu’un à mon côté dit « il est parti ».

Parti vers où ? Parti de mon regard, c’est tout.

 Son mât est toujours aussi haut.

Sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine.

Sa disparition totale de ma vue est en moi, pas en lui.

Et, au moment où quelqu’un auprès de moi dit : « il est parti »,

Il y en a d’autres qui,

Le voyant poindre à l’horizon et venir vers eux,

S’exclament avec joie : « le voilà ».

Ce poème exprime la confiance en l’existence d’un au-delà, réaffirmée par le prêtre qui célébrait les funérailles, non sans un point d’interrogation. Il cita Bernanos : « la foi, c’est vingt quatre heures de doute dont une minute d’espérance. » Il  dit aussi que ce qui fait sens dans une vie, c’est de donner de l’amour. Il n’y a probablement pas besoin de croire en la vie éternelle pour croire en l’éternité de l’amour.

Après la cérémonie, une cinquantaine de membres de la famille, venus pour certains de loin, se sont retrouvés dans une salle paroissiale de la banlieue de Lille pour partager des canapés, des petits fours et un gobelet de vin ou de Pepsi-Cola. Jean-Louis est parti, mais c’est en son nom que nous avons parlé de vos vies, de nos passions et de nos proches. Nous faisions mine de regretter qu’il fallût un deuil pour nous rapprocher. En vérité, c’est l’absence de Jean-Louis qui rendait nécessaire notre rapprochement. Notre rencontre était le cadeau qu’il nous laissait, elle était l’hommage que nous lui rendions.

Photo : Putti pleurant, dans l’église baroque de Bambecque, Nord. 

Avons-nous vraiment besoin de la lune ?

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« Avons-nous vraiment besoin de la lune ? » Tel est le titre d’une émission de vulgarisation scientifique diffusée en « prime time » le 1er février par la chaîne britannique BBC2.

Maggie Adering Pockock est astronome. Elle dit avoir été subjuguée par la science après une scolarité difficile occupée à lutter contre la dyslexie. Son documentaire « avons-nous vraiment besoin de la lune » suit strictement les lois du genre en Grande Bretagne : elle nous sert personnellement de guide et nous emmène dans les endroits les plus variés, un fjord avec des effets de marée exceptionnels, un observatoire en Arizona, un laboratoire océanique ou tout simplement un manège pour enfants. Des effets spéciaux imaginent le choc de la terre et d’une planète de la taille de Mars il y a 4,5 milliards d’années, choc dont est née la lune, ou un clair de lune lorsque celle-ci, paraissant immense, gravitait à un quart de sa distance actuelle.

La vie sur terre est possible grâce à la lune. C’est son attraction qui maintient constante à 23 degrés l’inclinaison de la terre sur son axe, qui est à l’origine des saisons et rend habitable la majeure partie de la planète. Mais cette constance, qui existe à l’échelle du temps humain, ne se vérifie pas dans le temps géologique.

Une scientifique examine un fossile de corail vieux de 500 millions d’années. Des cercles permettent de repérer sa croissance année par année et jour par jour. On découvre qu’il y avait alors 400 jours dans l’année, ce qui signifie que les journées comptaient 21 heures.  Le frottement de l’énergie gravitationnelle de la lune avec celle de la terre ralentit, sur le très long terme, la vitesse de rotation de la planète.

Un télescope en Arizona bombarde au laser des réflecteurs installés sur la lune par la mission Apollo 17. Seule une fraction minime de la lumière émise revient à l’émetteur, mais cela suffit pour mesurer la distance de la terre à son satellite au millimètre près. La lune s’éloigne de nous de 3,78cm par an, car sa vitesse s’accélère en raison inverse du ralentissement de la rotation de la terre. A l’échelle humaine, c’est négligeable : tout juste ce que poussent les ongles d’un homme  en une année. A l’échelle cosmique, cela signifie que l’équilibre qui permet aujourd’hui le développement de la vie est instable.

Maggie Adering Pockock nous fait remarquer que la lune est 400 fois plus petite que le soleil et 400 fois plus éloignée, ce qui fait que leurs disques nous semblent de la même taille. Quand la lune se sera éloignée, le spectacle merveilleux de l’éclipse totale ne sera plus qu’un souvenir.

Photo « transhumances ».