Au-delà du Crash

110128_gordon_brown_beyond_crash.1296380868.jpg

Dans Beyond The Crash (Simon & Shuster, 2010), Gordon Brown raconte la crise financière et expose ses propositions pour l’avenir de l’économie mondiale.

La première partie du livre est consacrée à la narration au jour le jour des événements intervenus de septembre 2007 au sommet du G20 convoqué à Londres en avril 2009. Il raconte la crise financière et la réponse coordonnée par les gouvernements pour éviter la répétition, probablement en pire, de la récession des années trente. La couverture du livre donne la tonalité de ce chapitre : en première page, une photo de Gordon Brown dans une posture de penseur digne de Rodin ; en page 4, une photo du Premier Ministre britannique s’exprimant au micro alors que, un pas derrière lui, les présidents Obama et Sarkozy l’écoutent respectueusement. On retrouve là ce mélange d’intelligence aigue, de conviction qu’il a sauvé le monde et de maladresse qui font le charme de Gordon Brown. Sur le fond, il a probablement raison : le premier, parmi les chefs d’Etat occidentaux, il comprit que le problème était de recapitaliser les banques pour réduire l’effet de levier, et pas seulement de leur fournir des liquidités. « All I need is overnight finance » (la seule chose dont j’ai besoin, c’est de la trésorerie à un jour) lui dit le patron d’une des principales banques britanniques. En réalité, la situation de son bilan est si désespérée qu’il n’y aura d’autre solution que de la nationaliser.

Le sous-titre du livre est « dépasser la première crise de la mondialisation ». Gordon Brown craint une décennie de faible croissance en occident et de développement du chômage, avec ses conséquences dévastatrices pour les personnes et pour le lien social. Au long des vingt dernières années, un rééquilibrage massif s’est produit : l’industrie s’est déplacée vers les pays émergents, et plus seulement celle qui utilise une main d’œuvre non qualifiée. Mais les pays occidentaux ont continué à consommer. Ils se sont endettés auprès des pays émergents, qui ont accumulé des réserves considérables.

En bon keynésien, Brown s’inquiète de l’insuffisance de la demande globale. Les pays occidentaux doivent réduire leur endettement et restreindre la capacité de crédit de leur système financier. Mais la Chine, par exemple, ne consomme que 3% de l’activité économique mondiale. Est-il possible que la Chine, l’Inde, l’Afrique, compensent le déficit de consommation de l’Amérique et de l’Europe et permettent de revenir à des taux de croissance qui permettent de réduire le chômage en occident et la misère dans les pays émergents ? Brown ne croit pas que la réorientation d’une partie des économies émergentes de l’export vers la consommation intérieure permette par un simple effet mécanique de produire la croissance annulée par le désendettement. Mais il est convaincu qu’un plan de croissance mondiale décidé et géré par une structure comme le G20 permettrait d’accélérer la transition vers une économie mondiale plus équilibrée. Une meilleure maîtrise du risque de change international ou du cours des matières premières éloignerait par exemple le risque d’une guerre des exportations et d’un repli protectionniste.

« Il y a quelques années, quand les économistes imposaient aux plus pauvres pays du monde les politiques de libre échange les plus dogmatiques, ils utilisaient l’argument « Tina » : there is no alternative, il n’y a pas d’alternative. Mais les pays africains proposèrent leur propre acronyme : non pas Tina mais « Themba » : there must be an alternative, il doit y avoir une alternative. Dans ce cri, Themba, nous entendons tout ce qui doit nous guider aujourd’hui, parce que ce n’est pas seulement un acronyme, c’est aussi le mot zoulou pour la chose la plus importante qu’un être humain puisse avoir : l’espoir ».

Revisitant Adam Smith, lui aussi citoyen écossais, Gordon Brown propose de revenir à l’économie politique, c’est-à-dire à une conception de l’économie où le marché a toute sa place, mais pas toute la place.

La Chine au secours de l’Euro

110110_socrates_jintao.1294695521.jpg

La Chine a fait connaître son intention de soutenir l’Euro. Ceci la fait indiscutablement apparaître comme une puissance économique mondiale.

En novembre dernier, le Président chinois Hu Jiantao a fait un voyage officiel dans deux pays européens, la France et le Portugal. Pourquoi avoir choisi le Portugal, pays de dix millions d’habitants loin du niveau de prospérité moyen de l’Union Européenne ? L’ancienne colonie portugaise en Chine, Macau, est aujourd’hui transformée en casino géant et ne justifie probablement pas une telle attention !

La récente visite du vice premier ministre, Li Keqiang, en Espagne et dans d’autres pays européens, permet de mieux comprendre le surprenant détour par Lisbonne de son président. La Chine ne veut pas que l’Euro explose. Pour la sécurité de ses réserves en devises, elle ne veut plus les investir seulement en dollars. Elle achète d’ores et déjà des milliards d’euros de dettes des pays les plus fragiles de la zone Euro, dont le Portugal, et on estime qu’elle détient déjà 10% de l’ensemble de la dette nationale émise par l’Espagne. La Chine a besoin d’alliés dans le bras de fer qui l’oppose aux Etats-Unis, qui l’accusent de sous-évaluer systématiquement sa monnaie, le renminbi : elle présente le Portugal et l’Espagne comme ses « meilleurs amis ».

La Chine est aussi intéressée par les connexions de l’Europe avec les pays en développement. Li Keqiang a ainsi signé à Madrid un accord pour la vente de 40% du capital de la filiale du pétrolier espagnol Repsol au Brésil. La visite au Portugal s’inscrit dans la même logique. La Chine est un investisseur important en Angola et le premier importateur de biens produits au Brésil : or, les milieux d’affaires portugais sont particulièrement bien introduits dans ces deux pays.

La Chine avance ses pions sur l’échiquier économique mondial. C’est bon pour l’Euro et pour la croissance en Europe. A terme, c’est le basculement à l’est du pouvoir financier qui se confirme.

Photo : le président chinois Hu Jiantao et le premier ministre portugais José Socrátes à Lisbonne en novembre 2010.

Inflation de la langue anglaise

110103_jonas_ninive.1294088595.JPG

Dans un article intitulé « the way we speak now » (la manière dont nous parlons maintenant) publié dans The Independant le 3 janvier, Genevieve Roberts évoque l’inflation de la langue anglaise.

« La langue anglaise a presque doublé en taille dans le siècle passé parce que nous vivons dans un riche sommet linguistique.

Un rapport récent a conclu que le vocabulaire grandit de 8.500 mots par an. Après que des chercheurs de l’Université d’Harvard et de Google ont analysé cinq millions de livres, ils en sont arrivés à 1.022.000 mots dans le langage, – en incluant « matière noire » qui ne fera jamais son entrée dans le dictionnaire.

Le Professeur David Crystal, auteur de « Evolving English » (l’anglais en évolution) dit que la croissance du vocabulaire n’est jamais continue, mais dépend de nouveaux concepts dans la société. « Il y eut un sommet du temps de Shakespeare autour de la Renaissance, un autre pendant la Révolution Industrielle, un autre sommet maintenant avec la Révolution Electronique », dit-il.

Alors qu’il y a plus d’un million de mots dans la langue anglaise, la plupart des lecteurs de The Independant connaissent probablement quelque 75.000 mots, dont ils utilisent 50.000 activement, estime-t-il.

En comparaison, l’anglais élisabéthain utilisait environ 150.000 mots. Shakespeare en utilisait un peu moins de 20.000 dans ses pièces, 12% de la langue. « Aujourd’hui, nous connaissons moins de mots en pourcentage parce que la langue a cru de manière si considérable », dit-il. »

Dans « mille neuf cent quatre vingt quatre », George Orwell décrit un pays, Oceania, en proie au délire totalitaire. Un projet phare de la dictature est le remplacement de l’anglais classique par une nouvelle langue, « Newspeak » dont le vocabulaire aurait été réduit au point de ne pouvoir rendre compte que de l’idéologie du Parti. « Vous ne saisissez pas la beauté de la destruction de mots, dit un fonctionnaire du régime. Savez-vous que Newspeak est la seule langue au monde dont le vocabulaire rapetisse chaque année ? » L’article de Genevieve Roberts démontre que la société anglaise évolue aux antipodes du totalitarisme.

Photo « transhumances » : Jonas à Ninive, vitrail de Christ Church Cathedral, Oxford. Jonas, prophète rebelle, avait reçu la mission d’annoncer aux habitants de Ninive la destruction de leur ville s’ils ne se convertissaient pas. Une belle allégorie de la puissance du langage !

Le principe de rédemption

101231_patinir_styx.1293784460.jpg

Qu’est-ce qui nous fait considérer la loi du « œil pour œil dent pour dent » comme barbare ? Un cas judiciaire récent en Iran nous amène à nous poser la question.

Dans The Guardian du 30 décembre on lit l’information suivante : « Un Iranien reconnu coupable d’une agression à l’acide a été condamné à perdre un œil et une oreille. L’homme, identifié seulement comme Hamid, a aussi été condamné à payer le prix du sang après avoir été déclaré coupable de l’agression commise en 2005, selon l’agence iranienne Fars. »

Qu’est-ce qui m’a fait hérisser le poil à la lecture de cette dépêche noyée au milieu de dizaines d’informations plus considérables ?

L’horreur que j’éprouve tient certainement au fait que je ne considère pas l’œil comme un organe parmi d’autres. Je dirais volontiers d’un être cher que « j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux ». J’accepterais de bon gré une opération chirurgicale sur n’importe quelle partie de mon corps. Le jour où je devrais être opéré de la cataracte, je m’obligerais à un travail en profondeur sur les ressorts de cette phobie.

Mais Hamid aurait aussi pu être condamné à l’amputation d’une main ou d’un pied. C’est l’irréversibilité de la peine qui pose problème. Il y a d’abord le risque de l’erreur judiciaire, au cœur du débat sur la peine de mort aux Etats-Unis. Mais il y a aussi une question éthique, qui se joue autour du concept de rédemption. Quelqu’un qui a commis une faute, aussi lourde soit-elle, doit payer pour cette faute mais doit aussi se voir reconnaître le droit de se racheter. Exécuter ou amputer un criminel, c’est considérer que sa faute est inexpiable, que sa vie doit s’arrêter ou s’estropier à jamais.

Nos sociétés occidentales sont loin de parvenir à inscrire le principe de rédemption dans les faits. Leur système pénitentiaire châtie mieux qu’il ne réinsère. Mais le cadre éthique de référence est bien la croyance dans le fait qu’aucun humain n’est si radicalement vicié qu’il ne puisse jamais s’amender. C’est exactement à l’opposé de la philosophie de « l’oeil pour oeil ».

Illustration : « la traversée du Styx » par Joachim Patinir, Musée du Prado, Madrid