La Chine au secours de l’Euro

110110_socrates_jintao.1294695521.jpg

La Chine a fait connaître son intention de soutenir l’Euro. Ceci la fait indiscutablement apparaître comme une puissance économique mondiale.

En novembre dernier, le Président chinois Hu Jiantao a fait un voyage officiel dans deux pays européens, la France et le Portugal. Pourquoi avoir choisi le Portugal, pays de dix millions d’habitants loin du niveau de prospérité moyen de l’Union Européenne ? L’ancienne colonie portugaise en Chine, Macau, est aujourd’hui transformée en casino géant et ne justifie probablement pas une telle attention !

La récente visite du vice premier ministre, Li Keqiang, en Espagne et dans d’autres pays européens, permet de mieux comprendre le surprenant détour par Lisbonne de son président. La Chine ne veut pas que l’Euro explose. Pour la sécurité de ses réserves en devises, elle ne veut plus les investir seulement en dollars. Elle achète d’ores et déjà des milliards d’euros de dettes des pays les plus fragiles de la zone Euro, dont le Portugal, et on estime qu’elle détient déjà 10% de l’ensemble de la dette nationale émise par l’Espagne. La Chine a besoin d’alliés dans le bras de fer qui l’oppose aux Etats-Unis, qui l’accusent de sous-évaluer systématiquement sa monnaie, le renminbi : elle présente le Portugal et l’Espagne comme ses « meilleurs amis ».

La Chine est aussi intéressée par les connexions de l’Europe avec les pays en développement. Li Keqiang a ainsi signé à Madrid un accord pour la vente de 40% du capital de la filiale du pétrolier espagnol Repsol au Brésil. La visite au Portugal s’inscrit dans la même logique. La Chine est un investisseur important en Angola et le premier importateur de biens produits au Brésil : or, les milieux d’affaires portugais sont particulièrement bien introduits dans ces deux pays.

La Chine avance ses pions sur l’échiquier économique mondial. C’est bon pour l’Euro et pour la croissance en Europe. A terme, c’est le basculement à l’est du pouvoir financier qui se confirme.

Photo : le président chinois Hu Jiantao et le premier ministre portugais José Socrátes à Lisbonne en novembre 2010.

Inflation de la langue anglaise

110103_jonas_ninive.1294088595.JPG

Dans un article intitulé « the way we speak now » (la manière dont nous parlons maintenant) publié dans The Independant le 3 janvier, Genevieve Roberts évoque l’inflation de la langue anglaise.

« La langue anglaise a presque doublé en taille dans le siècle passé parce que nous vivons dans un riche sommet linguistique.

Un rapport récent a conclu que le vocabulaire grandit de 8.500 mots par an. Après que des chercheurs de l’Université d’Harvard et de Google ont analysé cinq millions de livres, ils en sont arrivés à 1.022.000 mots dans le langage, – en incluant « matière noire » qui ne fera jamais son entrée dans le dictionnaire.

Le Professeur David Crystal, auteur de « Evolving English » (l’anglais en évolution) dit que la croissance du vocabulaire n’est jamais continue, mais dépend de nouveaux concepts dans la société. « Il y eut un sommet du temps de Shakespeare autour de la Renaissance, un autre pendant la Révolution Industrielle, un autre sommet maintenant avec la Révolution Electronique », dit-il.

Alors qu’il y a plus d’un million de mots dans la langue anglaise, la plupart des lecteurs de The Independant connaissent probablement quelque 75.000 mots, dont ils utilisent 50.000 activement, estime-t-il.

En comparaison, l’anglais élisabéthain utilisait environ 150.000 mots. Shakespeare en utilisait un peu moins de 20.000 dans ses pièces, 12% de la langue. « Aujourd’hui, nous connaissons moins de mots en pourcentage parce que la langue a cru de manière si considérable », dit-il. »

Dans « mille neuf cent quatre vingt quatre », George Orwell décrit un pays, Oceania, en proie au délire totalitaire. Un projet phare de la dictature est le remplacement de l’anglais classique par une nouvelle langue, « Newspeak » dont le vocabulaire aurait été réduit au point de ne pouvoir rendre compte que de l’idéologie du Parti. « Vous ne saisissez pas la beauté de la destruction de mots, dit un fonctionnaire du régime. Savez-vous que Newspeak est la seule langue au monde dont le vocabulaire rapetisse chaque année ? » L’article de Genevieve Roberts démontre que la société anglaise évolue aux antipodes du totalitarisme.

Photo « transhumances » : Jonas à Ninive, vitrail de Christ Church Cathedral, Oxford. Jonas, prophète rebelle, avait reçu la mission d’annoncer aux habitants de Ninive la destruction de leur ville s’ils ne se convertissaient pas. Une belle allégorie de la puissance du langage !

Le principe de rédemption

101231_patinir_styx.1293784460.jpg

Qu’est-ce qui nous fait considérer la loi du « œil pour œil dent pour dent » comme barbare ? Un cas judiciaire récent en Iran nous amène à nous poser la question.

Dans The Guardian du 30 décembre on lit l’information suivante : « Un Iranien reconnu coupable d’une agression à l’acide a été condamné à perdre un œil et une oreille. L’homme, identifié seulement comme Hamid, a aussi été condamné à payer le prix du sang après avoir été déclaré coupable de l’agression commise en 2005, selon l’agence iranienne Fars. »

Qu’est-ce qui m’a fait hérisser le poil à la lecture de cette dépêche noyée au milieu de dizaines d’informations plus considérables ?

L’horreur que j’éprouve tient certainement au fait que je ne considère pas l’œil comme un organe parmi d’autres. Je dirais volontiers d’un être cher que « j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux ». J’accepterais de bon gré une opération chirurgicale sur n’importe quelle partie de mon corps. Le jour où je devrais être opéré de la cataracte, je m’obligerais à un travail en profondeur sur les ressorts de cette phobie.

Mais Hamid aurait aussi pu être condamné à l’amputation d’une main ou d’un pied. C’est l’irréversibilité de la peine qui pose problème. Il y a d’abord le risque de l’erreur judiciaire, au cœur du débat sur la peine de mort aux Etats-Unis. Mais il y a aussi une question éthique, qui se joue autour du concept de rédemption. Quelqu’un qui a commis une faute, aussi lourde soit-elle, doit payer pour cette faute mais doit aussi se voir reconnaître le droit de se racheter. Exécuter ou amputer un criminel, c’est considérer que sa faute est inexpiable, que sa vie doit s’arrêter ou s’estropier à jamais.

Nos sociétés occidentales sont loin de parvenir à inscrire le principe de rédemption dans les faits. Leur système pénitentiaire châtie mieux qu’il ne réinsère. Mais le cadre éthique de référence est bien la croyance dans le fait qu’aucun humain n’est si radicalement vicié qu’il ne puisse jamais s’amender. C’est exactement à l’opposé de la philosophie de « l’oeil pour oeil ».

Illustration : « la traversée du Styx » par Joachim Patinir, Musée du Prado, Madrid

Bonheur National Brut

110107_happiness_index_cameron_steve_bell_nov26_2010.1294480094.jpg

L’enquête d’opinion sur le degré d’optimisme ou de pessimisme parmi les nations me fait rebondir sur le débat relatif à la construction d’indices de bonheur ou de bien-être.

En 1972, l’ancien roi du Bouthan Jigme Singe Wangchuck avait fixé pour objectif à son pays l’augmentation du Bonheur National Brut au lieu du Produit National Brut. Cet objectif fut confirmé par le roi actuel en novembre 2008, lors de son couronnement.

Tout le monde reconnait les limites du « produit national brut », qui ne prend en compte que les services marchands (pas le travail domestique ou le volontariat) et inclut des dépenses (comme les dépenses militaires) qui ne contribuent pas immédiatement au sentiment de bien-être.

En Grande Bretagne, le Premier Ministre David Cameron a annoncé en novembre dernier le lancement d’un indice de bien-être, qui inclura des indices existants (notamment ceux qui contribuent à l’indice de développement humain, tels que l’espérance de vie ou l’éducation) et des mesures subjectives relatives à la psychologie et aux attitudes des citoyens. Les difficultés sont nombreuses : au lieu de suivre les mouvements volatils du sentiment des gens, ne vaudrait-il pas mieux mesurer tout simplement l’évolution de la santé mentale de la population ? Et, à supposer que l’on puisse construire un indice satisfaisant, comment peut-on y fonder des politiques : comment un gouvernement pourrait-il réagir à une soudaine diminution de 10 ou 20% de l’indice ?

Le rapport Stiglitz – Sen – Fitoussi

En France, d’intéressantes propositions ont été formulées par le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi remis en Septembre 2009 au président de la République. L’INSEE en rend compte dans un intéressant dossier intitulé « les recommandations du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, quelques illustrations, http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/ecofra10d.PDF. Il constitue une bonne synthèse des réflexions actuelles sur la mesure du bien-être et offre des points de comparaison avec d’autres pays.

Comment mesurer le sentiment de bien-être des individus ? Le rapport suggère de prendre en compte la présence de sentiments ou d’affects positifs, c’est-à-dire de flux d’émotions positives (comme le bonheur et la joie ou la sensation de vitalité et d’énergie) ressentis sur un intervalle de temps ; et aussi l’absence de sentiments ou d’affects négatifs, c’est-à-dire d’émotions négatives (comme la colère, la tristesse ou la dépression) sur un intervalle de temps.

Parmi les indices objectifs de la qualité de la vie, l’espérance de vie est importante. On sait qu’elle s’est considérablement accrue, jusqu’à atteindre 84 ans pour les femmes et 77 ans pour les hommes en France. Un autre concept tend à s’imposer, celui d’espérance de vie « en bonne santé » : 64 ans pour les femmes, 63 ans pour les hommes.

Le degré d’éducation, l’insécurité économique (chômage), les inégalités, le taux de pauvreté (pourcentage de personnes qui vivent avec moins de 60% du revenu médian), le « taux de victimisation » (pourcentage de citoyens victimes d’un crime ou d’un délit) contribuent aussi à la mesure de la qualité de la vie. La position de la France est enviable : le taux de pauvreté est plus bas que dans d’autres pays comparables, le taux d’inégalité a décru alors qu’il s’est accru ailleurs, le « taux de victimisation » est plus faible et en nette diminution.

Bonheur durable

 Enfin, le rapport s’attarde sur la « soutenabilité » économique et environnementale du bien-être : une chose est la qualité de la vie aujourd’hui, autre chose est celle que nous lèguerons aux générations à venir. Dans ce domaine, on peut mentionner l’Happy Planet Index, http://www.happyplanetindex.org/, qui révèle l’efficacité écologique avec laquelle le bien-être humain est produit. La France arrive dans ce classement au 71ième rang, le premier étant le Costa Rica, résultat surprenant quand on connait les dégâts produits par l’agriculture extensive dans ce pays. La carte d’Europe du bien-être éclogiquement soutenable est présentée ci-dessous.

110107_happy_planet_index.1294480185.jpg

Illustration : caricature de Steve Bell dans The Guardian du 26 novembre. M. Bien-être Heureux (David Cameron) apporte la réalisation de soi.