Postpositions

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Les postpositions sont le sel de la langue anglaise.

Tous les étudiants de la langue anglaise connaissent l’importance des postpositions, ces particules invariables qui se placent après un verbe et en changent le sens : « to look at someone », c’est regarder quelqu’un, « to look after someone », c’est le chercher.

En anglais, la créativité se niche souvent dans les postpositions. En associant un verbe avec une postposition dans une configuration unique, on réussit à exprimer en peu de mots une idée qui, en Français, requiert une longue explication. Voici un titre de The Guardian du 17 août : « woman suspected of killing husband is talked down from hill ». Le début de la phrase ne pose pas de difficulté en français : il s’agit d’une femme suspectée d’avoir tué son mari. Le reste est plus difficile : on lui a parlé (talk) de manière à ce qu’elle consente à descendre (down) d’une falaise (cliff) et renonce à se suicider en se jetant dans le vide.

L’efficacité de cette phrase est stupéfiante. Une anthologie des postpositions en dirait plus de la culture britannique que des traités de sociologie.

Un mot de la falaise en question : il s’agit de Beachy Head, à l’ouest d’Eastbourne sur la côte sud de l’Angleterre, dont le vertigineux aplomb attire les candidats au suicide de tout le pays. Les jours d’affluence, des aumôniers patrouillent pour les dissuader. En équipe avec la police, ils ont réussi à convaincre Sally Challen, 56 ans, de ne pas se jeter dans le vide dans le remords d’avoir tué son mari : « des agents de police et les aumôniers ont réussi à accompagner une femme de 56 ans du Surrey jusqu’en lieu sûr depuis le bord de la falaise de Beachy Head, après avoir parlé avec elle plus de trois heures dimanche après-midi », dit un communiqué de la police.

Photo « transhumances » : Beachy Head

Le Guépard

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Garibaldi s’est emparé de la Sicile à la tête des « Mille » en 1860, il y a juste cent cinquante ans. C’est l’occasion de revoir le chef-d’œuvre de Luchino Visconti, Le Guépard (1963).

La première scène du film se déroule dans la chapelle du palais des Salina. Affolée par le débarquement des Chemises Rouges à Marsala, la famille se réfugie dans la prière. Il y a toutefois un mouton noir, Tancrède (joué par Alain Delon). Jeune homme fougueux et ambitieux, il a décidé de rejoindre la sédition : après tout, le commanditaire de la révolte contre le roi de Naples est un autre roi, celui de Savoie. Il faut que tout change pour que rien ne change, dit-il à son oncle, le Prince Salina (Burt Lancaster). Celui-ci accepte le pari et mise sur son neveu.

Le Prince Fabrizio Salina est aristocrate jusqu’au bout des ongles. C’est aussi un stratège. Pour que Tancrède réussisse dans le contexte de l’Italie piémontaise, il lui faut de l’argent. Fabrizio organise son mariage avec Angelica (Claudia Cardinale), la fille du maire du bourg où la famille Salina prend ses quartiers d’été. Don Calogero Sedara est influent et riche. L’ambition cynique et débridée de Tancrède associée à la fortune et aux réseaux de Don Calogero devraient maintenir la famille Salina à flot pendant quelques dizaines d’années.

Fabrizio est d’un pessimisme radical. Il ne voit pas de changement possible pour la Sicile : dans cette terre traversée au cours de l’histoire par des envahisseurs, écrasée par un climat rude, les gens ont la nonchalance d’esthètes convaincus de leur supériorité. Il se bat pour le seul objectif qu’il sait pouvoir réaliser, la survie de sa dynastie. Mais il sait qu’à sa génération, celle les lions et des guépards, succèdera celle des hyènes et des chacals.

Le bal donné à l’occasion des fiançailles de Tancrède et Angelica est une apothéose pour Fabrizio, qui a donné corps à son projet et mis sur orbite l’alliance des Salina et des Sedara. C’est aussi le moment où il voit clairement sa mort approcher. Noble dans le fond du cœur, il la toise sans crainte.

Photo  du film « Le Guépard » : la valse du Prince Salina et Angelica.

La dépression, une maladie encore taboue

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Lew quotidien Britannique The Guardian a publié le 2 août le témoignage de Mark Rice-Oxley sur sa dépression. On trouvera l’article à l’adresse suivante : http://www.guardian.co.uk/lifeandstyle/2010/aug/02/depression-mental-health-breakdown

« Je ne saurais pas dire quand cela a commencé. Peut-être ce jour de juillet l’année dernière quand un mal de tête en forme de point d’interrogation se lova autour de mon œil droit et s’installa comme chez soi. Ou un mois plus tard quand une fatigue liquide coula dans mes jambes et y prit demeure. A l’automne, peut-être, lorsque des épisodes surréels allaient et venaient, comme si je voyais le monde à travers du fond d’un verre à pied.

Mais le moment où je sus vraiment que quelque chose clochait fut la nuit de la célébration de mon quarantième anniversaire. Nous remontions la Tamise avec un groupe d’amis proches tous déguisés à la manière de Woodstock. Je me sentis accablé. De sous ma perruque de Jimmy Hendrix, je soupirai à ma mère « reste proche ». J’agrippai sa main comme si c’était le premier jour de classe. Je ne pouvais regarder quelqu’un en face pendant plus de trois secondes sans que monte une vague de panique à hurler. J’essayais de bouger, mais j’avais besoin de m’asseoir. Lorsque je m’asseyais, j’avais besoin de me lever. J’essayais de manger, mais recrachais mon repas dans la poubelle. A la fin, minuit arriva enfin et nous rentrâmes tous à la maison. Cette nuit, la première d’une longue série de nuits sombres, je me trouvai étendu, éveillé, effrayé et complètement incapable de rester tranquille au long de ces heures abominables.

Cela empira. Pendant deux semaines, je ne me sentis ni bien ni malade. Puis, pendant un week-end chez mes parents, la maison où je suis né, le lieu que j’aime encore, je me désintégrai. C’est ce week-end que les horloges se mirent à marcher à l’envers. Lorsque nous arrivâmes je ressentis un sentiment de malaise. Je ne pouvais regarder la télévision ni lire. Je commençais des tasses de thé mais ne pouvais les finir, m’asseyais pour diner mais ne pouvais manger. La première nuit je me mis à errer, secoué de tics et incapable de me fixer, le cœur battant dans ma gorge, les oreilles pleines d’un bruit blanc, un bourdonnement dans l’estomac. A cinq heures du matin, je n’en pouvais plus. Je frappai à la porte de mes parents, et je me trouvai bordé entre eux au lit, pour la première fois depuis ma naissance. La nuit suivante fut pire. Je me balançai en avant et en arrière, marchant en long et en large, terrifiant tout le monde. Lorsque je bredouillai quelque chose sur le fait que tout était fini pour moi, mon père sauta dans sa voiture pour trouver un dispensaire de nuit. »

Mark Rice-Oxley souligne que les chances d’un adulte de souffrir un désordre mental sont élevées dans la société actuelle. Il cite le psychiatre Tim Cantopher : « la vie est devenue plus stressante et il y a plus d’aliénation qu’autrefois (…) Si vous essayez de faire l’infaisable, vous allez attraper une dépression. Ce n’est pas le stress qui vous rend malade. Vous devenez malade en essayant de faire l’infaisable ». Il dit que la maladie mentale est un tabou, mais que pourtant la seule manière de s’en sortir est de la révéler à son entourage.

Comment s’en sort-on ? L’auteur cite encore Tim Cantopher : « Regardez les signes que votre corps vous donne. Si vous êtes surmené, votre corps vous le dira. Il faut ramener le calme le plus tôt possible. Pour commencer, faites-en un petit peu – laissez des besognes à moitié accomplies, n’essayez pas de mener les choses à bien au début. Soyez gentils et polis avec vous-mêmes. Une fois que vous irez mieux, alors ce sera le moment de reconnaître que mettre 18 ampères dans un fusible de 13 ampères c’est le meilleur moyen de le faire sauter. »

Illustration : Edward Hopper, Hotel Room, 1931, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid.

Mariage laïc

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Blandine et Cyril ont voulu inventer le rite de leur mariage sans s’en remettre à une Eglise. J’ai aimé leurs noces laïques.

Dans ma nombreuse famille, j’ai assisté au fil des ans à de magnifiques célébrations de mariage dans l’Eglise Catholique. Des couples exprimaient avec un enthousiasme communicatif leur volonté de créer une famille avec l’Evangile comme fondation. J’ai aussi assisté à des messes de mariage glaciales malgré la canicule estivale, une formalité mondaine vide de sens.

Blandine et Cyril ont décidé que leur mariage serait laïc. C’est un choix inconfortable, car privé de la référence d’un cadre liturgique formé, validé et adapté au cours des siècles. Le premier acte se joue dans les rues médiévales d’une petite ville de Guyenne, chemin faisant vers la Mairie. Le sol est jonché de feuillages qui indiquent la direction, comme une promesse d’avenir.

Après la Mairie, les convives se retrouvent dans le parc d’un château. Pour la cérémonie laïque, une estrade a été dressée dans la prairie ; les jeunes mariés et leurs témoins y prennent place. On lit des textes de Rabindranath Tagore et de Khalil Gibran, on commente le souhait exprimé par Jacques Brel de « rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques uns ». Le témoignage de parents et amis est sollicité. Deux passages de l’Evangile sont lus. Curieusement, ils sont l’un et l’autre d’interprétation difficile : la parabole du Figuier bon à couper s’il ne donne pas de fruit et celle des Talents, dont la morale est qu’à celui qui a on donnera, mais qu’à celui qui n’a pas on retirera même ce qu’il a ! Les jeunes époux échangent leurs consentements et les alliances. Des membres de la famille et des amis constituent un ensemble musical avec violon, guitares et percussions. Ils interprètent « don’t worry, by happy » de Bobby McFerrin.

C’est un grand moment de bonheur partagé, joyeux mais emprunt de gravité. J’aurai plus tard pendant le dîner des échanges d’une densité humaine inhabituelle où il sera question de nos relations avec d’autres générations, celle des anciens, celle des jeunes adultes, celle des adolescents, celle des tout-petits. Blandine et Cyril ont décidément placé la rencontre sous le signe de la vérité.

Ils ont su inventer un rite qui leur ressemble. Je suis admiratif. Il est tentant de se laisser porter par le rite catholique qui, dans sa version conciliaire, réussit à faire participer l’assemblée par les prières récitées ensemble, les cantiques et la procession de communion. Imaginer son propre chemin est plus difficile. Ce serait encore plus ardu pour des personnes qui ne possèdent pas le patrimoine culturel des deux époux d’aujourd’hui. Il faudrait une banque d’idées et de ressources pour ceux qui, hors d’une religion établie, veulent célébrer d’une manière personnelle et unique une naissance, l’adieu à l’enfance, la construction d’un couple, la compassion face à la maladie ou un deuil. L’assistance à l’invention de « sacrements laïcs » serait une œuvre d’utilité publique.

Photo « transhumances »