Prière des Musulmans en France

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Le récent sondage de l’édition électronique du Monde sur la question de la prière des Musulmans dans la rue fait apparaître une majorité en faveur de leur interdiction « absolue ». Je ne m’attendais pas à un tel résultat.

Le résultat du sondage révèle que 48% des lecteurs ayant voté sont en faveur de l’interdiction absolue de prières collectives dans la rue. Les autres se partagent entre deux autres manières de voir la question : construire des mosquées et transformer des lieux clos (grandes salles par exemple) en lieux de prière.

Je crois pour ma part qu’il faut encourager la construction de mosquées comme d’églises et de synagogues et permettre aux croyants de pratiquer leur foi collectivement sans se sentir marginalisés ou suspectés. Je n’ai pas de réticence à l’égard de prières dans la rue, pas plus que je n’en ai pour les messes en plein air.

Il faudrait interpréter le sondage. Il mêle probablement les réponses de personnes qui au nom de la laïcité souhaitent cantonner la religion à la sphère privée, et d’autres pour qui l’Islam doit être combattu car il est synonyme d’islamisme et qu’il charrie guerre sainte et fanatisme.

L’une et l’autre attitudes me semblent erronées. La laïcité marche de concert avec la tolérance et ne me semble pas faire bon ménage avec quelque interdiction « absolue » que ce soit. La diabolisation de l’Islam ne rend pas justice aux hommes et aux femmes musulmans qui, dans l’histoire et aujourd’hui, vivent leur religion comme une humble acceptation de notre condition d’humains, frères et sœurs devant Dieu.

L’Islam est le nouveau cheval de bataille de l’extrême droite, en France et ailleurs en Europe. Il est temps de réagir.

Photo « transhumances »

Christmas Party

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La Christmas Party est un moment fort de la vie de la structure de 150 personnes que je dirige en Grande Bretagne.

Le Social Committee, chargé de l’organisation des fêtes de l’entreprise, a réservé cette année une magnifique salle du siège de la British Medical Association à Londres. La contribution est de £10 pour les membres du personnel, de £15 pour leurs « partners », terme politiquement correct pour désigner leur conjoint de l’un ou l’autre sexe.

Un autocar nous amène de Watford à Londres. Beaucoup de convives ont revêtu la tenue de soirée, mais la tenue de ville ne choque pas. La soirée commence par un apéritif au champagne. Une caricaturiste croque le portrait de plusieurs convives, et c’est une occasion de rires et de commentaires partagés. Le dîner est organisé par tables de huit ou dix convives en fonction des désirs de participants. Ils souhaitent en général se retrouver avec ceux qu’ils connaissent bien, de sorte que la géographie de la salle est le reflet presque exact de l’organigramme : Risques, Contentieux, Commercial…

La musique de fond s’interrompt entre l’entrée et le plat principal pour le discours que je prononce en tant que Managing Director. Dans l’après-midi a éclaté comme un coup de tonnerre avec la nouvelle de l’éviction de notre directeur général à Paris, Jérôme Cazes. Je rappelle combien Jérôme a fortement marqué tous les aspects de notre vie d’entreprise. Je dis aussi qu’il ne faut pas avoir peur du changement car, de restructurations en plan de crise, nous avons fini par l’apprivoiser ! Depuis trois ans, nous avons progressé, nous sommes plus présents sur notre marché, nous connaissons mieux nos risques, nous travaillons davantage en équipe.

Au dessert, « Father Christmas » fait son entrée et préside au tirage d’une loterie. Commence alors le disco et l’open bar. Ce que j’écrivais en 2006 du « Jantar de Natal » à Lisbonne se vérifie de nouveau. « Plusieurs jeunes femmes se lancent dans la danse, on va d’une table à l’autre pour se saluer, se retrouver et passer un moment ensemble. C’est comme si l’entreprise quittait sa personnalité juridique pour prendre corps,  ou plus précisément pour prendre la forme de dizaines de corps en mouvement, des corps en couleurs et en clameurs, des corps rythmés qui se révèlent, se rapprochent et se détachent. »

En observant la piste de danse, je me rends compte de l’internationalité de notre entreprise : il y a probablement là une bonne vingtaine de nationalités représentées, des cinq continents. Malgré l’alcoolémie croissante de quelques jeunes collaborateurs qui dansent bouteille de bière à la main, l’ambiance est franchement gaie, détendue et amicale. Nous passons un bon moment, typiquement londonien par sa tranquille simplicité.

Photo de Londres à l’approche de Noël, Blanca Majó / José Pastor

Wikinomics

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Wikinomics, le best seller de Don Tapscott et Anthony D. Williams (Atlantic Books, London, 2006 – 2008) est sous-titré « comment la collaboration de masse change tout ». Le livre propose une stimulante réflexion sur la manière dont des entreprises innovantes cherchent à se placer au cœur de réseaux ouverts et à capter leur énergie pour leurs propres fins. L’entreprise se définissait autrefois par des frontières hermétiques. Ses limites deviennent poreuses, ce qui l’oblige à définir rigoureusement son identité et sa stratégie.

Il y a des livres qui défient le compte-rendu, tant ils sont bien écrits et lumineux. C’est le cas de Wikinomics. Le chroniqueur n’a qu’une voie possible : s’éloigner du texte et être attentif aux échos qu’il éveille en soi.

Commençons par le titre du livre. Wiki est le mot hawaïen pour « rapide » ; economics signifie « science économique ». Tout le monde connaît Wikipedia, l’encyclopédie collaborative lancée par Jimmy Wales sur la base d’un logiciel, Wiki, qui permet chaque jour à des milliers de personnes de contribuer à son enrichissement. Wikipedia met à la disposition de ses utilisateurs une plateforme libre d’accès. Chaque participant est invité à améliorer les contributions existantes. Les apports de chacun sont au bénéfice de tous, ils ne peuvent être privatisés.

Le système d’exploitation Linux est, comme Wikipedia, une plateforme collaborative. La carte du génome est un projet collectif  dans lequel plusieurs laboratoires pharmaceutiques mettent en commun leurs moyens et leurs résultats, ce qui leur permet de construire ensemble le socle sur lequel chacun développera ses propres applications thérapeutiques.

Les auteurs attribuent quatre caractéristiques à la nouvelle économie collaborative, celle où baignent les « entreprises 2.0 ». La première est l’ouverture (« openness »): ces entreprises sont plus à l’aise sur la place publique que dans des jardins clôturés. La seconde est la collaboration entre égaux (« peering ») : dans l’exemple de YouTube, il n’y a pas de hiérarchie parmi les utilisateurs / acteurs ; c’est le nombre de consultations qui définit l’intérêt d’une vidéo partagée sur la plateforme et non l’autorité de son auteur. La troisième est le partage (« sharing »): il s’agit d’un renversement complet de l’idée même de propriété industrielle ; le savoir est mis à la disposition d’une très vaste communauté  de « prosumers » (consommateurs qui sont aussi producteurs), et ceux-ci sont invités à se l’approprier et à le « remixer » ; le champ de la propriété industrielle et du copyright se réduit à ce qui est vraiment stratégique. La dernière caractéristique est la dimension mondiale (« acting globally ») : les entreprises 2.0 n’ont pas de frontière ; comme on le voit dans le cas de Facebook, le marché potentiel n’a pas d’autre limite que l’humanité elle-même.

C’est une véritable révolution culturelle qu’a opérée IBM, autrefois le leader des systèmes « propriétaires », lorsqu’elle a opté pour Linux et décidé que des bataillons entiers de ses chercheurs participeraient, sur un pied d’égalité, au développement du système d’exploitation ouvert. C’est aussi une rupture profonde dans les habitudes de travail qu’a mise en œuvre Boeing : les spécifications pour l’électronique embarquée du 777 occupaient 2.500 pages ; quelques années plus tard, celles du 787 Dreamliner tenaient en 20 pages, laissant le champ libre à la créativité des fournisseurs.

Wikinomics incite les entreprises à créer autour d’elles des « écosystèmes » vibrants d’énergie où elles se laissent porter par l’enthousiasme d’une communauté de créateurs. La création en commun par Amazon et Warner Bros d’Amazon Studios illustre cette dynamique. « L’idée de base, dit le quotidien The Guardian (18 novembre) est d’inviter des scénaristes et metteurs en scène à présenter leurs projets en envoyant un scénario ou une maquette de film. Une fois qu’un scénario est sur le réseau, d’autres internautes auront la possibilité de le lire et même de l’améliorer, créant de nouvelles versions. En ce qui concerne les maquettes de films, elles seront-elles aussi publiques et pourront être soumises au vote. »

Le passage à l’économie collaborative change radicalement la perception que les entreprises ont de leur environnement et brouille le tracé de leurs frontières. Il existe un vrai risque de dilution de leur identité et d’évaporation de leur valeur ajoutée. L’ouverture, la collaboration entre égaux, le partage et la dimension mondiale ne deviennent sources de richesse que pour autant que l’entreprise soit claire sur son positionnement, divise de manière adéquate ses investissements entre la participation aux communautés collaboratives et ses projets propres, et focalise l’organisation de ses ressources sur ses objectifs clés.

Illustration : couverture de Wikinomics.

Quand les mots m’ont lâché

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Tom Lubbock, illustrateur et critique d’art réputé, raconte à l’hebdomadaire The Observer le 7 novembre comment depuis deux ans un cancer malin du cerveau le prive peu à peu du langage et de l’écriture. Dans son témoignage poignant, il observe sa maladie et sa survie avec le détachement et la passion d’un critique décortiquant un tableau de Francis Bacon.

« C’est au sujet de mon chemin vers la mort et comment ma vie l’a emprunté(…) Ma mort est, en un sens, imminente : je me dis à moi-même : je suis en train de mourir. Quelque chose dans ma tête s’empresse de me tuer.

(…) Cette vie est incroyable. A certains moments, elle est terrible et monstrueuse. Mais d’une autre manière j’accepte ce qu’elle m’apporte, son étrangeté et sa nouveauté. Et alors de nouveau j’essaie de vivre aussi normalement que je peux et je partage mon existence avec Marion, ma femme, et Eugene, notre petit garçon de trois ans qui grandit et qui commence à comprendre nos difficultés, et nous affrontons ce présent et ce futur ensemble.

Mais il y a une autre chose cruciale à mentionner. La tumeur qui va me détruire est à proximité de la zone de la parole. Mais je suis aussi quelqu’un qui gagne sa vie par les mots. J’ai fait cela toute ma vie adulte. Et je survis encore depuis deux ans comme un usager du langage – je parle, j’écoute, je lis, j’écris. Ou plutôt, je survis selon des modalités fluctuantes.

(…) D’un côté, la peur de perdre le langage me consume. Et je ne peux pas imaginer comment cela va se passer. D’un autre, l’impulsion initiale n’est pas la peur mais plutôt d’être embarqué par l’étrangeté et l’étonnement et d’examiner toutes les nouvelles choses qu’elle amène.

(…) Je pense que la perte de la parole, et de la compréhension de la parole, et de la compréhension de l’écriture et de l’écriture cohérente – ces pertes vont aboutir à la perte de mon esprit. Je sais quelle impression cela donne, et qu’il n’y a pas de versant intérieur, pas d’écho interne. Avoir l’esprit en éveil signifie parler à soi-même. Il est impossible qu’un esprit secret survive en moi.

(…) Mon écriture aux heures tardives : elle est lente, mais ça marche. J’aime écrire – cela reste encore un plaisir, mais maintenant une lutte.

Le plaisir de citer les mots à comparaître. Où sont-ils dans l’esprit, dans le cerveau ? Ils semblent un bureau de nulle part. Ils existent quelque part dans notre sol ou notre air. Ils viennent d’une obscurité inconnue. D’un lieu auquel normalement nous ne pensons pas. Pour moi, aucune phrase n’est générée sans effort. Aucune formulation n’est faite automatiquement. Je suis en permanence confronté à mystère dont les autres n’ont aucune idée, le mystère de la génération de la parole. (…) Pour moi, la génération d’un mot implique effort, supposition, difficulté, imprécision.

(…) Mon expérience du monde n’est pas amoindrie par manque de langage mais elle est essentiellement inchangée. C’est curieux.

Au début, c’était effrayant ; maintenant ça va ; cela reste, même maintenant, intéressant. Ma vraie sortie peut être accompagnée par pas de mots du tout, tous partis. »

Photo The Observer : Tom Lubbock la veille de sa première opération au cerveau, en septembre 2008.