Hélicoptère monétaire

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Se référant à la fameuse phrase du Gouverneur de la Federal Reserve Ben Bernanke disant qu’il n’hésiterait pas à lancer des billets de banque d’un hélicoptère s’il le fallait pour sauver l’économie, le journaliste du Guardian Simon Jenkins préconise de les lancer sur les pauvres et non sur les banques.

Dans The Guardian du 27 octobre, Simon Jenkins préconise une approche non partisane de la politique de coupes budgétaires massives détaillée il y a quelques jours par le Chancelier de l’Echiquier George Osborne. Après tout, elles ne feront que ramener la dépense publique au point où elle en était il y a dix ans à peine. Malgré ces précautions oratoires, c’est une politique de soutien de l’économie par la dépense publique et non par l’injection de liquidités bancaires qu’il appelle de ses voeux.

« Parce que les banquiers on mis la Grande Bretagne dans le pétrin, on suppose qu’il faut les supplier, les soudoyer et les cajoler pour en sortir la Grande Bretagne (…) Au cours des deux dernières années, les banques ont été secourues avec d’énormes sommes d’argent, et cependant on ne leur a rien demandé en retour(…)

Si on veut imprimer de la monnaie pour stimuler l’économie, on la met directement dans la demande. On la donne aux gens réels. Au lieu de cela, nous avons le Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Melvin King, qui admet dans Prospect Magazine qu’il « croit » que l’aide quantitative va marcher, deux ans après qu’elle a échoué, « même si je ne peux vous dire quand » ou apparemment comment. Sur les milliards qui ont été donnés aux banques, pas un penny ne semble avoir atteint l’économie réelle. C’est sans doute l’échec le plus éclatant de la politique économique moderne. Même son architecte, Alistair Darling (Chancelier de l’Echiquier dans le Gouvernement Brown) demande « où est l’argent ? ».

(…) L’argent devrait être lancé d’hélicoptère non aux banques mais à ceux qui sont le plus susceptibles de dépenser à court terme, principalement les pauvres. La meilleure façon de déverrouiller une banque est de faire tinter les tiroirs-caisses. »

Le point de vue de Simon Jenkins est critiquable. Il y a une grande différence entre la politique monétaire (prêter aux banques) et la politique budgétaire (donner aux pauvres). Il n’est pas sûr que les mesures visant à stimuler la consommation, par des allocations ou par une réduction de la TVA, soient efficaces : dans une économie ouverte comme celle de la Grande Bretagne, elles risquent d’accroître les importations et d’amplifier les déséquilibres.

La question posée sur le « quantitative easing » est toutefois légitime. La rentabilité des banques s’est fortement rétablie depuis un an grâce au trading sur le marché interbancaire de l’argent prêté par la Banque Centrale. Etait-ce le but ultime recherché ?

Un débat est aussi en cours en Grande Bretagne, non sur le principe de coupes budgétaires (elles faisaient aussi partie du programme travailliste), mais sur leur rythme. Le marché de l’immobilier résidentiel est de nouveau orienté à la baisse ; l’exportation ne semble pas prendre le relais comme moteur de la croissance. La diminution des dépenses publiques ne risque-t-elle pas d’entraîner de nouveau de pays dans la récession ?

Photo The Guardian : images de George Osborne défendant son budget au Parlement.

Référence de l’article : http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2010/oct/27/pleading-banks-osborne-plan-b

Un village dans l’histoire d’Angleterre

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La chaîne culturelle britannique de télévision BBC4 vient de présenter la sixième et dernière émission d’une série consacrée à l’histoire d’un village des Midlands près de Leicester. 

La première de ces émissions était consacrée aux traces de l’histoire ancienne de Kibworth, près de Leicester, qui témoignent du passage et de l’assimilation des envahisseurs successifs, romains, anglo-saxons, vikings, normands. La dernière couvre la période qui s’étend du début du règne de la Reine Victoria (1830) jusqu’à aujourd’hui et est marquée par l’arrivée du chemin de fer, deux guerres, le suffrage universel et la diversité ethnique.

Ce documentaire répond au lois du genre en Angleterre : une personnalité charismatique, Michael Wood, nous prend par la main et nous fait partager ses curiosités et ses émerveillements. Mais ici, notre guide prend soin de s’effacer derrière la population du village. Il est en effet convaincu, comme autrefois Michel Clévenot avec ses Hommes de la Fraternité, que l’histoire se fait par le peuple, du bas en haut, autant sinon plus qu’elle est imposée du haut en bas par les rois et les armées.

Le projet Kibworth a mobilisé pendant une année entière toute la population de ce village de quelque six mille habitants. Dans la première émission, on voyait des habitants forer des trous dans leur jardin et y exhumer des vestiges qu’interprétaient des archéologues, et d’autres se prêter à des tests ADN prouvant que leurs ancêtres étaient vikings. Dans la dernière, ils reconstituent en costumes une école primaire victorienne et un concert à un penny ; une classe se rend sur les sites des batailles de la Somme et retrouve, sur les tombes du cimetière militaire, des noms de jeunes du village tombés pendant la Grande Guerre ; des retraités se rendent aux archives régionales et mettent au jour des documents qui éclairent la manière de vivre de leurs ancêtres il y a un siècle.

Photo BBC4 : Michael Wood. Pour voir l’émission : http://www.bbc.co.uk/iplayer/episode/b00vjmms/Michael_Woods_Story_of_England_Victoria_to_the_Present_Day/

Victor Hugo pendant l’exil

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« Transhumances » a rendu compte il y a un an du tome 1 de la biographie de Victor Hugo par Jean-Marc Hovasse. Le tome 2 (Fayard, 2008) couvre une partie de la période d’exil, entre 1851 et 1864.

A la fin du tome 1, nous avions laissé Victor Hugo s’enfuyant en train de la France vers la Belgique déguisé en ouvrier. Il s’était opposé au coup de force de Louis Napoléon Bonaparte. D’innombrables républicains avaient été tués ou envoyés au bagne. A Bruxelles, il retrouve la communauté des proscrits, mais ce premier lieu d’exil n’est pas sûr. Il s’installe à Jersey de 1852 à 1855 puis dans l’île plus accueillante de Guernesey. En 1860, il refuse l’amnistie des proscrits.

Dans l’intervalle, sa production intellectuelle est incroyablement dense, de Napoléon Le Petit à William Shakespeare en passant par les Contemplations, la Légende des Siècles, les Misérables et un grand nombre d’articles, de manifestes (en particulier contre la peine de mort), de discours. Sa correspondance est considérable.

En exil, Victor Hugo reconstitue sa cellule familiale : sa femme Adèle ; son fils Charles, passionné par des innovations telles que le spiritisme et la photographie, aspirant écrivain au maigre talent ; son autre fils François Victor, qui mène à bien une monumentale traduction de Shakespeare ; sa fille Adèle, solitaire, renfermée, musicienne, psychologiquement déséquilibrée ; Auguste Vacquerie, le beau-frère de la fille disparue, Léopoldine ; et, dans le même pâté de maisons, la maîtresse, Juliette Drouet, celle qui avait sauvé sa vie dans les heures dramatiques de décembre 1851. Autour de la famille, partageant l’exil, à Bruxelles ou à Paris, des camarades, des amis ou des éditeurs. Tous sont puissamment attirés par le magnétisme du maître de maison ; tous, sauf Juliette, ont besoin d’air et aspirent à s’éloigner, de son bon gré ou malgré lui.

Il déploie une énergie phénoménale, que ce soit dans la rédaction de ses poèmes et de son roman, dans la relecture des épreuves, dans la négociation de ses contrats d’édition, dans l’action militante, dans la peinture, dans ses voyages au Benelux et en Rhénanie, dans la décoration pièce par pièce d’Hauteville House, la maison qu’il a achetée à Guernesey, comme dans la séduction des jeunes domestiques de la famille.

A Jersey, la famille Hugo pratique assidument les tables tournantes : des esprits s’invitent parmi eux et font connaître leurs pensées en frappant. Peu à peu, Victor Hugo crée sa propre philosophie et sa propre religion, fondées sur l’idée que les objets, les plantes, les animaux et les humains sont habités d’un esprit immortel. Certains esprits ont un degré de conscience plus élevé et dialoguent entre eux au-delà des siècles : Victor Hugo se sait l’égal d’Eschyle, Isaïe, Dante, Michel-Ange et naturellement Shakespeare, ce qui ne manque pas de provoquer la raillerie de ses ennemis.

« Il faut détruire toutes les religions afin de reconstruire Dieu. J’entends : le reconstruire dans l’homme. Dieu, c’est la vérité, c’es la justice, c’est la bonté. C’est le droit et c’est l’amour ; c’est pour lui que je souffre, c’est pour lui que vous luttez » (lettre à Auguste Nefftzer). « J’ai la foi que c’est dans l’infini qu’est le grand rendez-vous. Je vous y retrouverai sublimes et vous m’y reverrez meilleur (…) La vie n’est qu’une occasion de rencontre ; c’est après la vie qu’est la jonction » (Préface de mes œuvres et post-scriptum de ma vie).

Le livre de Jean-Marc Hovasse est une œuvre scientifique : plus de 350 pages de notes critiques sur les presque 1400 pages du livre. Pourtant, il se lit comme un roman. Le lecteur devra patienter pour le tome 3, annoncé pour le bicentenaire de Waterloo en 2015 !

Couverture de la biographie de Victor Hugo par Jean-Marc Hovasse.

Cat Bin Woman

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L’affaire de Cat Bin Woman, la femme au chat mis à la poubelle, illustre la dérive possible des réseaux sociaux.

Mary Bale, 45 ans, vient d’être condamnée par un tribunal de Coventry à 250 livres sterling d’amende et à cinq ans d’interdiction de garder et de posséder des animaux. Dans un moment d’égarement, elle avait enfermé Lola, une chatte de quatre ans, dans la poubelle à roulettes de ses propriétaires. La Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals (RPSCA), l’équivalent de la Société Protectrice des Animaux, s’était portée partie civile.

Mary encourait jusqu’à 6 mois d’emprisonnement et 20.000 livres d’amende pour son délit. La juge a tenu compte de ce qu’elle souffrait de dépression, veillait son père en fin de vie et manifestait un clair remords pour son geste inexplicable.

Elle a aussi tenu compte de la diffamation dont Mary est victime. Reprenons le fil de l’histoire. Le lendemain suivant l’enfermement de Lola dans leur poubelle, ses propriétaires la secourent, alertés par ses cris. Afin de retrouver l’auteur du méfait, ils placent la vidéo de leur caméra de surveillance sur YouTube et Facebook. Mary, qui habite à quelques rues de leur domicile, est vite identifiée et convoquée par la RPSCA. Entre temps, la vidéo fait le tour du monde et suscite une avalanche de réactions indignées. Sur Facebook, un groupe « Death to Mary Bale »  est constitué et préoccupe la police anglaise, qui craint pour la sécurité de Mary ; la direction de Facebook supprime ce groupe de son site.

Mary, une femme solitaire qui vient de perdre son père et son emploi est clairement du côté des plus faibles, ceux que la société doit protéger, comme elle le fait en protégeant les animaux d’actes de cruauté. Elle se trouve brutalement confrontée, sous les projecteurs, à une vague d’hostilité hors de proportion avec son geste.

L’usage de réseaux sociaux mondiaux par les propriétaires de Lola pour régler une affaire de quartier a produit un formidable pataquès et ruiné la vie d’une femme. Il nous faut décidément apprendre à nous servir de ces formidables moyens de communication, car ils peuvent bien vite se convertir en moyens de destruction.

Photo de Mary Bale au sortir du tribunal de Coventry, The Guardian