Convalescence

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Tim Lusher raconte dans le quotidien britannique The Guardian (22 juin) son expérience d’une maladie, un abcès au cervelet, qui a failli le tuer, et d’une longue convalescence.

« Avoir une maladie catastrophique (le terme me donne un léger frisson) est une expérience intéressante, si elle n’a pas raison de vous, bien que vous ne souhaiteriez pas la vivre. Vous apprenez beaucoup : sur vous-même, sur vos amis, votre famille et vos collègues, ce qui a de l’importance et ce qui n’en a pas. Mais surtout vous apprenez sur le travail de la maladie et de la convalescence. Si vous êtes le type de personne qui n’a jamais eu à faire qu’avec des rhumes et des coupures, des intoxications alimentaires et le méchant virus qui vous envoie au lit pendant une semaine de prostration, ce qui vous frappe le plus est le rythme glacial de la récupération. Vous dérivez pendant des semaines faites de jours en apparence sans changement, avec seulement quelques tout petites améliorations. (…) Un survivant du cancer m’a dit que la guérison ne marche pas en ligne droite. Je pense à elle maintenant comme à un graphe de valeurs boursières après le krach : la ligne de la santé remonte de la dépression en dents de scie inégales, douloureusement lentes, elle reste sur un plateau et retombe. Regardez les semaines et vous désespérez. Il n’y a qu’un graphe sur l’année qui montre une image positive.

Ce qui aide, c’est d’entendre comment d’autres ont géré leur situation et ont triomphé. Je vois le handicap partout maintenant, alors qu’auparavant je le faisais à peine. Je scrute les personnes dans la rue pour voir comment elles se débrouillent avec les obstacles et si elles masquent leurs difficultés, comme j’ai appris à le faire. »

Photo « transhumances ».

Cartes magnifiques

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 La bibliothèque Nationale (British Library) de Londres présente jusqu’au 19 septembre une exposition intitulée « magnificent maps ».

« Les cartes traitent rarement seulement de géographie. De belles cartes de valeur ont ornée les murs depuis l’époque romaine et même plus tôt, manifestant ainsi le pouvoir, le goût et l’influence de leurs propriétaires », dit le catalogue de l’exposition.

L’exposition n’est pas organisée chronologiquement, mais regroupe des cartes d’époques différentes selon le lieu où elles étaient affichées : la galerie d’un château, la salle d’audience, la chambre à coucher royale, le cabinet des curiosités, la rue, la maison du marchand, le bureau du Secrétaire d’Etat, la salle de classe.

Illustration : carte de Londres vue par l’artiste Stephen Walter, www.stephenwalter.co.uk.

Sortir des allocations

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 John Bird, l’homme d’affaires qui a créé « The Big Issue », le journal britannique vendu par des sans-abris, vient de s’adresser au nouveau Premier Ministre David Cameron en lui demandant de conditionner l’octroi d’allocations à un véritable travail d’intérêt social. Il l’a dit à Margarette Driscoll, journaliste au Sunday Times (20 juin 2010). Voici une traduction d’une partie de l’article.

Il y a trois ans, j’ai rencontré une femme du nom d’Angela. Elle avait 54 ans et au long de la plus grande partie de sa vie elle avait été une perdante, une mère célibataire qui avait élevé deux fils dans l’une des cités les plus dures du sud-est de Londres. Elle avait survécu à deux relations de couple oppressantes et vécu la majeure partie de sa vie adultes sur des allocations.

A mesure que les enfants d’Angela grandissaient, elle voyait de jeunes mères de la cité traverser les mêmes épreuves que les siennes et elle voulait les aider. Elle commença a donner des avis et un soutien informels, puis elle se mit à faire du bénévolat dans un centre d’accueil pour jeunes mères et impressionna tout le monde à tel point par sa compassion et son bon sens que l’autorité locale lui offrit un travail, s’occuper des personnes âgées.

A l’époque où je l’ai rencontrée, Angela travaillait depuis un an. Elle avait les larmes aux yeux lorsqu’elle me disait ce que cela avait signifié pour elle : pendant des années, elle avait eu l’impression que la Sécurité Sociale la considérait de haut, la traitait comme un numéro et non comme une personne, quelqu’un qui n’avait rien à offrir et dont on n’attendait rien.

Angela devint l’aiguillon pour un livre sur lequel j’ai travaillé depuis lors, Le Manuel de la Sortie des Allocations, qui s’intéresse à comment des personnes ayant vécu pendant longtemps sur des allocations sont sortis de la sécurité sociale et se sont mis au travail.

Le fil semble être le bénévolat, se mettre en avant, s’impliquer. Mais la plupart des gens ne savent pas comment le faire. Alors ils moisissent devant la télé et restent collés aux allocations. Les Pôles Emploi deviennent simplement un endroit où l’on remplit des imprimés – il n’y a pas d’encouragement ou d’obligation à s’éduquer, à aider la société, il n’y a pas de contrat entre le bénéficiaire des allocations et nous, les gens qui payons les impôts (…)

J’ai rappelé à David Cameron que nous avons les pauvres les plus chers au monde. L’argent que les nantis placent sur leurs enfants fait pâle figure à côté du coût de s’occuper des enfants les plus pauvres (…) Il coûte à la société trois fois plus cher de produire un de nos vendeurs de The Big Issue  qu’il aurait coûté à leurs parents de les placer à Eton (école privée fréquentée par la haute bourgeoisie). Quelque 80% des vendeurs de The Big Issue sont sortis d’une structure sociale qui co3te 2000 sterlings par semaine. Cela fait 100.000 sterlings par semaine, et si les enfants sont dans une structure pendant 210 ans, cela fait 1 million de sterlings par tête. Et ils sortent de ces structures coûteuses avec peu d’éducation et pas d’avenir.

Nous avons ainsi rendu possible qu’eux, et des milliers d’autres issus de la pauvreté, vivent d’allocations. Cela n’abîme pas seulement les individus, cela abîme la société. L’industrie des drogues illégales serait perdue sans le soutien de l’état providence. L’industrie des boissons et les fast-foods comme Mc Donald seraient sérieusement frappés si les sterlings du gouvernement n’étaient pas placés dans leurs caisses par les bénéficiaires des allocations. Et les structures gouvernementales qui, à mauvais escient, rendent la vie plus facile pour les pauvres enracinent la pauvreté, l’exclusion et le désespoir (…)

Il faudrait dire à quiconque entre dans le système des allocations que c’est sur la base d’un programme à durée limitée et que, pendant qu’ils cherchent du travail, on attend d’eux qu’ils fassent du bien socialement en échange de leur argent.

Regardez aux lacunes de notre société ; le soin aux personnes âgées, la propreté de nos villes. L’une et l’autre fonction pourraient être assumées par beaucoup de personnes qui sont hors du travail. Si elles refusent d’en faire partie, il pourrait exister des sanctions, mais je crois qu’une fois arrivées là, acquérir des compétences et prendre part à une équipe donnerait à des gens qui sont autrement oubliés la confiance qui leur permettra de retrouver du travail. Angela le fit toute seule pour son compte. Aidons des milliers d’autres à faire de même.

Photo : John Bird.

Mémorial du Couvent

 

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Je rends compte ici du livre probablement le plus connu de José Saramago, l’écrivain portugais mort la semaine dernière : Memorial do Covento, écrit en 1982.

Ce livre est l’histoire d’un couvent – palais construit à Mafra, à 40 km de Lisbonne par le Roi Jean V pour rivaliser avec l’Escorial et pour honorer le vœu qu’il avait fait de le bâtir s’il obtenait une descendance. Le Couvent, inachevé, est inauguré en grande pompe le dimanche 22 octobre 1730, jour anniversaire de Sa Majesté.

C’est l’histoire de dizaines de milliers d’hommes d’abord attirés par un emploi stable sur le chantier et ensuite recrutés de force et enchaînés lorsque le travail volontaire ne satisfit plus aux nécessités d’un projet devenu pharaonique (300 moines !). Ils vivent parqués dans des baraquements en bois désignés d’un joli nom : l’Ile de Madère. Certains paient de leur vie la folie qui consiste à déplacer sur plusieurs dizaines de kilomètres une pierre de 30 tonnes, et chaque jour est un enfer pire que le précédent.

C’est l’histoire de la famille royale, dont les déplacements sont suivis par une nuée de mendiants à qui l’on lance une pluie de monnaies frappées grâce à l’or du Brésil. Le voyage jusqu’à la frontière de l’Espagne pour sceller des alliances matrimoniales, retardé par des journées et des nuits de pluie, de boue et d’enlisement, est mémorable.

C’est l’histoire du Saint-Office, qui convoque des Actes de Foi, réjouissances populaires au cours desquelles des mal-pensants et des malfaisants sont exhibés aux quolibets de la foule avant d’être fouettés ou brûlés.

C’est l’histoire de Bartolomeo Lourenço de Gusmaõ, prêtre que sa réflexion sur le monothéisme mène aux confins du judaïsme et que la terreur du Saint Office va rendre fou. Il conçoit et réalise une machine volante plus lourde que l’air, mue par des volontés humaines soustraites à leurs propriétaires au moment de leur dernier souffle et conservées dans des sphères d’acier aimantées.

C’est l’histoire de Domenico Scarlatti, compositeur et claveciniste italien à la Cour du Portugal. Les Portugais l’appellent Escarlata. Sa musique rendra la vie à Blimunda, la voyante qui procure à Bartolomeu les volontés qui s’échappent de moribonds malades de la peste et qui lui sont nécessaires pour faire voler l’engin.

C’est l’histoire de Baltasar Matteus Sietesoles, agriculteur envoyé à la guerre et amputé d’une main à la bataille de Jerez de los Cabelleros, avant que les Princes de Portugal et d’Espagne se réconcilient. Né à Mafra, il travaille sur le chantier comme manœuvre, puis comme muletier. Ses camarades s’appellent Francisco Marques, José Pequeno, Joaquim da Rocha, Manuel Milho, João Anes,  Julián Maltiempo. Ils se racontent leurs destins de misère et de familles séparées.

C’est l’histoire de l’amour tendre de Blimunda et de Baltasar, Sietelunes et Sietesoles, amour né de l’Acte de Foi sur la place du Rossio à Lisbonne au cours duquel la mère de Blimunda est flagellée et envoyée en exil en Angola. Blimunda et Baltasar construisent et pilotent la machine volante. Baltasar se volatilise dans le ciel et Blimunda, pendant 9 ans, parcourt le Portugal en tous sens à sa recherche.

Photo Wikipedia : Monastère de Mafra.