Egales opportunités

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L’un des modules de formation à distance obligatoires pour les salariés de mon entreprise au Royaume Uni a pour nom « égales opportunités et diversité ».  Son contenu serait vraisemblablement très différent de l’autre côté de la Manche.

Comme nombre d’entreprises du secteur financier en Grande Bretagne, celle où je travaille impose à son personnel de suivre des programmes de formation par Internet sur des sujets de « compliance », c’est-à-dire de respect de la législation. Ces programmes couvrent une variété de sujet tels que les mesures contre le blanchiment d’argent ou le respect du consommateur. Un module traite des égales opportunités et de la diversité.

Le module explique pourquoi l’entreprise et chacun de ses membres ont intérêt à la diversité, c’est-à-dire à la présence de personnes de sexes, âges, croyances ou ethnies différentes. Il détaille les règlementations qui garantissent d’égales opportunités à tous et punissent la discrimination en raison du genre, de l’orientation sexuelle, de la nationalité, de la couleur, de la race, de l’origine ethnique, de la religion ou d’un handicap.

Les « égales opportunités » sont garanties par la loi dans tous les pays européens. Toutefois, l’application est différente d’un pays à l’autre.

Lire un curriculum vitae en Grande Bretagne relève de l’herméneutique. Des informations cruciales comme le sexe ou l’âge des candidats sont omises, et aucune photo n’est fournie. Il faut s’efforcer de s’en faire une idée à partir de leur parcours universitaire et professionnel.

Une fois la personne recrutée, la situation est exactement inverse. Les directions de ressources humaines sont vivement encouragées à tenir des statistiques aussi détaillées que possible par genre, âge, groupe ethnique, handicap. En France, on crierait au fichage et on suspecterait des intentions malveillantes. En Grande Bretagne, il s’agit de mesurer les discriminations de manière à les corriger.

(Photo : Marathon de Sao Paulo, The Guardian)

Malaise paysan

   

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La revue Télérama vient de publier une passionnante interview par Vincent Rémy de Marc Dufumier, agronome et militant de l’environnement, consacrée au malaise paysan. « Transhumances » en publie quelques extraits. La version intégrale peut être consultée à l’adresse suivante : http://www.telerama.fr/monde/les-agriculteurs-ont-perdu-leurs-reperes,54883.php

« Les citadins, qui ont un peu oublié ce qu’était l’agriculture, s’inquiètent surtout de la qualité sanitaire des aliments : dioxine dans le poulet, vache folle dans le steak, pesticides sur les légumes, hormones dans le lait, ça commence à faire beaucoup. Ils s’interrogent sur le bien-fondé d’une politique agricole commune (PAC) qui a abondamment subventionné les agriculteurs sans qu’on soit récompensés par la qualité des produits. Quand ils vont à la campagne, ils voient des paysages défigurés (…)  

On accuse les agriculteurs au lieu d’incriminer le système qui les a poussés à spécialiser exagérément leur agriculture et à la standardiser. Les agriculteurs disent : on a fait ce que les clients nous demandaient ; et les clients répondent : ce n’est pas ce qu’on a demandé. Cela vient du fait qu’entre eux, deux intermédiaires dominants, l’agro-industrie et la grande distribution, ont imposé des produits standards. Quand vous voulez faire épiler des canards par des robots, il faut que les canards naissent tous identiques, donc clonés, nourris avec la même alimentation, apportés le même jour à l’abattoir qui doit les traiter d’une seule et même façon…

(…) C’est un renversement complet : les agriculteurs sélectionnaient des variétés adaptées à leur terroir, les terroirs doivent désormais s’adapter à un faible nombre de variétés. Les agriculteurs n’ont plus à leur disposition que très peu de variétés végétales et un nombre décroissant de races animales.

Comment en sortir ? Il faut commencer par recombiner agriculture et élevage. C’est difficile parce que les agriculteurs se sont endettés dans la course aux machines, puis dans l’agrandissement des exploitations pour amortir ce matériel. Quelqu’un qui vient d’investir dans une grosse moissonneuse-batteuse ne peut investir dans une salle de traite, et inversement.

(…) Aujourd’hui, il faut revoir la copie : pour que les contribuables acceptent de continuer à financer nos agriculteurs, ces derniers vont devoir produire un environnement sain et beau et des aliments de bonne qualité. Quels sont les moyens d’y parvenir ? En généralisant les appellations d’origine protégées, avec une certification, comme pour le bio. Les agriculteurs seraient rémunérés non plus par des aides directes mais par des prix garantis, parce que le consommateur accepterait d’acheter plus cher ces produits. C’est possible puisque, malgré la crise économique, on importe 10 % de produits bio supplémentaires chaque année pour pallier l’insuffisance de la production française. Donc il y a bien un marché croissant pour des produits de qualité.

(…)  C’est cela qu’il faut renégocier : un transfert massif des subventions européennes vers l’agriculture de qualité. Une partie de ces subventions pourrait aussi rémunérer des contrats que les collectivités locales passeraient avec les agriculteurs pour le maintien du bocage, d’un environnement diversifié, afin de permettre notamment la survie des abeilles, donc la fécondation des fruitiers avec moins de pesticides et d’insecticides. Au final, on ne parlerait plus de subventions, de mendicité, mais de gens droits dans leurs bottes jouant un rôle de service public. »

Photo Télérama, Marc Dufumier

La population de Grande Bretagne

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Le quotidien britannique The Guardian vient de publier une série de suppléments intitulés « dossiers factuels » (fact files) sur divers aspects de la Grande Bretagne : www.guardian.co.uk/datablog. Le premier de ces dossiers était consacré à la population. Voici quelques uns de mes étonnements.

Il y avait en Grande Bretagne 1.98 enfants par femme en 2008 contre 2.71 en 1960. La fécondité reste cependant beaucoup plus élevée que dans d’autres pays européens, notamment ceux du sud.

Environ 6 millions de personnes sont venues habiter en Grande Bretagne depuis 1997, et 4 millions l’ont quittée. Plus de 11% de la population n’est pas blanche.

Il y a eu 232.990 mariages en 2008, deux fois moins qu’en 1972. Mais les mariages durent un peu plus longtemps : 11,5 ans en 2008 et 10,2 ans dix ans plus tôt. En 2007, 44% des naissances ont eu lieu hors mariage, elles n’étaient que 6% en 1961.

Les prénoms les plus fréquemment donnés aux petits garçons en 2008 étaient Jack, Oliver et Thomas ; aux filles, Olivia, Ruby et Emily.

37 millions de Britanniques se disent chrétiens, sept millions ne se réclament d’aucune religion, les Musulmans sont 4.5 millions, les Hindous 0.6 million, les Sikhs 0.3 million, les Juifs 0.3 million et les Bouddhistes 0.1million. La fréquentation des églises est actuellement de 6% de la population, contre 11% il y a trente ans.

Photos : Maison du Parlement à Londres, « transhumances »

Citoyen du Monde

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«Les seules batailles perdues sont celles que vous ne livrez pas ». Cette phrase pourrait servir d’exergue à la biographie de Carlos Ghosn, Citoyen du monde (Carlos Ghosn et Philippe Riès, Grasset, 2003).

Carlos Ghosn a été placé à la tête de Nissan à la suite de la conclusion de l’alliance avec Renault en 1999. Le producteur automobile nippon était au bord du dépôt de bilan. Renault, après l’échec d’AMC aux Etats Unis et l’échec de sa fusion avec Volvo, avait besoin de grandir en Asie et aux Etats-Unis. Bien que l’apport en capitaux en en hommes fût de Renault, l’alliance fut pensée comme un pacte entre égaux. Beaucoup d’observateurs considéraient que les possibilités de succès étaient réduites, compte tenu de la gravité de la situation de Nissan et de la distance culturelle entre la France et le Japon. Deux ans plus tard, Nissan transformée réalisait des bénéfices, accroissait sa part de marché et investissait dans de nouveaux modèles. Elle se lance aujourd’hui à son tour dans un partenariat audacieux avec le Chinois Dongfeng.

Le parcours de Carlos Ghosn est atypique. Né au Brésil, issu de l’émigration libanaise et gardant des liens forts avec le Liban, formé en France à l’Ecole Polytechnique et aux Mines, ils parle le portugais, le français et l’arabe. Passionné de lettres et d’histoire, ses capacités en mathématiques l’ont orienté vers la filière reine de l’enseignement supérieur français.

Arrivé à Tokyo avec un groupe d’une trentaine de français, Carlos Ghosn met en place une méthode originale fondée sur les défis précédemment surmontés chez Michelin: intégration de la filiale déficitaire Kléber, restructuration de la filiale brésilienne, absorption de Uniroyal Goodrich aux Etats-Unis. Il s’appuie aussi sur le plan de réduction des coûts chez Renault.

Carlos Ghosn se défend de posséder une méthode de management. Il parle « d’une approche de construction de ponts, fondée sur la rationalité et en même temps sur l’émotion, essentiellement tournée vers la performance objective et le redéploiement de l’entreprise ».

Performance. C’est probablement le mot-clé. Carlos Ghosn demande à ses collaborateurs français de ne pas se comporter en missionnaires. « Il y avait de notre côté la volonté de ne pas faire le changement pour le changement, mais pour la performance : le minimum de changement nécessaire pour le maximum de performance. Ce qui était important n’était pas de résoudre tous les disfonctionnements mais de détecter les plus importants et de ne traiter que ceux-là. Cela contraint à une très grande discipline personnelle, une très grande maîtrise de soi ». « Vous n’êtes pas venus pour changer le Japon, mais pour redresser Nissan, avec les hommes et les femmes de Nissan ». Il faut en permanence lutter contre l’envie de brusquer les choses, de s’énerver contre des détails comme le travail des agents administratifs en pantoufles, avec la mentalité qui va avec…

Performance objective. Le plan de renaissance de Nissan était, par rapport à toutes les références japonaises antérieures, extrêmement précis, très factuel, quantifié, non seulement pour le niveau de performance visé, mais aussi pour les délais. La marge d’interprétation était très limitée. Un élément essentiel est viser ce que les américains appellent l’ « affordability ». Réduire les coûts de telle sorte que les consommateurs puissent se permettre d’acheter. On ne peut gérer une entreprise sans avoir un œil rivé sur les coûts.

Construire des ponts. Une fois identifiés les problèmes, Carlos Ghosn constitue dans l’entreprise des équipes transversales qui mélangent les responsables de différents métiers, ingénierie, production, marketing, ventes, afin d’examiner un problème collectivement et sous tous les angles. Cette approche est cohérente avec le « cross-manufacturing », qui consiste à utiliser un même outil de production pour la fabrication de produits qui seront vendus sous deux ou plusieurs marques différentes.

Rationalité. La rationalité va de pair avec la clarté. Dans le choix même du nom « Nissan 180 » pour désigner le second plan triennal, il y a une volonté de clarté. Tous les objectifs majeurs sont contenus dans l’intitulé. Un pour 1 million de voitures supplémentaires vendues, huit pour 8% de marge opérationnelle, zéro pour une élimination totale de l’endettement. Nous avons défini la stratégie en termes simples : plus de revenus, des coûts compétitifs, plus de qualité, davantage de vitesse, une alliance plus forte avec Renault. Tout est affiché d’une manière simple, claire, quantifiée, même là où le personnel est le moins familier avec les subtilités de la stratégie, les gens comprennent où nous allons, comment nous allons et quelle doit être leur contribution. La clarté est ennemie de la dispersion. Carlos Ghosn est convaincu que l’entreprise doit rester collée à son produit : « back to basics ! »

Emotion. Carlos Ghosn a été marqué la personnalité de François Michelin. C’est avant tout quelqu’un de curieux des hommes. Il se fiche éperdument des diplômes que vous avez obtenus ou de savoir d’où vous venez, mais il est intéressé par ce que vous êtes. La curiosité de François Michelin était fondée sur le respect, sur l’intérêt porté aux gens, du haut en bas de l’échelle sociale, indépendamment de leur âge, de leur origine ou de leur position dans l’entreprise. Quand il rencontrait une personne, toutes ses antennes étaient dehors.

Les hommes appartiennent à une culture. Carlos Ghosn rend hommage à la culture française qui, tout en étant forte, avec un grand sens de son identité, est aussi perméable : on y apprend dès le plus jeune âge à s’intéresser à des cultures différentes. Il y a une curiosité à l’égard de ce qui est singulier, différent. A travers l’alliance avec Renault, Nissan est en train d’acquérir ce qui constituera à l’avenir un avantage compétitif : la dimension multiculturelle.

Un élément caractéristique de la culture japonaise, c’est qu’il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Or, Carlos Ghosn, au sein même de Nissan, chez les fournisseurs, ses partenaires, allait désigner des vainqueurs et des vaincus, parce que la survie de l’entreprise était à ce prix.

« Y a-t-il des leaders-nés ? Je ne le crois pas. Il y a des gens qui ont des aptitudes au leadership et ils sont très nombreux, plus nombreux qu’on ne le pense. Le tri se fait sur les opportunités qui leur permettent d’être placés en conditions d’exercer et de développer cette aptitude. Ils relèvent un premier défi, ils gagnent. Un second, ils gagnent encore. Ils vont prendre confiance en eux-mêmes et c’est comme cela que vous formez des leaders. Ceux qui ont plus de potentiel, il faut les envoyer sur les fronts chauds. C’est faire coup double : régler votre problème et récupérer quelqu’un qui sera grandi par son expérience ».

La plus grande fierté de Carlos Ghosn est d’avoir vaincu chez Nissan « la culture du blâme et de l’excuse ». La source des problèmes, c’est toujours vous-même. Nissan n’a pas décliné à cause de la stagnation économique au Japon ou parce que Toyota ou Honda étaient des concurrents trop puissants. Les gênes du déclin se trouvaient à l’intérieur de l’entreprise. En assumant totalement le passé et l’avenir de l’entreprise, le chef d’entreprise s’est posé en leader, il a associé la totalité du personnel dans le management et s’est engagé sur des résultats.

(Photo : Carlos Ghosn, Le Monde)