Citoyen du Monde

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«Les seules batailles perdues sont celles que vous ne livrez pas ». Cette phrase pourrait servir d’exergue à la biographie de Carlos Ghosn, Citoyen du monde (Carlos Ghosn et Philippe Riès, Grasset, 2003).

Carlos Ghosn a été placé à la tête de Nissan à la suite de la conclusion de l’alliance avec Renault en 1999. Le producteur automobile nippon était au bord du dépôt de bilan. Renault, après l’échec d’AMC aux Etats Unis et l’échec de sa fusion avec Volvo, avait besoin de grandir en Asie et aux Etats-Unis. Bien que l’apport en capitaux en en hommes fût de Renault, l’alliance fut pensée comme un pacte entre égaux. Beaucoup d’observateurs considéraient que les possibilités de succès étaient réduites, compte tenu de la gravité de la situation de Nissan et de la distance culturelle entre la France et le Japon. Deux ans plus tard, Nissan transformée réalisait des bénéfices, accroissait sa part de marché et investissait dans de nouveaux modèles. Elle se lance aujourd’hui à son tour dans un partenariat audacieux avec le Chinois Dongfeng.

Le parcours de Carlos Ghosn est atypique. Né au Brésil, issu de l’émigration libanaise et gardant des liens forts avec le Liban, formé en France à l’Ecole Polytechnique et aux Mines, ils parle le portugais, le français et l’arabe. Passionné de lettres et d’histoire, ses capacités en mathématiques l’ont orienté vers la filière reine de l’enseignement supérieur français.

Arrivé à Tokyo avec un groupe d’une trentaine de français, Carlos Ghosn met en place une méthode originale fondée sur les défis précédemment surmontés chez Michelin: intégration de la filiale déficitaire Kléber, restructuration de la filiale brésilienne, absorption de Uniroyal Goodrich aux Etats-Unis. Il s’appuie aussi sur le plan de réduction des coûts chez Renault.

Carlos Ghosn se défend de posséder une méthode de management. Il parle « d’une approche de construction de ponts, fondée sur la rationalité et en même temps sur l’émotion, essentiellement tournée vers la performance objective et le redéploiement de l’entreprise ».

Performance. C’est probablement le mot-clé. Carlos Ghosn demande à ses collaborateurs français de ne pas se comporter en missionnaires. « Il y avait de notre côté la volonté de ne pas faire le changement pour le changement, mais pour la performance : le minimum de changement nécessaire pour le maximum de performance. Ce qui était important n’était pas de résoudre tous les disfonctionnements mais de détecter les plus importants et de ne traiter que ceux-là. Cela contraint à une très grande discipline personnelle, une très grande maîtrise de soi ». « Vous n’êtes pas venus pour changer le Japon, mais pour redresser Nissan, avec les hommes et les femmes de Nissan ». Il faut en permanence lutter contre l’envie de brusquer les choses, de s’énerver contre des détails comme le travail des agents administratifs en pantoufles, avec la mentalité qui va avec…

Performance objective. Le plan de renaissance de Nissan était, par rapport à toutes les références japonaises antérieures, extrêmement précis, très factuel, quantifié, non seulement pour le niveau de performance visé, mais aussi pour les délais. La marge d’interprétation était très limitée. Un élément essentiel est viser ce que les américains appellent l’ « affordability ». Réduire les coûts de telle sorte que les consommateurs puissent se permettre d’acheter. On ne peut gérer une entreprise sans avoir un œil rivé sur les coûts.

Construire des ponts. Une fois identifiés les problèmes, Carlos Ghosn constitue dans l’entreprise des équipes transversales qui mélangent les responsables de différents métiers, ingénierie, production, marketing, ventes, afin d’examiner un problème collectivement et sous tous les angles. Cette approche est cohérente avec le « cross-manufacturing », qui consiste à utiliser un même outil de production pour la fabrication de produits qui seront vendus sous deux ou plusieurs marques différentes.

Rationalité. La rationalité va de pair avec la clarté. Dans le choix même du nom « Nissan 180 » pour désigner le second plan triennal, il y a une volonté de clarté. Tous les objectifs majeurs sont contenus dans l’intitulé. Un pour 1 million de voitures supplémentaires vendues, huit pour 8% de marge opérationnelle, zéro pour une élimination totale de l’endettement. Nous avons défini la stratégie en termes simples : plus de revenus, des coûts compétitifs, plus de qualité, davantage de vitesse, une alliance plus forte avec Renault. Tout est affiché d’une manière simple, claire, quantifiée, même là où le personnel est le moins familier avec les subtilités de la stratégie, les gens comprennent où nous allons, comment nous allons et quelle doit être leur contribution. La clarté est ennemie de la dispersion. Carlos Ghosn est convaincu que l’entreprise doit rester collée à son produit : « back to basics ! »

Emotion. Carlos Ghosn a été marqué la personnalité de François Michelin. C’est avant tout quelqu’un de curieux des hommes. Il se fiche éperdument des diplômes que vous avez obtenus ou de savoir d’où vous venez, mais il est intéressé par ce que vous êtes. La curiosité de François Michelin était fondée sur le respect, sur l’intérêt porté aux gens, du haut en bas de l’échelle sociale, indépendamment de leur âge, de leur origine ou de leur position dans l’entreprise. Quand il rencontrait une personne, toutes ses antennes étaient dehors.

Les hommes appartiennent à une culture. Carlos Ghosn rend hommage à la culture française qui, tout en étant forte, avec un grand sens de son identité, est aussi perméable : on y apprend dès le plus jeune âge à s’intéresser à des cultures différentes. Il y a une curiosité à l’égard de ce qui est singulier, différent. A travers l’alliance avec Renault, Nissan est en train d’acquérir ce qui constituera à l’avenir un avantage compétitif : la dimension multiculturelle.

Un élément caractéristique de la culture japonaise, c’est qu’il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Or, Carlos Ghosn, au sein même de Nissan, chez les fournisseurs, ses partenaires, allait désigner des vainqueurs et des vaincus, parce que la survie de l’entreprise était à ce prix.

« Y a-t-il des leaders-nés ? Je ne le crois pas. Il y a des gens qui ont des aptitudes au leadership et ils sont très nombreux, plus nombreux qu’on ne le pense. Le tri se fait sur les opportunités qui leur permettent d’être placés en conditions d’exercer et de développer cette aptitude. Ils relèvent un premier défi, ils gagnent. Un second, ils gagnent encore. Ils vont prendre confiance en eux-mêmes et c’est comme cela que vous formez des leaders. Ceux qui ont plus de potentiel, il faut les envoyer sur les fronts chauds. C’est faire coup double : régler votre problème et récupérer quelqu’un qui sera grandi par son expérience ».

La plus grande fierté de Carlos Ghosn est d’avoir vaincu chez Nissan « la culture du blâme et de l’excuse ». La source des problèmes, c’est toujours vous-même. Nissan n’a pas décliné à cause de la stagnation économique au Japon ou parce que Toyota ou Honda étaient des concurrents trop puissants. Les gênes du déclin se trouvaient à l’intérieur de l’entreprise. En assumant totalement le passé et l’avenir de l’entreprise, le chef d’entreprise s’est posé en leader, il a associé la totalité du personnel dans le management et s’est engagé sur des résultats.

(Photo : Carlos Ghosn, Le Monde)

Renault et Daimler

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Le Monde a publié dans son édition du 8 avril une interview de Carlos Ghosn, PDG des constructeurs automobiles Renault et Nissan par Stéphane Lauer. Il y explique la logique qui a prévalu au rapprochement avec le groupe allemand Daimler, producteur de Mercedes et de Smart. Un véritable cours de vision stratégique et de management d’entreprise.

Il faut à la fois saisir des opportunités venues de l’extérieur mais aussi savoir précisément ce que l’on veut : « Daimler nous a contactés il y a un peu moins d’un an pour étudier une coopération sur le modèle qui succéderait à la Smart actuelle. Nous avons répondu que nous n’étions pas intéressés par un projet ne concernant qu’une seule voiture, mais qu’en revanche nous étions prêts à discuter d’un partenariat plus large. »

Il faut consacrer du temps a convaincre : « c’est vrai que sur le sujet des synergies, il a fallu un peu plus communiquer au Japon. Côté Renault, travailler sur ce que l’on pouvait partager dans le domaine des petites voitures ou dans les petits moteurs était évident ; côté Nissan, cela l’était moins. Mais une fois que les synergies ont été identifiées, il n’y a plus eu de débat. »

Il faut avoir une vision de long terme : « d’expérience, nous savons que les gens dans une entreprise ne sont prêts à partager leur savoir-faire que si cela s’inscrit dans la durée. Quand on n’en est pas sûr, le réflexe consiste à garder les informations pour soi, car du jour au lendemain, vos interlocuteurs peuvent se retrouver dans le camp d’en face. L’échange capitalistique donne une autre dimension, signifie que c’est du sérieux, du long terme. » Et encore : « Cette opération va certainement relancer le mouvement de concentration dans l’industrie puisqu’elle va avoir des conséquences importantes sur le paysage concurrentiel. Aujourd’hui, les constructeurs doivent se développer simultanément sur la voiture électrique, l’hybride, être présent sur l’ensemble de la gamme et dans de plus en plus de pays. Je ne vois pas comment un constructeur qui ne produit que 2 ou 3 millions de voitures peut faire face. Grâce à l’accord avec Daimler, l’alliance Renault-Nissan se situe, avec Volkswagen et Toyota, dans le club fermé des constructeurs qui fabriquent plus de 7 millions de voitures. C’est une façon de positionner pour l’avenir. »

La future Smart quatre places sera construite à partir de la base de la prochaine Renault Twingo. Le design et la personnalité de marque seront différents, mais sous la carrosserie beaucoup d’éléments seront communs afin de réaliser des économies d’échelle, écrit Nathalie Brafman dans Le Monde.

Photo : Smart.

Libérez des prisonniers !

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Dans son numéro du 1er avril 2010, et sous la plume d’Amelia Hill, le président du comité des libérations conditionnelles d’Angleterre et du Pays de Galles, Sir David Latham, s’insurge contre la tendance générale à réclamer des peines plus longues.

La prise de position du « Chair of the Parole Board for England and Wales » fait suite à une violente campagne dans les tabloïds britanniques à la suite du retour en prison de Jon Venables, condamné alors qu’il était mineur pour le meurtre d’un petit garçon. Les journaux demandent des peines plus longues et s’opposent aux libérations conditionnelles.

« Nos taux de libération se sont réduits ces dernières années d’une manière dont on peut penser qu’il s’agit d’une réaction exagérée du public à la perspective de la récidive par des prisonniers libérés. En réalité, le taux de récidive sérieuse par des prisonniers libérés n’est que de 1 à 2 %, un niveau qui est resté stable depuis de nombreuses années. Le risque est que des cas difficiles, comme celui de Venables, finissent par produire de mauvaises lois (…)

La société doit se rendre compte de ce qu’on ne peut créer un monde sans risque. Ce que la société doit définir, c’est le niveau de risque qu’elle est prête à accepter. Je suis préoccupé parce que la société dans laquelle nous vivons devient trop réfractaire au risque (…) La conséquence est que l’on permet que de vraies injustices se produisent. A moins que la société se prépare à prendre une attitude plus sophistiquée à l’égard du risque posé par les prisonniers libérés sur parole, le système pénal continuera à incarcérer des personnes qui ne commettraient plus jamais de crimes si elles étaient libérées, pendant beaucoup plus d’années que leur condamnation par le tribunal. »

Il faut dire que la justice britannique pratique un système de « peines recommandées » qui peuvent être allongées par le juge d’application des peines. Un système dont rêvent beaucoup de conservateurs français ! Le 7 octobre 2009, The Guardian s’est ainsi fait l’écho du cas de Ben Gunn, qui avait tué un ami à l’âge de 14 ans. Ben est en prison depuis 30 ans maintenant, 20 ans de plus que la peine recommandée. Animateur d’un  syndicat de prisonnier qui vient d’obtenir de haute lutte le droit de vote pour les détenus, il est considéré comme asocial par l’administration pénitentiaire qui le maintient sous les verrous. Il tient un blog indirectement : interdit d’accès à Internet, il poste ses chroniques que tes amis chargent sur le Net : http://prisonerben.blogspot.com/.

(Illustration du Guardian : portrait de Ben Gunn par un codétenu)

Verdir son chat

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Dans le numéro du 1er avril du quotidien britannique The Guardian, le journaliste Adam Vaughan annonce la création d’un poisson vert pour les animaux domestiques. Il ne semble pas que ce soit un poisson d’avril.

« Pour les écologistes qui ont tout fait, depuis verdir leur maison jusqu’à décarboner leur voyage, il reste une nouvelle frontière : verdir leur animal familier. Dans le courant de l’année, les 8 millions de propriétaires de chats britanniques pourront leur donner à manger leur poisson favori avec bonne conscience. Dans une initiative annoncée hier, les aliments pour animaux domestiques Whiskas et Sheba vont devenir les premiers à vendre des produits utilisant du poisson certifié par Marine Stewardship Council, un poisson capturé selon les critères du développement durable.

(…) Les propriétaires britanniques d’animaux familiers achètent 1,5 millions de tonnes de nourriture par an. Les auteurs d’un livre récent – Le moment est-il venu de manger le chien ? – disent que l’énergie nécessaire pour nourrir un chat est la même que celle qu’il faut pour construire une VW Golf et la conduire 10.000km par an. »

Les experts se félicitent de ce premier pas, mais recommandent de limiter l’usage de la protéine de poisson, une ressource de plus en plus rare, et de la remplacer par de la volaille et du lapin.

Photo : Séga