Quadrature du cercle

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Le consultant espagnol en ressources humaines Grupo BLC publie sur son site Internet http://www.grupoblc.net/ des articles souvent stimulants. L’éditorial de son président en mars s’intitule « pourquoi le talent est rond et les postes de travail sont carrés » ?

Javier Cantera s’attaque donc à la quadrature du cercle. « Dans l’entreprise d’aujourd’hui, nous devons chercher des personnes avec talent, pas nécessairement des personnes qui cadrent avec un poste… Telle est précisément la définition du talent entrepreneurial : quelqu’un capable de transcender les frontières organisationnelles et d’apporter de la valeur ajoutée où qu’il soit et quoi qu’il fasse. »

Grupo BLC a voulu définir le talent entrepreneurial et, paraphrasant Einstein, propose E = IC², formule dans laquelle E est le caractère entrepreneurial, qui a beaucoup à voir avec l’énergie. I est l’enthousiasme (ilusión en espagnol) et C² se réfère au binôme « connaissance » et « compétence » sans lesquelles le talent se réduit au potentiel, c’est-à-dire un concept vague avec lequel il serait difficile de travailler.

En réalité, de qui l’intéresse, ce n’est pas la quadrature du cercle, mais la « sphérisation » du carré !

Photo du satellite Hubble : Saturne

Benoît XIII & III

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 Les chats vont-ils sauver le Pontificat de Joseph Ratzinger ? Un article du supplément G 2 du quotidien britannique « The Guardian » daté du 23 mars le laisse espérer.

Des matheux facétieux ont renommé Benoît XVI « Benoît XIII et III ». Ce pape très étroit peut-il encore changer ? Dans un article intitulé « le pape le plus controversé de l’histoire », John Hooper ouvre une fenêtre d’espoir.

« Outre la théologie et la philosophie, les principaux enthousiasmes connus du pape sont pour la musique classique (c’est un pianiste accompli, avec un amour particulier pour Mozart et Bach) et pour les chats – et ils semblent aussi avoir de l’affection pour lui. Le Cardinal Tarcisio Bertone, son secrétaire d’Etat, a raconté comment, quand Ratzinger était un haut responsable du Vatican « chaque fois qu’il rencontrait un chat, il lui parlait, parfois un long moment. Le chat le suivait ». Une fois, dit Bertone, Ratzinger avait introduit un entourage d’environ 10 chats dans le Vatican et un Garde Suisse avait protesté qu’ils « envahissaient le Saint Siège ».

On se plait à imaginer que le pape « 13 et 3 » se mette à écouter les chats après leur avoir parlé. Ceux-ci lui ronronneraient à l’oreille le plaisir de découvrir le jardin du voisin au lieu de rester frileusement tapi dans le sien, le plaisir de bondir d’un territoire à un autre, le plaisir de la tendresse reçue et donnée. Grâce aux félins, la vraie vie envahirait le Saint Siège.

(Photo The Guardian)

Le syndrome du panda géant

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Dans le supplément G2 du quotidien The Guardian du 23 mars, Aditya Chalcabortty compare l’économie britannique à un panda géant, égaré dans un cul de sac de l’évolution.

Le panda géant, par son extrême difficulté à se nourrir et à se reproduire, est un exemple d’un phénomène nommé « path dependance », l’emprisonnement dans un chemin sans issue. Cet animal se trouve pris dans un cul de sac de l’évolution et il est trop tard pour qu’il puisse faire marche arrière.

Un autre exemple est le clavier d’ordinateur. « La disposition QWERTY (en français AZERTY) n’a pas été conçue pour rendre la dactylographie plus rapide, mais exactement le contraire. Comme l’indique Paul David, le parrain de la théorie du « path dependance », les touches des machines à écrire du milieu du 19ième siècle s’emmêlaient si on les frappait trop vite, de sorte que l’on espaça les touches les plus fréquemment utilisées afin de ralentir les dactylos. Les mécaniciens de Remington promurent ensuite la lettre R au sommet, ce qui fit que se retrouvèrent sur le premier rang toutes les touches nécessaires pour que les vendeurs désireux d’impressionner les clients puissent rapidement « picorer » la marque « TYPE WRITER ». Même après que le problème mécanique fut résolu, le clavier QWERTY devint le standard pour les producteurs et les clients. Un bouquet de facteurs hasardeux se combina ainsi pour faire d’un clavier inconfortable et inefficace la norme de l’industrie. »

Quel est le rapport entre le panda géant et l’économie britannique ? Comme le panda, celle-ci se retrouve dans une situation de « path dependance » : la domination par la Cité de Londres. La City a fait pression pendant des années sur le pouvoir politique pour qu’il défende une livre forte, ce qui était bon pour l’industrie financière mais provoqua pendant les années Blair la disparition de plus d’un million d’emplois industriels.

Contrairement au panda, l’économie peut remonter le cours d’un chemin évolutionniste sans issue. Mais, dit Aditya Chalcabortty, cela prendra beaucoup de temps et beaucoup d’effort.

(Photo http://photos.last-video.com)

En finir avec les privatisations ?

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 Transhumances a consacré un article à l’historien américain Tony Judt, paralysé par une maladie dégénérative (Nuit, 12 janvier 2010). Dans le supplément « Review » du quotidien the Guardian du 20 mars, celui-ci écrit un manifeste politique intitulé « que faire ? » (what is to be done ?). Il prône une rupture nette avec le crédo des années quatre-vingts et quatre vingt dix, en particulier la foi dans l’efficacité des privatisations.

« Avec l’avènement de l’Etat moderne (en particulier tout au long du dernier siècle), les transports, les hôpitaux, les écoles, les systèmes postaux, les forces de police et un accès à la culture à petit prix – services essentiels qui ne sont pas bien servis par le moteur du profit – furent placés sous une réglementation ou un contrôle publics. On les rend maintenant aux mains d’entrepreneurs privés. Ce à quoi nous avons assisté, c’est le passage continuel de la responsabilité publique au secteur privé, en contrepartie d’aucun avantage collectif discernable. Contrairement à la théorie économique et au mythe populaire, la privatisation est inefficace. 

Il a été calculé que dans le processus de privatisation de l’ère Thatcher, le prix délibérément bas auquel furent cédés des actifs historiquement publics avait abouti au transfert de 14 milliards de livres des contribuables aux actionnaires et autres investisseurs. A cette perte, il faut ajouter 3 milliards de livres de commissions aux banquiers qui conduisirent les privatisations. »  Judt ajoute le coût de la réintégration dans le secteur public d’entreprises privatisées qui font faillite, comme certains hôpitaux du service national de santé ou le métro londonien.

« En bref, les gouvernements donnent de plus en plus en fermage leurs responsabilités à des sociétés privées qui s’offrent pour les administrer mieux que l’Etat et à moindre coût. Au 18ième siècle, on appelait cela les Fermiers Généraux. Les premiers gouvernements modernes manquaient souvent de moyens pour collecter les impôts et lançaient des appels d’offres à des individus privés pour qu’ils s’en chargent. Celui dont la mise était la plus haute emportait la charge et était libre – une fois qu’il avait payé la somme – de collecter tout ce qu’il pouvait et de conserver les résultats. Le gouvernement supportait une réduction sur le montant d’impôt espéré, en contrepartie d’un paiement d’avance. Après la chute de la monarchie en France, il fut généralement admis que le fermage des impôts est un système inefficace jusqu’à l’absurde. En premier lieu, il discrédite l’Etat représenté par un profiteur privé avide. Deuxièmement, il génère considérablement moins de revenus qu’un système de recette fiscale gouvernemental bien administré, ne serait-ce qu’à cause de la marge de profit additionnelle du collecteur privé. Et troisièmement, on obtient des contribuables dégoûtés. Il en va aujourd’hui comme au 18ième siècle : en éviscérant les responsabilités et les capacités de l’état, nous avons miné la position qu’il occupe. Peu de gens en Grande Bretagne continuent à croire en ce qu’on croyait être une « mission de service public » : le devoir de fournir certaines sortes de biens et de services simplement parce qu’ils sont d’intérêt public. »

Tony Judt se fait l’avocat d’un changement radical de consensus politique. La priorité des priorités doit être la réduction des inégalités. « L’inégalité n’est pas seulement un problème technique. Il illustre et exacerbe la perte de la cohésion sociale (…) Si nous restons inégaux jusqu’au grotesque, nous perdrons tout sens de la fraternité. Et la fraternité, malgré toute sa fatuité en tant qu’objectif politique, s’avère la condition nécessaire du politique lui-même. »

(Photo illustrant l’article du Guardian : usagers du métro londonien traversant le pont de Waterloo  un jour de grève en 2004)