Stupid pigs

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 Le monde financier adore les acronymes. Apres les PECO, les BRICS et les PIGS, voici STUPID. On peut se demander si ce n’est pas la caricature elle-même qui est stupide.

Les PECO appartiennent déjà à l’histoire : il s’agissait des pays d’Europe Centrale et Orientale après la chute du mur de Berlin. Les BRICS, Brésil, Russie, Inde et Chine caractérisent les puissantes montantes de la première décennie du vingt et unième siècle. Avec la crise financière est apparu l’acronyme PIGS : Portugal, Ireland, Greece, Spain, pays affligés d’un déficit public hors de contrôle, encore que comme le soulignait Katie Allen dans le quotidien The Guardian le 13 février il y a un doute sur le « I » : Irlande ou Italie ?

Voici que nait l’acronyme « STUPID » pour Spain, Turkey, United Kingdom, Portugal, Italy, Dubai. On voit mal ce qui rapproche l’émirat frappé de la folie des grandeurs et la patrie de Magellan réduite depuis si longtemps à l’humilité. On ne comprend pas ce que fait dans la liste la Turquie, qui a su mieux que d’autres pays contrôler son budget. Et on suppose que le Royaume Uni et l’Italie ne figurent ici que parce qu’il fallait les lettres « U » et « I ».

Par leur mépris librement affiché, ces jeux de mot ont pour effet de stigmatiser des pays que les spéculateurs du monde entier peuvent, en bons moutons de panurge, piétiner.

(Voir Kate Allen, « acronym acrinomy, the problem with Pigs », The Guardian 13 février 2010, http://www.guardian.co.uk/business/2010/feb/12/pigs-piigs-debted-eu-countries. Photo Bourse d’Athènes, 10 février 2010, www.msnbc.msn.com))

Pédale collante

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 Beaucoup a été dit sur la crise de la « pédale collante » : le constructeur japonais Toyota a du rappeler 3,8 millions de voitures dont la pédale d’accélérateur était susceptible de rester collée au plancher. Il y a un aspect qui me semble mériter attention.

Dans l’hebdomadaire britannique The Observer du 7 février, on peut lire : « il a depuis lors émergé que Toyota avait eu connaissance de plaintes de consommateurs au sujet de telles pédales  d’accélérateur « collantes » au Royaume Uni depuis la fin de 2008. Toyota admet que 26 des cas qu’il a rencontrés en Europe furent rapportés comme « questions de satisfaction-client » à l’époque. »

Toyota disposait certainement de procédures élaborées de gestion des plaintes. Certaines prenaient le chemin de la satisfaction-client, d’autres celui de la sécurité. On comprend pourquoi des techniciens ou des concessionnaires ont choisi le premier. Le second pouvait mener à une bombe, celle qui vient précisément d’éclater. Personne ne s’est trouvé au carrefour des deux chemins et n’a posé la question du risque potentiel que faisait courir aux conducteurs des véhicules incriminés et aux autres usagers de la route une pédale d’accélérateur qui reste enfoncée.

Les grandes organisations ont déployé des outils de gestion du risque opérationnel perfectionnés. Mais la complexité les rend parfois sourdes et aveugles, collées aux habitudes.

Enron

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Le théâtre Noël Coward de Londres présente Enron, une pièce consacrée à la faillite retentissante du colosse américain de l’énergie le 2 décembre 2001. Elle sera aussi montée à Broadway en avril prochain.

L’auteur est une jeune Anglaise de 28 ans, Lucy Prebble. La mise en scène de Rupert Goold a de nombreux points communs avec « The Power of Yes », pièce consacrée elle aussi à la finance et à ses dérives. Son rythme est en permanence soutenu. Le style est parfois proche d’une comédie musicale : il y a des parties chantées et le mouvement des acteurs est réglé comme une chorégraphie.

La scène est partagée par un rideau ajouré noir. Certains tableaux se jouent sur une estrade dressée dans l’arrière-scène, les personnages rendus un peu irréels par l’interposition du rideau. Le rideau sert aussi d’écran pour la projection d’images d’époque : Clinton démentant toute relation sexuelle avec Monica Lewinsky, Greenspan vantant la sécurité apportée par les nouveaux instruments financiers, l’affrontement de Bush contre Gore, une publicité d’Enron se présentant comme l’entreprise du futur, la chute des Tours Jumelles de Manhattan quelques semaines avant celle d’Enron.

Il y a quelques trouvailles : Lehman Brothers est présenté sous la forme deux jumeaux moustachus à lunettes enveloppés d’un même manteau et parlant d’une même voix. Un dirigeant d’Enron met à l’épreuve un collaborateur sur un tapis de jogging en salle. Le directeur financier est entouré des « raptors » qu’il a conçus, dinosaures carnivores chargés d’engloutir les dettes de la compagnie.

Le personnage central est Jeffrey Skilling, un jeune homme brillant animé de brillantes idées, apôtre du « mark to market », technique comptable selon laquelle on assigne à tout moment à un instrument financier sa valeur sur le marché, ce qui permet donc d’enregistrer aujourd’hui des gains qui ne se réaliseront que plus tard. Skilling convainc le fondateur et président d’Enron, Ken Lay, de s’engager dans des voies nouvelles. Il s’oppose frontalement à Claudia Roe, qui défend une vision industrielle de l’entreprise : Enron devrait selon elle s’internationaliser, créer des usines en Inde. Pour Skilling au contraire, l’avenir est dans le virtuel. Il lance une activité de trading en énergie : il s’agit de vendre et d’acheter des contrats de gaz ou de kilowatts heure, et tant mieux si la transaction ne se dénoue pas en une livraison matérielle.

Skilling recrute et promeut un mathématicien financier, Andy Fastow, une sorte de professeur Nimbus qui met en place une cascade de filiales chargées de porter l’endettement du groupe. La maison mère porte ces participations à son actif, et nul ne se rend compte de la réalité : des dizaines de milliards de dollars de dettes.

Skilling, Fastow et Lay forment un triangle infernal. Ce dernier se charge du lobbying auprès des politiques, et en particulier du gouverneur du Texas, George W. Bush. Il obtiendra la libéralisation de l’énergie, avec comme conséquence des pannes électriques en Californie. Une bonne affaire pour Enron, dont les prix augmentent soudainement.

A partir de mars 2001, Fortune puis le Wall Street Journal se demandent pourquoi la compagnie a pu croître aussi vite. Skilling démissionne non sans avoir vendu son paquet d’actions. Jusqu’au bout, Lay affirme que la situation de l’entreprise n’a jamais été aussi bonne, et persuade les employés de conserver les leurs. Beaucoup se retrouveront ruinés et privés de retraite. Au procès, Fastow coopèrera pleinement avec la Justice en contrepartie d’un allègement de sa peine. Skilling s’obstinera dans un déni de toute erreur et de toute responsabilité et sera condamné à 25 ans d’emprisonnement. Lay mourra d’une crise cardiaque.

L’air de parenté entre « The Power of Yes », pièce consacrée à la crise financière culminant avec la faillite de Lehman Brothers, et « Enron » ne se limite pas au style de la mise en scène. Il y a dans la folle aventure d’Enron, dans la volonté de s’affranchir de la pesanteur de l’économie réelle, une anticipation de ce qui arrivera sept ans plus tard à l’échelle du système financier international.

(Photo tirée de la pièce Enron)

Paroles d’enfants immigrés

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Le supplément « Venerdì » du quotidien italien La Repubblica a publié le 5 février un article sur le racisme vu et vécu par des enfants. Il se fonde sur un livre de Giuseppe Caldi, un instituteur de Reggio Emilia. Intitulé « Italia, per esempio » (Italie, par exemple). Le livre sera publié par Feltrinelli dans quelques jours. Il se présente comme une anthologie amusante, mais aussi tendre, bouleversante et douloureuse. En voici quelques extraits.

Aujourd’hui Carlo a écrit sur ma trousse « je te hais ! » Moi pourtant ça ne me touche même pas, parce que j’y suis habituée (Vera, 9 ans, Albanie)

Moi ici en Italie je suis nouvelle. D’abord j’avais peur de ne pas parler, de ne pas apprendre. Et puis je ne savais pas si les maîtresses et les élèves m’acceptaient ou non. Mais ensuite elles ont fait une fête pour moi, elles ont dit mon nom et bref maintenant je me trouve très bien ici à l’école en Italie. Maintenant je sais qu’elles m’acceptent. Je le sais parce qu’elles me le disent. Peut-être me le disaient-elles avant, mais je ne comprenais pas bien ». (Laila, 7 ans, Egypte)

Une chose qui m’ennuie de la part de quelques camarades de classe italiens est celle-ci : s’ils t’offrent une balle et que le lendemain ils te disent qu’ils ne te l’ont pas offerte et la reprennent, ils me disent que je n’ai pas compris. En revanche, moi j’ai très bien compris (Jo, 10 ans, République Dominicaine).

Eux, ils sont contre tous sauf contre eux-mêmes. Ils s’appellent Lega Nord et sont contre le Sud, l’Ouest et l’Est (Naima, 11 ans, Maroc)

Ils sont petits, sympathiques, joyeux, toujours à la mode. Les Italiens ressemblent aux Albanais (Vera, 9 ans, Albanie)

Les mamans d’Italie traitent leurs enfants un peu comme des bébés, même s’ils sont plus grands. En revanche, mois j’ai tout de suite compris que je devais me débrouiller toute seule (Olga, 11 ans, Togo)

Un enfant pense que j’ai la peau comme ça parce que je me suis teinte avec un crayon. Et si je me lave bien la figure, après elle devient blanche. Mais à la fin, ils posent tous des questions. Ils disent : « de quelle couleur est ton sang ? » Ils disent « mais ton caca est noir ? »  Ils le disent parce qu’ils sont petits, ils ne sont pas méchants. Eux dès qu’ils voient une peau noire, ils pensent que tout est noir, mais ça n’est pas comme ça, Je ne me mets as en colère car la maîtresse doit encore tout leur enseigner, ils sont trop petits. Et puis je n’ai jamais vu un caca blanc, personne ne l’a vu, ça n’existe pas ! (Ines, 9 ans, République Dominicaine)

Pour moi, s’ils s’aiment ils font bien de s’épouser même si lui est noir et elle blanche, la couleur ne veut rien dire parce que même celui qui vient de l’étranger est une personne, pas un animal. Mais le mari et la femme doivent se mettre bien d’accord sur ce que l’on mange, sur la religion et sur l’éducation des enfants, parce qu’ils avaient peut-être des habitudes différentes et donc pour se mettre d’accord ils doivent un peu plus parler, autrement il y a des embrouilles et même des litiges. Mais il peut y avoir des embrouilles même si le père et la mère sont tous deux italiens, en fait en Italie il y a beaucoup de mariages non mixtes mais aussi beaucoup de divorces (Kumari, 10 ans, Pakistan)

Mon frère m’avait dit que s’il voulait aller en discothèque, lui en Italie ne peut pas y aller. Non parce qu’il est petit, mais parce qu’il est étranger. Parce qu’à Reggio Emilia et Parme on n’accepte pour danser en discothèque que des italiens. Mais si tu es une fille, tu peux entrer même si tu es marocaine. Mais seulement si tu es belle (Omar, 11 ans, Maroc)

En Italie, il y a deux rois : un roi est Berlusconi, l’autre est le Pape. Berlusconi commande l’Italie, le Pape commande les Italiens (Lili, 9 ans, Chine)

Moi, s’il y a seulement cette croix ça ne m’ennuie pas, mais si le mort y est attaché ça me semble un peu moche parce que quand tu manges tu vois tout le temps ce Dieu qui meurt et pour moi ce n’est pas beau. (Naima, 7 ans, Maroc)

Si tu es née dans un pays et que tu viens ensuite habiter dans un pays lointain, comme moi, tu te sens un peu étrange, tu te sens un peu comme si tu étais un nouveau né ; parce que tu es déjà né au Sri Lanka, comme moi, mais si tu viens en Italie, tu sais marcher mais tu ne sais pas parler italien, et tu dois changer ta façon de manger parce que tu ne trouves pas notre nourriture (Sheela, 9 ans, Sri Lanka)

Moi j’ai mes parents qui sont nés en Tunisie et moi je suis née pourtant en Italie, alors quelle est ma patrie ? Toujours la Tunisie ou est-ce l’Italie aussi pour moi ? Ou bien toutes les deux ? Ou bien aucune patrie ? (Zahira, 11 ans, Tunisie)

Parfois je ne comprends pas les gens qui te disent que tu es Albanais, tu es Indien, tu es Italien, tu es Roumain. Qu’est-ce que ça veut dire ? Moi maintenant je suis ici, en Italie (Damian, 10 ans, Roumanie)

Il y a beaucoup de types d’Italiens : grands, blonds, de valeur, méchants. Comme les Chinois. Mais ils sont un eu ignorants, ils ne le savent pas. Ils pensent que tous les Chinois sont pareils, parce qu’ils n’ont pas voyagé comme moi (Tong, 9 ans, Chine).