Adam n’avait pas de parents

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Le quotidien britannique The Independent a consacré le 5 mars un article à la rétractation d’un scientifique musulman, Usama Hasan, qui avait affirmé que la théorie de l’évolution n’était pas incompatible avec le Coran.

Professeur de Physique à l’Université du Middlesex et membre de la Royal Atronomical Society, Usama Hasan avait donné une conférence à la mosquée Masjid al-Tawhid de Leyton, dans l’est de Londres, sur le thème « l’Islam et la théorie de l’évolution ». Il y affirmait que la théorie de Darwin et le Coran étaient compatibles. A la suite de cette conférence, il reçut des menaces de mort. Son père fit afficher en son nom une « clarification et rétractation » ainsi rédigée :

« A la suite de mes affirmations du 15 février au sujet de l’évolution et du voile (hijab), je voudrais affirmer, après avoir réfléchi sur le sujet et pris conseil, que 1- je regrette et retire quelques unes des affirmations que j’ai faites dans le passé, et particulièrement les plus polémiques 2- Je ne crois pas qu’Adam – que la paix soit sur lui – avait des parents 3- Je cherche le pardon d’Allah pour mes erreurs et prie les autres de m’excuser si je les ai offensés. »

Les journalistes Tom Peck et Jerome Taylor écrivent : « Comme la chrétienté, l’opinion musulmane est divisée sur l’évolution. Plus d’un millénaire avant Darwin, des savants musulmans avaient émis des idées sur la survie des espèces et le changement générationnel qui avaient des ressemblantes frappantes avec la théorie que Darwin allait formuler. La plupart des intellectuels musulmans n’ont pas de problème avec l’évolution dans la mesure où les Musulmans acceptent la suprématie de Dieu tans le processus. Mais ces dernières années, un petit nombre d’intellectuels orthodoxes, surtout d’Arabie Saoudite – où beaucoup de clercs continuent à prêcher que le Soleil tourne autour de la Terre – se sont prononcés contre l’évolution, déclarant que la croyance dans ce concept va contre l’argument du Coran selon laquelle Adam et Eve étaient les premiers humains. »

Quatre siècles après la condamnation de Galilée et trois siècles après les Lumières, le combat contre l’obscurantisme reste d’actualité.

Photo The Independent : Dr Usama Hasan.

Matteo Ricci, Li Madou

 

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La biographie de Matteo Ricci par Michela Fontana (Matteo Ricci, un jésuite à la cour des Ming, 2005, traduction française 2010, Editions Salvator) raconte la vie incroyable d’un homme qui avait le projet de convertir la Chine au Catholicisme.

La ville de Macerata, dans les Marches, est une jolie cité médiévale. Sur les murs de la Grand Place, des plaques commémorent le combat héroïque des patriotes italiens contre la tyrannie. Une plaque signale la maison natale de Matteo Ricci, né ici en 1552.

A l’âge de 19 ans, il rejoint le noviciat des pères Jésuites, une congrégation fondée une trentaine d’années plus tôt par Ignace de Loyola et plusieurs camarades, dont Francisco de Jassu y Azpilicuerta de Javier, François Xavier en français Ce dernier était décédé alors qu’il attendait l’autorisation d’entrer en Chine, l’année même de la naissance de Matteo.

Après une formation théologique et scientifique à Rome et avoir patienté à l’Université de Coimbra, Matteo s’embarque à Lisbonne avec d’autres missionnaires destinés à l’Asie. Il attendra encore quatre ans à Goa en Inde avant d’être affecté à Macao, base portugaise en Chine. Il a alors 31 ans. Il obtient l’autorisation de s’installer à Zhaoquing, il en est expulsé 6 ans plus tard. Il vit ensuite à Shaozhou, Nanchang puis Nankin, seconde capitale de l’Empire des Ming avant d’atteindre en 1601 son objectif : être invité à Pékin à la Cour de l’Empereur.

L’entreprise de Ricci commence petitement. Avec quelques compagnons, ils apprennent le chinois, se vêtent à la manière des moines bouddhistes et sont à la merci du bon vouloir des pouvoirs locaux. Mais le dessein est vaste : il s’agit de convertir la Chine en partant de ses élites jusqu’en bas. Ricci, devenu Li Madou (Li pour Ricci, Madou pour Matteo), n’a peur de rien : il ambitionne de convertir ni plus ni moins que l’Empereur Wanli, le Fils du Ciel !

Li Madou a du monde la vision de Ptolémée. La lune, les planètes, le soleil et les étoiles gravitent autour de la terre. La terre est ronde, et au-dessus d’elle se trouvent plusieurs niveaux de ciel dont, le tout dernier, celui où demeure Dieu. La géométrie, l’astronomie et la théologie sont intimement mêlés. Apporter la mathématique occidentale aux Chinois les conduira logiquement à adorer le Seigneur du Ciel ! Ayant acquis une parfaite maîtrise du mandarin, ayant abandonné l’habit des moines pour celui des lettrés, devenu Xitai, le sage de l’Extrême Occident, Li Madou dessinera des cartes géographiques, construira des horloges mécaniques, écrira des livres de sagesse et traduira les Eléments d’Euclide.

Il fut d’une intolérance totale à l’égard du Bouddhisme, mais accepta le Confucianisme comme une sagesse compatible avec le Christianisme, y compris dans ses rites. Il se heurta à d’innombrables difficultés. Certaines étaient d’ordre pratique : la classe dirigeante, qui avait les moyens d’entretenir des concubines, n’acceptait pas de bon gré la monogamie, condition préalable à la conversion. D’autres étaient philosophiques : la séparation de l’âme et du corps, principe de base du christianisme, n’était pas compatible avec une conception de la vie où l’homme et l’univers sont totalement imbriqués.

Li Madou ne réussit jamais à rencontrer l’Empereur en personne, mais son œuvre fut continuée par ses successeurs. En 1644, 34 ans après la mort de Ricci, le jésuite Adam Schall von Bell fut nommé directeur du bureau des observations astronomiques ; dans les années 1670, le jésuite Ferdinand Verbiest maintint un dialogue fécond avec l’empereur mandchou Kangxi, qui promulgua en 1692 un édit de tolérance reconnaissant le droit pour les Catholiques de prêcher leur foi. La tolérance fut malheureusement à sens unique. Le pape interdit les rites chinois en 1715 par la bulle Ex Illa Die. La politique d’acculturation prônée par Ricci et développée par ses successeurs se trouvait déjugée par Rome. Le Catholicisme fut banni de Chine en 1724 alors que les convertis se comptaient par centaines de milliers. La congrégation des jésuites fut dissoute par le Vatican en 1773.

Le livre de Michela Fontana se lit comme un roman. Mais c’est aussi une analyse documentée d’une rencontre en profondeur de deux cultures. L’auteur a vécu en Chine et est historienne des sciences. Elle montre la mission de Ricci non seulement comme Ricci la concevait, mais comme les Chinois, avec leur propre culture, la percevaient.

Prière des Musulmans en France

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Le récent sondage de l’édition électronique du Monde sur la question de la prière des Musulmans dans la rue fait apparaître une majorité en faveur de leur interdiction « absolue ». Je ne m’attendais pas à un tel résultat.

Le résultat du sondage révèle que 48% des lecteurs ayant voté sont en faveur de l’interdiction absolue de prières collectives dans la rue. Les autres se partagent entre deux autres manières de voir la question : construire des mosquées et transformer des lieux clos (grandes salles par exemple) en lieux de prière.

Je crois pour ma part qu’il faut encourager la construction de mosquées comme d’églises et de synagogues et permettre aux croyants de pratiquer leur foi collectivement sans se sentir marginalisés ou suspectés. Je n’ai pas de réticence à l’égard de prières dans la rue, pas plus que je n’en ai pour les messes en plein air.

Il faudrait interpréter le sondage. Il mêle probablement les réponses de personnes qui au nom de la laïcité souhaitent cantonner la religion à la sphère privée, et d’autres pour qui l’Islam doit être combattu car il est synonyme d’islamisme et qu’il charrie guerre sainte et fanatisme.

L’une et l’autre attitudes me semblent erronées. La laïcité marche de concert avec la tolérance et ne me semble pas faire bon ménage avec quelque interdiction « absolue » que ce soit. La diabolisation de l’Islam ne rend pas justice aux hommes et aux femmes musulmans qui, dans l’histoire et aujourd’hui, vivent leur religion comme une humble acceptation de notre condition d’humains, frères et sœurs devant Dieu.

L’Islam est le nouveau cheval de bataille de l’extrême droite, en France et ailleurs en Europe. Il est temps de réagir.

Photo « transhumances »

Absurde martyre

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Le quotidien britannique The Guardian a publié le 4 novembre les minutes de l’interrogatoire de Roshonara Choudhry au poste de police de Forest Gate, dans l’est londonien, après qu’elle eut poignardé le député travailliste Stephen Timms, le 14 mai 2010.

Il y a un an, Roshonara était une brillante étudiante en anglais et communication, en fin de cursus au King’s College de Londres. Elle vient d’être condamnée à un minimum de 15 ans de prison pour avoir tenté d’assassiner à coups de poignard le député Stephen Timms dans sa permanence. Le motif du crime : le député avait voté de manière constante en faveur de l’intervention britannique en Irak.

Que s’est-il passé entre temps ? Roshorana cherchait à s’informer sur sa religion, l’Islam, et fut captivée par les prêches d’Anwar Al-Awlaki, le leader spirituel d’El Qaida dans la péninsule arabique.  Elle téléchargea d’Internet plus de cent heures de sermons. Elle abandonna ses études par loyauté pour ses frères et sœurs musulmans de Palestine. Elle acheta trois poignards. Elle demanda un rendez-vous personnel au député Timms. Elle s’avança vers lui en souriant et lui asséna deux coups de couteau.

Elle dit : « comme Musulmans nous sommes tous frères et sœurs et nous devrions tous nous préoccuper les uns des autres ; nous ne devrions pas tourner le dos et rester les bras croisés pendant que d’autres souffrent. Nous ne devrions pas permettre que les gens qui nous oppressent s’en tirent à bon compte et pensent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent avec nous et que nous allons gober cela sans rien dire ». Elle évoque une vidéo par Sheikh Abdullah Azzam. « Il disait que quand une terre musulmane est attaquée, il devient obligatoire pour chaque homme, femme et enfant et même esclave de sortir combattre pour défendre la terre et les Musulmans ; et s’ils ne peuvent contenir les forces adverses, alors cela devient obligatoire pour les gens qui vivent plus près de ce pays ; et si ces gens refusent d’accomplir leur devoir, alors c’est au tour du peuple le plus proche, et du suivant le plus proche, jusqu’à ce que cela fasse le tour de la terre ; et il est obligatoire pour tout le monde de défendre cette terre ».

L’interrogateur demande comment elle se sent après ce qu’elle a fait aujourd’hui. « Je sens que j’ai fait ce que j’avais décidé de faire. Je sens que j’ai détruit le reste de ma vie. Je sens que ça vaut la peine parce que des millions d’Irakiens souffrent et que je devais faire ce que je pouvais pour les aider et ne pas seulement rester inactive et ne rien faire pendant qu’ils souffraient ». Elle dit qu’elle savait que, qu’elle soit arrêtée ou tuée, elle ne rentrerait pas à la maison. Elle voulait mourir, être un martyr.

Ce qui donne le plus froid dans le dos, c’est le côté solitaire de la démarche : Roshonara a absorbé seule devant son ordinateur des centaines d’heures de propagande sur Internet, puis a décidé de passer à l’acte toute seule. L’interrogateur lui demande pourquoi elle n’en a pas parlé à d’autres : « parce que personne n’aurait compris ; et de toute manière je ne voulais pas le dire à quiconque parce que je savais que si quelqu’un savait, il serait dans le pétrin car il se trouverait impliqué dans tout ce que je pourrais faire, c’est pourquoi j’ai gardé le secret. »

Pour Roshonara, la seule manière de s’engager au côté des Irakiens et des Palestiniens était de commettre un meurtre.  Qu’elle n’ait pas rencontré sur Internet des propositions d’action qui lui auraient permis de mettre en œuvre ses capacités intellectuelles et sa personnalité de manière positive et de trouver le bonheur dans une action militante constructive est navrant et absurde.

Photo de Roshonara Choudhry, The Guardian