Mariage laïc

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Blandine et Cyril ont voulu inventer le rite de leur mariage sans s’en remettre à une Eglise. J’ai aimé leurs noces laïques.

Dans ma nombreuse famille, j’ai assisté au fil des ans à de magnifiques célébrations de mariage dans l’Eglise Catholique. Des couples exprimaient avec un enthousiasme communicatif leur volonté de créer une famille avec l’Evangile comme fondation. J’ai aussi assisté à des messes de mariage glaciales malgré la canicule estivale, une formalité mondaine vide de sens.

Blandine et Cyril ont décidé que leur mariage serait laïc. C’est un choix inconfortable, car privé de la référence d’un cadre liturgique formé, validé et adapté au cours des siècles. Le premier acte se joue dans les rues médiévales d’une petite ville de Guyenne, chemin faisant vers la Mairie. Le sol est jonché de feuillages qui indiquent la direction, comme une promesse d’avenir.

Après la Mairie, les convives se retrouvent dans le parc d’un château. Pour la cérémonie laïque, une estrade a été dressée dans la prairie ; les jeunes mariés et leurs témoins y prennent place. On lit des textes de Rabindranath Tagore et de Khalil Gibran, on commente le souhait exprimé par Jacques Brel de « rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques uns ». Le témoignage de parents et amis est sollicité. Deux passages de l’Evangile sont lus. Curieusement, ils sont l’un et l’autre d’interprétation difficile : la parabole du Figuier bon à couper s’il ne donne pas de fruit et celle des Talents, dont la morale est qu’à celui qui a on donnera, mais qu’à celui qui n’a pas on retirera même ce qu’il a ! Les jeunes époux échangent leurs consentements et les alliances. Des membres de la famille et des amis constituent un ensemble musical avec violon, guitares et percussions. Ils interprètent « don’t worry, by happy » de Bobby McFerrin.

C’est un grand moment de bonheur partagé, joyeux mais emprunt de gravité. J’aurai plus tard pendant le dîner des échanges d’une densité humaine inhabituelle où il sera question de nos relations avec d’autres générations, celle des anciens, celle des jeunes adultes, celle des adolescents, celle des tout-petits. Blandine et Cyril ont décidément placé la rencontre sous le signe de la vérité.

Ils ont su inventer un rite qui leur ressemble. Je suis admiratif. Il est tentant de se laisser porter par le rite catholique qui, dans sa version conciliaire, réussit à faire participer l’assemblée par les prières récitées ensemble, les cantiques et la procession de communion. Imaginer son propre chemin est plus difficile. Ce serait encore plus ardu pour des personnes qui ne possèdent pas le patrimoine culturel des deux époux d’aujourd’hui. Il faudrait une banque d’idées et de ressources pour ceux qui, hors d’une religion établie, veulent célébrer d’une manière personnelle et unique une naissance, l’adieu à l’enfance, la construction d’un couple, la compassion face à la maladie ou un deuil. L’assistance à l’invention de « sacrements laïcs » serait une œuvre d’utilité publique.

Photo « transhumances »

Les Quakers au cœur de la révolution industrielle

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Abraham Darby, l’inventeur à Iron Bridge de la réduction du fer par le coke, était un Quaker.

L’appartenance d’Abraham Darby à la Société Religieuse des Amis (aussi appelés Quakers), mouvement religieux apparu dans la seconde moitié du dix-septième siècle, ne doit rien au hasard.

Les Quakers professent que les gens ordinaires pouvaient avoir une expérience directe du Christ Eternel, sans la médiation d’un clergé. Ils pensent que les hommes sont nés égaux. Leurs mots clés sont paix, égalité, intégrité, simplicité. Ils refusent de prêter serment, ce qui les exclut a priori des fonctions publiques. Beaucoup de Quakers se firent industriels car c’était l’espace de liberté qui s’ouvrait à eux. Pour mentionner quelques uns des plus fameux, John Cadbury, fondateur de la chocolaterie et de la ville verte de Bournville, près de Birmingham, et les frères Clark, fondateurs de la marque de chaussures Clarks.

Des banques (Barclays, Lloyds) et des institutions humanitaires (Amnesty International, Greenpeace, Oxfam) ont pour origine des Quakers.

La visite de la maison Darby est émouvante dans sa simplicité. A quelques centaines de mètres se trouve le petit cimetière Quaker. Les corps ont été enterrés sous la pelouse d’un étroit enclos bordé de hauts murs. Les pierres tombales, sans rien qui distingue le maitre du serviteur, sont alignées le long des murs.

Photo « transhumances » : cimetière Quaker à Coolbrookdale, Iron Bridge, Telford.

Lourdes par Jessica Hausner

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Lourdes, film tourné dans la cité mariale par la metteuse en scène autrichienne Jessica Hausner, vient de sortir sur les écrans à Londres, avant Paris. Primé au Festival de Venise, il a été particulièrement remarqué par la critique.

Dans une immense salle de cafétéria glauque et sonore bien que vide, le personnel achève de mettre le couvert, lentement. Les pensionnaires s’attablent, certains malades, sur leurs pieds ou en fauteuil roulants, d’autres accompagnants, vêtus de l’uniforme de l’Ordre de Malte qui semble, en ce qui concerne les hommes, venir tout droit de Mussolini. La responsable du groupe explique d’une voix douce ou doucereuse le programme du pèlerinage, la grotte, la piscine, la basilique.

Le ton est donné. D’un côté tout est centré sur les malades, sur leur bien-être physique, sur la guérison de leur âme et, si Dieu veut, de leur corps. De l’autre, les pèlerins évoluent dans un univers dépersonnalisé, rigoureusement encadré, glacial, où le vouvoiement est de rigueur et aucune fantaisie n’est tolérée. Dans ce groupe, Christine, une jeune femme d’une trentaine d’années (Sylvie Testud), paralysée jusqu’au cou par une sclérose en plaques, avoue qu’elle est venue là car peu d’infrastructures permettent aux handicapés de voyager et qu’elle aurait préféré un voyage culturel. Mais peu importe, elle est là, jamais avare de son sourire, s’efforçant de ne pas perdre une miette de la distraction de sa solitude que le pèlerinage lui offre.

L’ambiance est lourde de l’attente de la guérison. Le miracle interviendra pour Christine. Pourquoi elle, et pas cette jeune fille paraplégique que sa maman accompagne chaque année à Lourdes ? Et s’agit-il d’une guérison ou d’une simple mais étonnante rémission ? Embarrassée de sa soudaine notoriété comme miraculée, consciente de l’anomalie que représente le fait que le miracle la concerne elle, une mal croyante, elle se comporte comme lorsqu’elle était en fauteuil : elle profite totalement de chaque instant, veut marcher, veut embrasser, veut danser. Et tant pis si ce moment ne devait être qu’éphémère.

Les personnages qui entourent Christine sont décrits eux aussi avec une grande profondeur psychologique. La responsable du groupe, Cécile, ne s’accorde à elle-même, aux accompagnants et aux malades, aucun moment de faiblesse : nous ne sommes pas là pour nous amuser. En réalité, elle est au bout de son énergie et de sa vie. Elle s’effondrera, perdant dans sa chute la perruque masquant son crâne rendu chauve par une chimiothérapie. La jeune accompagnante de Christine, en grand uniforme, perd peu à peu son intérêt pour son rôle et préfère les apartés avec les collègues du sexe opposé. La compagne de chambre de Christine, une femme âgée et silencieuse, se substitue peu à peu à l’accompagnante. Elle sera témoin de ses premiers pas et de ses premiers gestes la nuit de sa guérison – se repeigner, mettre les boucles d’oreilles. Elle lui offrira une promenade clandestine, la nuit, de la procession aux flambeaux aux boutiques d’articles de piété illuminées au néon.

Jessica Hausner a longuement travaillé avec son compatriote Michael Haneke, le réalisateur du Ruban Blanc. Pour ce film cependant elle dit s’être inspirée de Jacques Tati,  « à la fois visuellement, pour ses longues prises de vue, et par son ton, son humour. C’est ce qui m’a aidée à être capable de parler de thèmes sombres comme la décrépitude et la mort. L’humour est un moyen d’approcher l’insupportable. » Le film est de fait pénétré d’humour, mais un humour noir, subtil et dérangeant.

Photo : Sylvie Testud dans « Lourdes » de Jessica Hausner

Benoît XIII & III

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 Les chats vont-ils sauver le Pontificat de Joseph Ratzinger ? Un article du supplément G 2 du quotidien britannique « The Guardian » daté du 23 mars le laisse espérer.

Des matheux facétieux ont renommé Benoît XVI « Benoît XIII et III ». Ce pape très étroit peut-il encore changer ? Dans un article intitulé « le pape le plus controversé de l’histoire », John Hooper ouvre une fenêtre d’espoir.

« Outre la théologie et la philosophie, les principaux enthousiasmes connus du pape sont pour la musique classique (c’est un pianiste accompli, avec un amour particulier pour Mozart et Bach) et pour les chats – et ils semblent aussi avoir de l’affection pour lui. Le Cardinal Tarcisio Bertone, son secrétaire d’Etat, a raconté comment, quand Ratzinger était un haut responsable du Vatican « chaque fois qu’il rencontrait un chat, il lui parlait, parfois un long moment. Le chat le suivait ». Une fois, dit Bertone, Ratzinger avait introduit un entourage d’environ 10 chats dans le Vatican et un Garde Suisse avait protesté qu’ils « envahissaient le Saint Siège ».

On se plait à imaginer que le pape « 13 et 3 » se mette à écouter les chats après leur avoir parlé. Ceux-ci lui ronronneraient à l’oreille le plaisir de découvrir le jardin du voisin au lieu de rester frileusement tapi dans le sien, le plaisir de bondir d’un territoire à un autre, le plaisir de la tendresse reçue et donnée. Grâce aux félins, la vraie vie envahirait le Saint Siège.

(Photo The Guardian)