Les Quakers au cœur de la révolution industrielle

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Abraham Darby, l’inventeur à Iron Bridge de la réduction du fer par le coke, était un Quaker.

L’appartenance d’Abraham Darby à la Société Religieuse des Amis (aussi appelés Quakers), mouvement religieux apparu dans la seconde moitié du dix-septième siècle, ne doit rien au hasard.

Les Quakers professent que les gens ordinaires pouvaient avoir une expérience directe du Christ Eternel, sans la médiation d’un clergé. Ils pensent que les hommes sont nés égaux. Leurs mots clés sont paix, égalité, intégrité, simplicité. Ils refusent de prêter serment, ce qui les exclut a priori des fonctions publiques. Beaucoup de Quakers se firent industriels car c’était l’espace de liberté qui s’ouvrait à eux. Pour mentionner quelques uns des plus fameux, John Cadbury, fondateur de la chocolaterie et de la ville verte de Bournville, près de Birmingham, et les frères Clark, fondateurs de la marque de chaussures Clarks.

Des banques (Barclays, Lloyds) et des institutions humanitaires (Amnesty International, Greenpeace, Oxfam) ont pour origine des Quakers.

La visite de la maison Darby est émouvante dans sa simplicité. A quelques centaines de mètres se trouve le petit cimetière Quaker. Les corps ont été enterrés sous la pelouse d’un étroit enclos bordé de hauts murs. Les pierres tombales, sans rien qui distingue le maitre du serviteur, sont alignées le long des murs.

Photo « transhumances » : cimetière Quaker à Coolbrookdale, Iron Bridge, Telford.

Lourdes par Jessica Hausner

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Lourdes, film tourné dans la cité mariale par la metteuse en scène autrichienne Jessica Hausner, vient de sortir sur les écrans à Londres, avant Paris. Primé au Festival de Venise, il a été particulièrement remarqué par la critique.

Dans une immense salle de cafétéria glauque et sonore bien que vide, le personnel achève de mettre le couvert, lentement. Les pensionnaires s’attablent, certains malades, sur leurs pieds ou en fauteuil roulants, d’autres accompagnants, vêtus de l’uniforme de l’Ordre de Malte qui semble, en ce qui concerne les hommes, venir tout droit de Mussolini. La responsable du groupe explique d’une voix douce ou doucereuse le programme du pèlerinage, la grotte, la piscine, la basilique.

Le ton est donné. D’un côté tout est centré sur les malades, sur leur bien-être physique, sur la guérison de leur âme et, si Dieu veut, de leur corps. De l’autre, les pèlerins évoluent dans un univers dépersonnalisé, rigoureusement encadré, glacial, où le vouvoiement est de rigueur et aucune fantaisie n’est tolérée. Dans ce groupe, Christine, une jeune femme d’une trentaine d’années (Sylvie Testud), paralysée jusqu’au cou par une sclérose en plaques, avoue qu’elle est venue là car peu d’infrastructures permettent aux handicapés de voyager et qu’elle aurait préféré un voyage culturel. Mais peu importe, elle est là, jamais avare de son sourire, s’efforçant de ne pas perdre une miette de la distraction de sa solitude que le pèlerinage lui offre.

L’ambiance est lourde de l’attente de la guérison. Le miracle interviendra pour Christine. Pourquoi elle, et pas cette jeune fille paraplégique que sa maman accompagne chaque année à Lourdes ? Et s’agit-il d’une guérison ou d’une simple mais étonnante rémission ? Embarrassée de sa soudaine notoriété comme miraculée, consciente de l’anomalie que représente le fait que le miracle la concerne elle, une mal croyante, elle se comporte comme lorsqu’elle était en fauteuil : elle profite totalement de chaque instant, veut marcher, veut embrasser, veut danser. Et tant pis si ce moment ne devait être qu’éphémère.

Les personnages qui entourent Christine sont décrits eux aussi avec une grande profondeur psychologique. La responsable du groupe, Cécile, ne s’accorde à elle-même, aux accompagnants et aux malades, aucun moment de faiblesse : nous ne sommes pas là pour nous amuser. En réalité, elle est au bout de son énergie et de sa vie. Elle s’effondrera, perdant dans sa chute la perruque masquant son crâne rendu chauve par une chimiothérapie. La jeune accompagnante de Christine, en grand uniforme, perd peu à peu son intérêt pour son rôle et préfère les apartés avec les collègues du sexe opposé. La compagne de chambre de Christine, une femme âgée et silencieuse, se substitue peu à peu à l’accompagnante. Elle sera témoin de ses premiers pas et de ses premiers gestes la nuit de sa guérison – se repeigner, mettre les boucles d’oreilles. Elle lui offrira une promenade clandestine, la nuit, de la procession aux flambeaux aux boutiques d’articles de piété illuminées au néon.

Jessica Hausner a longuement travaillé avec son compatriote Michael Haneke, le réalisateur du Ruban Blanc. Pour ce film cependant elle dit s’être inspirée de Jacques Tati,  « à la fois visuellement, pour ses longues prises de vue, et par son ton, son humour. C’est ce qui m’a aidée à être capable de parler de thèmes sombres comme la décrépitude et la mort. L’humour est un moyen d’approcher l’insupportable. » Le film est de fait pénétré d’humour, mais un humour noir, subtil et dérangeant.

Photo : Sylvie Testud dans « Lourdes » de Jessica Hausner

Benoît XIII & III

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 Les chats vont-ils sauver le Pontificat de Joseph Ratzinger ? Un article du supplément G 2 du quotidien britannique « The Guardian » daté du 23 mars le laisse espérer.

Des matheux facétieux ont renommé Benoît XVI « Benoît XIII et III ». Ce pape très étroit peut-il encore changer ? Dans un article intitulé « le pape le plus controversé de l’histoire », John Hooper ouvre une fenêtre d’espoir.

« Outre la théologie et la philosophie, les principaux enthousiasmes connus du pape sont pour la musique classique (c’est un pianiste accompli, avec un amour particulier pour Mozart et Bach) et pour les chats – et ils semblent aussi avoir de l’affection pour lui. Le Cardinal Tarcisio Bertone, son secrétaire d’Etat, a raconté comment, quand Ratzinger était un haut responsable du Vatican « chaque fois qu’il rencontrait un chat, il lui parlait, parfois un long moment. Le chat le suivait ». Une fois, dit Bertone, Ratzinger avait introduit un entourage d’environ 10 chats dans le Vatican et un Garde Suisse avait protesté qu’ils « envahissaient le Saint Siège ».

On se plait à imaginer que le pape « 13 et 3 » se mette à écouter les chats après leur avoir parlé. Ceux-ci lui ronronneraient à l’oreille le plaisir de découvrir le jardin du voisin au lieu de rester frileusement tapi dans le sien, le plaisir de bondir d’un territoire à un autre, le plaisir de la tendresse reçue et donnée. Grâce aux félins, la vraie vie envahirait le Saint Siège.

(Photo The Guardian)

Edward Schillebeeckx

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Le théologien Edward Schillebeeckx, dominicain, est mort le 23 décembre dernier à l’âge de 95 ans. Il faisait partie de l’aile progressiste de l’Eglise Catholique entravée par le Vatican.

Un soir de Noël dans les années 1980, des manifestants s’étaient postés, à la grande joie des touristes et photographes amateurs japonais, sur les marches du parvis de la Cathédrale Notre Dame de Paris. Ils portaient des pancartes indiquant le nom d’un théologien poursuivi par la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Ils étaient bâillonnés et ligotés, « enlacés » dit joliment une amie luxembourgeoise. L’un des « théologiens enlacés » était Edward Schillebeeckx, aux côtés du plus connu Hans Küng.

La Revue des Réseaux du Parvis (http://www.reseaux-parvis.fr/) publie dans son numéro de mars un article de son frère dominicain Bernard Quelquejeu : « Edward Schillebeeckx, théologien du peuple de Dieu, un incessant combat pour la liberté chrétienne ». « La force est aux sources, et je veux y aller voir, a fièrement écrit le P. Lacordaire. Edward Schillebeeckx a vite compris qu’une théologie renouvelée au service des communautés chrétiennes exige un accès libre, critique et intelligent aux sources de la foi. Il prend part aux recherches concernant l’herméneutique : une interprétation des textes de la Bible ne peut être dite « Parole de Dieu » que si elle touche, elle éclaire au plus près la profondeur de l’existence des croyants aujourd’hui. Dès ce moment, commencent ses ennuis avec Rome, peu soucieux de liberté herméneutique. »

Bernard Quelquejeu rappelle la contribution de Schillebeeckx au Concile Vatican II, la fondation de la revue Concilium, la publication d’une Christologie en trois tomes. Il raconte aussi le conflit grandissant avec le Vatican, à partir d’un article intitulé « Le Ministère dans l’Eglise » traduit en français en 1981. « Armé d’un réalisme courageux sur la situation qu’il constate pour les communautés chrétiennes, il préconise des décisions qui sont à la mesure de la crise : ordinations des hommes mariés, fin des discriminations catholiques vis-à-vis des femmes, ministères nouveaux confiés aux fidèles etc. »

La fidélité d’Edward Schillebeeckx et de tant d’autres de sa génération à l’égard d’une organisation cléricale qui les a si mal traités a quelque chose d’étonnant. Pourquoi cet homme affamé de liberté n’a-t-il pas quitté l’Eglise Catholique Romaine ? Attachement à une famille spirituelle dans laquelle il avait grandi, mûri et vieilli ? Répulsion à l’idée d’un schisme qui aggraverait la désunion des chrétiens ? Conviction que le temps de la liberté conciliaire reviendrait inéluctablement un jour ? Il reste qu’il n’a pu que se poser vers la fin de sa vie une angoissante question : ceux pour qui les Béatitudes signifient aujourd’hui démocratie, liberté, droits de l’homme et de la femme, qu’ont-ils en commun avec les conservateurs crispés qui, depuis trente ans, sont parvenus à écarter toute voix dissonante des structures de pouvoir au Vatican et dans les Conférences Episcopales ?

(Photo The Guardian, Edward Schillebeeckx au Vatican en 1979 : « sa théologie influente mais discrète enflamma le Vatican », nécrologie publiée le 24 février 2010, http://www.guardian.co.uk/world/2010/feb/24/edward-schillebeeckx-obituary).