Le pape contre l’Equality Bill

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 Le pape Benoît XVI vient de critiquer les lois introduites par le Parti Travailliste britannique contre les discriminations.

Le pape s’adressait le 1er février à 35 évêques catholiques britanniques venus à Rome en visite « ad limina ». Il annonça sa visite d’Etat au Royaume Uni, probablement en septembre. Jean-Paul II avait effectué une visite « pastorale » en 1982.

Il s’en est pris aux lois impulsées par le Parti Travailliste et en particulier à « l’Equality Bill », défendue au Parlement par la ministre Harriett Harman. Cette attaque survient à quelques semaines des élections générales.

« Votre pays, a-t-il dit, est bien connu pour son ferme engagement en faveur de l’égalité d’opportunité pour tous les membres de la société. Pourtant, comme vous l’avez justement indiqué, l’effet d’une partie de la législation destinée à achever ce but a été d’imposer d’injustes limitations à la liberté des communautés religieuses d’agir selon leurs croyances. D’une certaine manière, elle viole la loi naturelle sur laquelle se fonde l’égalité de tous les êtres humains et par laquelle elle est garantie ». Il a invité les catholiques britanniques à se faire entendre d’une seule voix et avec un zèle missionnaire dans ce débat.

De nouveau, c’est le statut des homosexuels et des transsexuels qui est au cœur de la position pontificale. Le Gouvernement veut empêcher que quiconque les discrimine dans l’exercice de leurs droits. L’Eglise prétend les écarter des institutions qu’elle contrôle, même si leur personnalité et leur compétence professionnelle les qualifie pour les postes à pourvoir. Elle exige aussi que les associations d’adoption dans son giron puissent refuser a priori les couples homosexuels.

Au premier abord, la position du pape peut s’analyser comme une demande d’exemption de la règle commune, ce qui en soit pose problème. Mais la référence à la « loi naturelle » fait dresser l’oreille. Qui peut interpréter la loi naturelle ? Pas le Parti Travailliste, semble-t-il, selon le Saint Père ! Seule l’Eglise Catholique détient la plénitude de la vérité. Il est de son devoir « missionnaire » d’exercer son influence dans les cabinets ministériels et les parlements. Et si elle exerce le pouvoir, peut-on lui reprocher d’imposer à tous ce bien inestimable qu’est la loi naturelle ? Que faire alors des irréductibles ? L’ombre de l’Inquisition est-elle si loin ?

Les mouvements laïcs et de défense des droits des homosexuels promettent à Benoît XVI une réception pleine de couleurs au Royaume Uni en septembre.

(Photo de www.vatican.va)

Conte de Noël

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En ce jour de Noël, je propose un conte écrit il y a sept ans dans le cadre d’une célébration de la Communauté Chrétienne dans la Cité, à Paris. George Bush n’est plus président des Etats-Unis, mais Sangatte reste un lieu de trafic, de malheur et d’espérance.

Trois hommes dégustent un whisky au bar du Star Hotel de Stockholm. Ils reviennent du Palais Royal, où vient de leur être décerné un prix Nobel pour leur éminente contribution au progrès de l’humanité. Gaspard a reçu le Prix de Médecine pour ses travaux sur la carte du génome du rat des champs. Melchior s’est vu récompenser pour la mise en évidence de la disparition des cycles dans la Nouvelle Economie. A Balthazar a été attribué le Prix Nobel de la Paix pour sa médiation dans le conflit entre la Tartarie et le Gonflustan Occidental. Remplis de légitime orgueil, les trois sommités sirotent leur  Chivaz. 

Melchior

Mon cher Gaspard, vos révélations sur la carte du génome du rat des champs sont stupéfiantes. Ainsi, 99% de leurs chromosomes sont communs aux humains ?

Gaspard

C’est bien  cela. Notre découverte ouvre de grandes possibilités à la médecine : le rat au secours de la santé de l’homme ! Mais réduire le champ de la maladie sur le terrain de l’économie, n’est-ce pas ce que vous avez vous-même si brillamment réussi, cher Melchior ?

Melchior

Mon mérite est minime. Je me suis contenté de diriger une équipe, et tout le mérite lui revient. Nous avons établi en effet que, dans la Nouvelle Economie, le raccourcissement des délais de production tend à supprimer les cycles économiques. En somme, nous avons trouvé la recette de la prospérité pour tous et, finalement, cher Balthazar, un élixir de paix.

Balthazar

L’ambition d’un Prix Nobel de la Paix, cher Melchior, est de se trouver au chômage. Mais je crains que tartares et gonflustanais n’attendent guère avant de réactiver la guérilla. Le médiateur devra bien reprendre du service…

Dans le hall de l’hôtel, un écran géant transmet CNN. L’écran est soudain envahi comme d’une lumière extranaturelle, une étoile apparaît dans un angle et se déplace lentement. Le commentateur, comme ravi d’extase, prononce les paroles suivantes:

Un fils nous est donné,

On l’appellera Prince de la Paix

Jouez hautbois résonnez musettes

Aux confins du monde, célébrons la naissance du Messie

Les magiciens de la médecine, de l’économie et de la paix se prennent au jeu et décident de résoudre l’énigme et se mettre à la recherche du Fils, où qu’il se cache, fût-ce dans les montagnes de l’Afghanistan.

Le titre de Prince de la Paix les met naturellement sur la piste de George W Bush. Ils demandent audience à la Maison Blanche au chef de la lutte contre le terrorisme et pour le triomphe de la liberté.  Hélas, ils sont mis à la porte sans ménagement. Si un Messie nous est donné, ne serait-ce pas une menace contre le Prince au pouvoir ? D’un bout à l’autre de l’empire, de Bagdad à Tucuman, commence le massacre des innocents.

L’allusion aux hautbois et aux musettes les conduit au Château de la Star Academy. Ils cherchent ce fils musicien qui enchantera le monde. Hélas, ils arrivent au moment d’une procédure d’exclusion de l’un des participants et ne parviennent pas à se faire admettre dans le château des amis.

Ils se rendent enfin aux confins du monde connu, à Sangatte, là où se concentre l’espérance d’un ailleurs, d’un plus tard, d’un mieux vivre, bref l’espérance tout court. Sous un porche, hors du centre  de la Croix Rouge désormais fermé, un enfant est né. Des bergers kurdes transplantés à des milliers de kilomètres de leur troupeau jouent de la flûte et du tambourin.

« Avec les collègues, on vaquait è nos occupations. En passant sur le quai, près du wagon, on a entendu des coupas sur la ferraille et puis des cris. Il y avait des gens là-dedans ! »  C’est dans ce conteneur, un Wagon plombé arrivant de Modane, en Italie, et se dirigeant vers Feignies, dans le Nord, que, dans la soirée de samedi à dimanche, des agents de la SNCF ont découvert 22 ressortissants roumains. « Ils étaient enfermés depuis des heures, probablement depuis quarante-huit heures. Ils ne savaient plus où ils étaient. Ils pensaient qu’ils étaient arrivés près de Sangatte », reprend l’agent. Pour ces Roms, trois hommes, six femmes et treize enfants, dont un bébé de 18 mois, le voyage vers un eldorado appelé Angleterre s’est terminé là, dans une gare de triage du Pays Haut. Immédiatement pris en charge et réconfortés par les gardiens de la paix du commissariat, les cheminots et les élus qui sont apporté des couvertures, des vêtements, du café, des gâteaux, les Roms, épuisés, ont passé une première nuit dans un gymnase.

Les autorités italiennes, contactées dès dimanche, avaient répondu lundi matin qu’en vertu de l’accord bilatéral de réadmission signé avec la France, elles acceptaient de recevoir les roumains. « Je ne sais pas ce que les italiens vont en faire », a confié un membre du cabinet du préfet. C’est à leur diligence ».

Gaspard, Melchior et Balthasar s’agenouillent devant le Prince de la Paix et lui apportent leurs présents : une carte génétique, une courbe parabolique, une alliance clanique. L’enfant leur sourit.

(Photo : le cortège des Rois Mages à Milan)

Noël : devenir humain

 

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A l’approche de Noël, je propose ici une lecture du livre d’Yves Burdelot, « Devenir humain, la proposition chrétienne aujourd’hui », paru aux Editions du Cerf en 2002. Yves était une figure marquante des communautés chrétiennes de base en France.

Dans son livre tonique et stimulant, Yves Burdelot nous propose d’opérer un double renversement. Dans une société qui valorise la liberté des individus à s’enrichir, il privilégie la fraternité. Dans une Eglise qui déduit sa doctrine et ses règles de fonctionnement d’un a priori sur Dieu, il part de la vie historique de Jésus pour construire une réflexion sur l’humain et le divin.

Devenir humains dans la fraternité

L’auteur nous propose de changer l’ordre des termes de la devise républicaine : Fraternité, Egalité, Liberté. La promesse  diabolique « vous serez comme des dieux » conduit les hommes à rechercher l’extension maximum d’eux-mêmes et l’élimination de toute limite. L’autre est une gêne, puisqu’il m’empêche de prendre toute la place. Domination, haine, mépris, violence constituent souvent les bases des relations interpersonnelles, sociales et politiques. Or, l’inhumain n’est pas une fatalité si nous savons nous reconnaître frères et sœurs. L’égalité naît de la fraternité. Le combat pour la fraternité est source de liberté. Réussir sa vie, c’est sortir du piège mortel de se croire dieu et devenir humain dans la fraternité.

Yves Burdelot nous propose aussi de renverser le « credo » chrétien. Au lieu de partir du « je crois en Dieu le Père Tout Puissant », il fonde l’énoncé de la foi sur la vie nouvelle de fraternité et d’amour, sur les communautés qui en témoignent, sur Jésus qui s’y est identifié jusqu’à la mort, et finalement sur « Dieu » qui en est la source. C’est donc en tournant le dos à l’inhumain pour devenir pleinement humain que l’on inscrit dans sa vie la transcendance.

Le danger de « Dieu »

Tout au long de son livre, Yves Burdelot ne désigne « Dieu » qu’entre guillemets, pour souligner le danger de le « mettre en uniforme »,  de l’instrumentaliser au service d’une idéologie et d’un pouvoir.  Il plaide pour un énoncé non religieux de la foi chrétienne, tout en reconnaissant que c’est dans le langage religieux que la foi nous a été transmise au cours des siècles. Son approche peut sembler  sacrilège, mais il fait remarquer avec raison que Jésus a été condamné pour Blasphème, c’est à dire pour insulte au « Dieu » défini et célébré par le clergé de son temps.

Les communautés chrétiennes, dans ce contexte, sont un « atelier » où s’expérimente la vie nouvelle, un lieu où l’on s’entraîne, où l’on apprend, où l’on comprend et où on ajuste ses gestes en fonction de ce qu’on désire devenir. Elles sont aussi la réalité sociale symbolique qui, par sa forme particulière de s’organiser et de vivre, porte témoignage de la foi et rend visible d’Evangile aujourd’hui.

Le livre d’Yves Burdelot offre un énoncé particulièrement clair et cohérent d’un courant vivace dans les Eglises, et en particulier dans l’Eglise Catholique malgré la lutte acharnée que lui livre la hiérarchie. Il est fondé sur la pratique des communautés chrétiennes de base et sur les réflexions de dizaines de théologiens.

Trois difficultés

Pour poursuivre le débat ouvert par Yves Burdelot et exprimant ici un point de vue personnel, il me semble que ce courant se heurte à trois difficultés.

La première est celle du dialogue interreligieux, dont le point commun est de se référer ensemble à un même Dieu, minimisant ainsi les différences dogmatiques et institutionnelles. Se focaliser sur l’homme Jésus peut être perçu comme une provocation par des croyants qui se centrent, au contraire, sur un absolu monothéisme. A la réflexion, « l’athéisme  méthodologique » proposé par Yves Burdelot, consistant à réserver la question du divin comme le moment ultime d’un travail sur l’humain, se lit comme un processus de destruction des idoles et de purification de la foi. Mais nombre de juifs et de musulmans risquent de n’y voir qu’une forme d’athéisme pur et simple.

La seconde difficulté tient à l’Eglise. Yves Burdelot souligne la souffrance que provoque son mode de fonctionnement,  aux antipodes du modèle aimant et humble qu’il préconise. Le moment n’est-il pas venu de constater l’incompatibilité entre la  religion du Dieu Tout-Puissant et de la Terre-Mère (la Vierge Marie) promue avec une incontestable dextérité médiatique et financière par l’Eglise Catholique Romaine, et la « proposition chrétienne » construite à partir de la trace d’un crucifié ? Certes, les François d’Assise et Thérèse de Lisieux ont coexisté dans l’histoire avec les croisades et les inquisitions. Mais le basculement dans la modernité ne nous oblige-t-il pas aujourd’hui à clarifier les positions ? Evidemment, une séparation institutionnelle d’avec l’Eglise Catholique Romaine poserait d’immenses problèmes d’idéologie et d’organisation à  un courant qui est né en elle, tient avec nombre de ses composantes des échanges continuels et est originellement réticent à s’organiser et à se financer.

Enfin, la troisième difficulté tient à Jésus lui-même. Yves Burdelot cite un passage de Maurice Bellet  sur « ce pauvre petit Juif abandonné, perdu aux bords de l’Empire et qui s’éloigne un peu plus à chaque génération dans le lointain d’un monde dont les dernières traces s’effacent aujourd’hui. »  La logique du livre ne conduit-elle pas à une relativisation du personnage de Jésus,  qui est certes un « passant considérable », mais dont la trace se mêle dans l’histoire à celle de tant et tant d’hommes et femmes fraternels ? Ne faudrait-il pas alors construire des réseaux de recherche spirituelle sur une base résolument profane et oecuménique ? Un tel projet réserverait une place éminente à Jésus, mais élargirait son champ de recherche et de célébration à d’autres témoins de l’humain » qui, hier et aujourd’hui,  cherchent Dieu dans l’amour de leurs frères.

(Photo : Ecce Ancilla Domini de Dante Gabriel Rossetti, 1849 – 1850, Tate Britain London)

Noël virtuel

Le quotidien britannique The Guardian a publié le 18 décembre un article de Victor Keegan intitulé « an unreal Christmas », un Noël irréel.

« Flirtomatic, une société basée à Londres, affirme avoir vendu 10.000 cadeaux ces quatre dernières semaines dans la course à Noël. Cela n’aurait pas d’intérêt en soi, mais Flirtomatic est un réseau de socialisation sur téléphones portables et les produits qu’elle vend sont tous « virtuels ». Ils vont des roses – qui n’existent que sous la forme de pixels sur un écran – à un bon gros bisou mouillé. La meilleure vente est un bas de Noël rempli de bonbons pour lesquels jusqu’à 2.000 utilisateurs par jour sont prêts à payer l’équivalent de 75 pence (près d’un euro). Sur d’autres sites, des gens sont prêts à payer 20 livres (23 euros) pour une rose virtuelle. Oui, la même génération qui ne paie pas pour décharger des musiques du web paie en monnaie véritable des biens irréels.

Si tout cela semble dingue, attention car il se peut que nous devions réviser nos préjugés. Flirtomatic.com, qui vend aussi des cubes de glace qui fondent lorsqu’ils atteignent le téléphone portable du receveur, n’est que menu fretin dans un changement potentiellement révolutionnaire qui se déroule en-dessous du radar des politiciens et de la plupart des adultes. Alors que le commerce international des biens réels a été en profonde récession, le commerce de biens virtuels est dans un boom ininterrompu qui ne donne aucun signe de fléchissement.

Le trait essentiel est que, au contraire des biens physiques, produire d’autres exemplaires ne coûte absolument rien, de sorte qu’il y a une offre illimitée pour satisfaire une demande illimitée, un nirvana pour les économistes. La production virtuelle pourrait aussi recréer un terrain de jeu équilibré pour les entreprises occidentales, car elles ne sont pas obligées de sous-traiter la production à des pays asiatiques avec des coûts de production plus faibles. »  (www.guardian.co.uk/commentsfree/2009/dec/17/unreal-christmas-virtual-goods)

La fête de Noël a pris au fil du temps une connotation commerciale : c’est la période de l’année pendant laquelle de nombreux secteurs de l’économie, des producteurs de jouets aux ostréiculteurs, réalisent la majeure partie de leur chiffre d’affaires. L’autre face du phénomène est l’échange non marchand, le don : Noël est le moment de l’année où l’on a plaisir à offrir et à recevoir. Cette évolution a massivement fait évoluer Noël du monde religieux à la réalité économique.

L’article de Victor Keegan nous fait toucher du doigt que nous allons maintenant dans l’autre sens, une dématérialisation de la fête. Sur des sites comme Flirtomatic, ce sont des biens virtuels qui s’échangent. C’est la pure sensation de bien-être de l’échange de cadeaux qui importe, sans sa réalité matérielle. En un sens, Noël revient dans la sphère des images et du désir, c’est-à-dire dans un monde religieux, mais hors du contrôle des religions.