Tics de langage des journalistes français

Le journaliste du Times Charles Bremner vient de publier dans le Times un charmant article intitulé « French clichés to avoid like la peste ».

L’auteur s’en prend avec humour, et non sans remarquer que les Anglais sont d’aussi grands consommateurs de clichés que nos concitoyens, aux tics de langage de la presse en France.

En voici un florilège, avec des traductions proposées par Bremner :

La cerise sur le gâteau /  Dans la cour des grands / Le vent en poupe / Un pavé dans la mare [a cobblestone in the pond -set the cat among the pigeons] / Caracoler en tête [to prance in the lead, to be far out front] / Attendu au tournant [awaited at the bend, lying in wait for someone] /  Revoir sa copie [revise his (exam) copy, sent back to the drawing board] / L’ironie de l’histoire [an irony of history, or just ironically] / La balle est dans leur camp [The ball is in their court] / La partie émergée de l’iceberg [The tip of the iceberg] /  A qui profite le crime [Who profits from the crime?] / Les quatre coins de l’Hexagone [the four corners of France (The Hexagon is journalistic variation for France)] / S’enfoncer dans la crise [plunge deeper into (the) crisis] / Une affaire à suivre [a matter to be followed/a story to watch].

L’article a suscité des dizaines de réactions. Des lecteurs enthousiastes ont proposé : « que du bonheur ! », « je vais être honnête avec vous ! », « persiste et signe », « nos chères têtes blondes », « il faut savoir raison garder », « il ne passera pas l’hiver », « ce qui fait le buzz cette semaine, c’est… », « au grand dam de », « passer en boucle », « c’est vrai que », « effectivement », « au jour d’aujourd’hui »…

Et John O’d propose cette petite phrase à base de clichés :

« Allez,viens [come on, let’s go]
je ne te cache pas que [I don’t mind admitting that]
‘effectivement’ [in fact]
elle a refait sa vie [she has got over the divorce]
et que depuis des lustres [for ages now]
elle file le parfait amour avec [she’s happily loved up with]
un jeune artiste qui n’a pas encore trouvé son public [a young artist whose work nobody buys]. »

Un débat anime les participants au blog. Comment traduire en français « a couple of cherries short of a clafoutis » ?

(http://timescorrespondents.typad.com/charles_bremner/2010/01/french-clichés-to-avoid-la-peste.html)

Coiffeurs de Goma

A Goma, à l’Est du Congo, les coiffeurs de rue sont devenus les pivots de la prévention du Sida.

« Goma (à l’Est du Congo, à la frontière avec le Rwanda) est une ville avec une population de 350.000 habitants dans laquelle le Sida est répandu. Amenée de l’extérieur, une coûteuse initiative pour organiser une campagne s’avéra inefficace. La solution ne pouvait venir que de la population elle-même (population dont la moyenne d’âge n’est que de 26 ans). A la fin, la délivrance vint des coiffeurs locaux. Environ 1.500 coiffeurs se rendirent compte de ce qu’ils étaient les mieux placés pour parler du Sida, puisque leurs salons étaient situés aux carrefours. Ils se donnèrent le nom de « citoyens coiffeurs » ou « d’éducateurs de base ». En raison de leur crédibilité dans la rue, ce groupe est maintenant le point focal d’une information et d’une prévention significatives et réussies. »

Ce texte est issu d’une interview publiée dans la revue Crisis Response (http://www.crisisresponsejournal.com/) de Michel Séguier par Patrick Lagadec. Michel est co-auteur de « Pratiques émancipatrices, actualités de Paulo Freire (Syllèpse, 2009), Patrick est directeur de recherche à l’Ecole Polytechnique (http://www.patricklagadec.net/).

Conte de Noël

091219_re_magi_corteo_milano.1261256810.jpg

En ce jour de Noël, je propose un conte écrit il y a sept ans dans le cadre d’une célébration de la Communauté Chrétienne dans la Cité, à Paris. George Bush n’est plus président des Etats-Unis, mais Sangatte reste un lieu de trafic, de malheur et d’espérance.

Trois hommes dégustent un whisky au bar du Star Hotel de Stockholm. Ils reviennent du Palais Royal, où vient de leur être décerné un prix Nobel pour leur éminente contribution au progrès de l’humanité. Gaspard a reçu le Prix de Médecine pour ses travaux sur la carte du génome du rat des champs. Melchior s’est vu récompenser pour la mise en évidence de la disparition des cycles dans la Nouvelle Economie. A Balthazar a été attribué le Prix Nobel de la Paix pour sa médiation dans le conflit entre la Tartarie et le Gonflustan Occidental. Remplis de légitime orgueil, les trois sommités sirotent leur  Chivaz. 

Melchior

Mon cher Gaspard, vos révélations sur la carte du génome du rat des champs sont stupéfiantes. Ainsi, 99% de leurs chromosomes sont communs aux humains ?

Gaspard

C’est bien  cela. Notre découverte ouvre de grandes possibilités à la médecine : le rat au secours de la santé de l’homme ! Mais réduire le champ de la maladie sur le terrain de l’économie, n’est-ce pas ce que vous avez vous-même si brillamment réussi, cher Melchior ?

Melchior

Mon mérite est minime. Je me suis contenté de diriger une équipe, et tout le mérite lui revient. Nous avons établi en effet que, dans la Nouvelle Economie, le raccourcissement des délais de production tend à supprimer les cycles économiques. En somme, nous avons trouvé la recette de la prospérité pour tous et, finalement, cher Balthazar, un élixir de paix.

Balthazar

L’ambition d’un Prix Nobel de la Paix, cher Melchior, est de se trouver au chômage. Mais je crains que tartares et gonflustanais n’attendent guère avant de réactiver la guérilla. Le médiateur devra bien reprendre du service…

Dans le hall de l’hôtel, un écran géant transmet CNN. L’écran est soudain envahi comme d’une lumière extranaturelle, une étoile apparaît dans un angle et se déplace lentement. Le commentateur, comme ravi d’extase, prononce les paroles suivantes:

Un fils nous est donné,

On l’appellera Prince de la Paix

Jouez hautbois résonnez musettes

Aux confins du monde, célébrons la naissance du Messie

Les magiciens de la médecine, de l’économie et de la paix se prennent au jeu et décident de résoudre l’énigme et se mettre à la recherche du Fils, où qu’il se cache, fût-ce dans les montagnes de l’Afghanistan.

Le titre de Prince de la Paix les met naturellement sur la piste de George W Bush. Ils demandent audience à la Maison Blanche au chef de la lutte contre le terrorisme et pour le triomphe de la liberté.  Hélas, ils sont mis à la porte sans ménagement. Si un Messie nous est donné, ne serait-ce pas une menace contre le Prince au pouvoir ? D’un bout à l’autre de l’empire, de Bagdad à Tucuman, commence le massacre des innocents.

L’allusion aux hautbois et aux musettes les conduit au Château de la Star Academy. Ils cherchent ce fils musicien qui enchantera le monde. Hélas, ils arrivent au moment d’une procédure d’exclusion de l’un des participants et ne parviennent pas à se faire admettre dans le château des amis.

Ils se rendent enfin aux confins du monde connu, à Sangatte, là où se concentre l’espérance d’un ailleurs, d’un plus tard, d’un mieux vivre, bref l’espérance tout court. Sous un porche, hors du centre  de la Croix Rouge désormais fermé, un enfant est né. Des bergers kurdes transplantés à des milliers de kilomètres de leur troupeau jouent de la flûte et du tambourin.

« Avec les collègues, on vaquait è nos occupations. En passant sur le quai, près du wagon, on a entendu des coupas sur la ferraille et puis des cris. Il y avait des gens là-dedans ! »  C’est dans ce conteneur, un Wagon plombé arrivant de Modane, en Italie, et se dirigeant vers Feignies, dans le Nord, que, dans la soirée de samedi à dimanche, des agents de la SNCF ont découvert 22 ressortissants roumains. « Ils étaient enfermés depuis des heures, probablement depuis quarante-huit heures. Ils ne savaient plus où ils étaient. Ils pensaient qu’ils étaient arrivés près de Sangatte », reprend l’agent. Pour ces Roms, trois hommes, six femmes et treize enfants, dont un bébé de 18 mois, le voyage vers un eldorado appelé Angleterre s’est terminé là, dans une gare de triage du Pays Haut. Immédiatement pris en charge et réconfortés par les gardiens de la paix du commissariat, les cheminots et les élus qui sont apporté des couvertures, des vêtements, du café, des gâteaux, les Roms, épuisés, ont passé une première nuit dans un gymnase.

Les autorités italiennes, contactées dès dimanche, avaient répondu lundi matin qu’en vertu de l’accord bilatéral de réadmission signé avec la France, elles acceptaient de recevoir les roumains. « Je ne sais pas ce que les italiens vont en faire », a confié un membre du cabinet du préfet. C’est à leur diligence ».

Gaspard, Melchior et Balthasar s’agenouillent devant le Prince de la Paix et lui apportent leurs présents : une carte génétique, une courbe parabolique, une alliance clanique. L’enfant leur sourit.

(Photo : le cortège des Rois Mages à Milan)

Copenhague

 091222_copenhagen.1261505321.jpg

 Il y a une quinzaine de jours, les blogueurs du Monde furent invités à écrire ce que leur inspirait de sommet de Copenhague. Je n’eus pas envie d’ajouter quelques décibels au bruit médiatique. Après le fiasco, après la déception et la frustration, vient le temps de la réflexion.

Dans le quotidien britannique The Guardian, George Monbiot a publié le 22 décembre un article intitulé : « qui est à blâmer pour l’échec de Copenhague ? Barack Obama. Et vous ». Selon lui, un succès de la conférence de Copenhague aurait signifié pour le président américain l’obligation de livrer au Congrès la bataille de sa vie, avec peu de chances de l’emporter face aux lobbies de tout genre. Assembler autour de lui une coalition hétéroclite de pays en exerçant sur eux des pressions dignes d’un George Bush, mettre la Chine en accusation et, geste impardonnable, lui faire perdre la face, lui permettait d’éviter cette bataille et de rejeter la responsabilité de l’échec sur l’étranger. George Monbiot montre du doigt un second responsable, les citoyens, nous-mêmes : « le nombre de ceux qui sont passés à l’action fut pathétique. Des manifestations qui auraient du amener des millions de personnes dans les rues ont lutté pour en mobiliser quelques milliers. »

Dans ce qui s’est écrit ces derniers jours, je voudrais retenir quelques idées.

La première est que le sommet de Copenhague n’a pas été seulement négatif. Plus personne ne doute maintenant de la réalité du changement climatique et du fait qu’il s’agit d’un défi majeur pour les gouvernements du monde entier. La plaisanterie d’Hugo Chavéz, « si le climat avait été une banque, on l’aurait déjà sauvé ! » a du vrai. Il reste que la question du réchauffement est maintenant installée solidement au coeur des relations internationales. A cet égard, le cafouillage de la conférence a aussi quelque chose de positif : il faudra tenir compte d’une multitude de réalités différentes si l’on veut construire un accord où chaque pays gagne quelque chose.

La seconde est que chaque année perdue dans la recherche d’un traité contraignant, après la décennie perdue de Bush, contient en germe d’immenses dangers. L’insuffisante réduction de la consommation d’énergie fossile comme la raréfaction des ressources en eau vont exaspérer les conflits géopolitiques. Le monde va devenir plus dangereux à mesure que les températures s’élèveront. Les prix de biens essentiels comme le pétrole ou les céréales peuvent exploser et provoquer des ajustements brutaux et des craquements dans nos systèmes sociaux et politiques.

Troisième idée : si les Etats ont leur rôle à jour dans la lutte contre le réchauffement climatique, beaucoup d’actions sont déjà à l’oeuvre plus près des citoyens, dans les municipalités ou dans les régions, ou au contraire dans les fédérations d’Etats comme la Communauté Européenne. Même du temps de Bush, le gouverneur républicain de Californie faisait adopter des normes anti-pollution rigoureuses. L’appel de Corinne Lepage à la société civile va dans le même sens.

Enfin, il faut réinventer les négociations internationales. On a incriminé la mauvaise gestion danoise de la conférence, mais il faut se rappeler qu’une autre grande négociation, le Cycle de Doha de l’Organisation Mondiale du Commerce, patine elle aussi depuis des années. Comme le dit le coordinateur de la conférence de Copenhague Yvo de Boer, cité par Monbiot : « si l’une après l’autre les échéances ne sont pas respectées, nous finirons par devenir une sorte de petit orchestre sur le Titanic ».

Que faut-il faire ? Il faudra probablement dessiner un accord avant les grandes conférences entre les principaux responsables des phénomènes auxquels on veut s’attaquer, que ce soit les émissions de carbone ou les restrictions au commerce. Faute d’un schéma commun  mis au point à l’avance entre les Etats-Unis, l’Union Européenne, le Japon et la Chine, un accord entre 192 pays était hautement improbable. Il faudra aussi s’inspirer de ce qui a fait le succès de l’Union Européenne : une grande idée fondatrice, autrefois le désir d’éviter une troisième guerre mondiale sur le continent, maintenant celui de prévenir un désastre écologique ; mais surtout de sordides négociations de marchands de tapis qui n’ont rien de reluisant mais sont seules capables de garantir que chacun sort gagnant d’une manière ou d’une autre d’un compromis.

Les négociateurs de Copenhague avaient bien en tête la grande idée. Il faut maintenant retrouver, à l’échelle mondiale et sur le sujet du réchauffement planétaire, la délicieuse atmosphère glauque des négociations de Bruxelles, horloge arrêtée !

(Photo : The Guardian)