Effacées

Les Archives Départementales de la Gironde présentent jusqu’au 26 avril 2026 une intéressante exposition intubée « Effacées, l’enfermement au féminin au château de Cadillac, 1822 – 1951 ».

Le château de Cadillac sur Garonne a été construit par le duc d’Épernon, gouverneur de la Guyenne, au début du dix-septième siècle. Il a connu quatre périodes d’utilisation pénitentiaire. De 1822 à 1891, il a hébergé une maison centrale de force et de correction pour femmes ; de 1891 à 1896, une maison d’éducation pénitentiaire pour jeunes filles ; de 1905 à 1940, une école de préservation, pour des pupilles mineures ; enfin, de 1940 à 1951, une institution publique d’éducation surveillée.

Les dossiers individuels de ces femmes, en particulier les quelque 10 000 incarcérées à la maison centrale de correction et de force jusque 1891, n’ont pas été conservés. Elles ont été effacées de l’histoire. C’est leur souvenir que l’exposition entend raviver.

La création à Cadillac du premier établissement entièrement consacré aux femmes s’inscrit dans un mouvement philanthropique, porté par la Société royale pour l’amélioration des prisons, dont une autre réalisation fut la création d’une inspection générale des prisons, chargée d’identifier les dysfonctionnements. Les premières détenues furent transférées de la maison centrale d’Eysses (Villeneuve sur Lot), qui était mixte. Au nombre de 204, elles arrivèrent par bateaux le 3 avril 1822 dans l’après-midi, après un trajet d’une centaine de kilomètres à bord de deux embarcations couvertes, une autre étant destinée à l’escorte.

L’histoire de Cadillac témoigne d’une alternance de périodes où l’on insiste sur la nécessaire utilité de la détention, par le rachat des fautes et l’apprentissage (1822, 1848, 1945), et des périodes répressives. On lit dans le catalogue de l’exposition : « En mai 1839, un règlement uniformise le régime pénitentiaire des maisons centrales de force et de correction pour l’ensemble des condamnés des deux genres. Il se place résolument du côté de la répression, et non de la philanthropie qui animait les premiers réformateurs du système pénitentiaire vingt ans auparavant. Pour le ministre de l’intérieur, « la vie du condamné ne doit jamais cesser d’être grave et soumise à une discipline sévère (…) Le travail doit être sa seule distraction. » Le ministre de la Justice de 2025, hostile aux activités ludiques, ne dirait pas autre chose.

« Ce système, lit-on dans le catalogue, vise à briser toute sociabilité afin d’empêcher la propagation du « vice ». Le silence est prescrit comme règle générale, et doit être respecté partout et pendant toutes les activités, y compris lors du temps consacré au repos. »

On y lit aussi la mutinerie des détenues après l’adoption de ce règlement.

« Le 4 juin 1839, jour de la mise en application du règlement disciplinaire promulgué sept jours plus tôt à Cadillac, une révolte éclate. Les détenues refusent de travailler, de manger, et restent dans la cour jusqu’au soir. « Qu’on nous donne l’usage du vin pour soutenir nos forces défaillantes et qu’on ne nous prive pas de la jouissance de la partie du produit de notre travail que nous avions coutume de recevoir. » (…) Le lendemain, arrivent par bateau cinq gendarmes qui s’emparent des 14 plus « mutines » et les enferment dans l’un des souterrains du château, d’où leurs cris retentissent et se répandent comme un encouragement à la résistance. »

Pendant des décennies, l’enseignement et la pratique de la religion catholique firent partie du programme de rédemption des détenues. En 1878, 15 religieuses encadraient 350 femmes détenues. Dans la chapelle était exposée une toile de Pierre Jérôme Lordon intitulée « Madeleine repentante ». « Lors de sa tournée en 1841, l’inspecteur général s’offusque de ce que la Madeleine du retable de Cadillac soit représentée dans une tenue trop légère. S’ensuit une dépêche du ministre de l’Intérieur au préfet de la Gironde, afin que les draperies nécessaires soient ajoutées d’urgence au tableau. Le préfet répond alors, si l’on en croit le brouillon de sa lettre, que seuls une épaule, le haut d’un bras et une jambe de la sainte sont dénudés, et qu’il serait dommage de gâter une œuvre offerte par le gouvernement, de surcroît réalisée par un maître habile. En marge de cet écrit a été ajoutée la phrase « il y a en face un autre tableau représentant le Christ entièrement nu, si l’un des deux devait donner à penser aux femmes enfermées à Cadillac, ce serait celui-là bien plutôt que l’autre. »

 

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