CinémaItalie13 juin 20132La Grande Belleza

« La Grande Belleza », film de Paolo Sorrentino, constitue un moment de bravoure du cinéma italien, dans le droit fil de Federico Fellini.

 Jep Gambardella (Toni Servillo) est un Romain mondain, ou un mondain romain selon que l’on accorde plus d’importance à l’une de ses deux caractéristiques. Son univers se réduit à la ville de Rome, encore qu’il soit abusif de parler de réduction s’agissant d’une ville d’une telle profondeur historique et esthétique. Il a choisi d’être le roi des mondanités : il ne se contente pas de participer aux fêtes, mais jouit du pouvoir de les gâcher.

 

Toni Servillo dans La Grande Belleza
Toni Servillo dans La Grande Belleza

Or, voici que Jep fête son soixante cinquième anniversaire dans une débauche de musique électronique et d’alcool sur la terrasse de son vaste appartement près du Colisée. Soudain sa vie lui semble vide. Il y a quarante ans, il écrivit un livre qui gagna un prix littéraire. Il suivit ensuite la pente de la frivolité. Il a aujourd’hui du vague à l’âme et vagabonde dans Rome à la recherche de lui-même et de la grande beauté dont on n’aperçoit dans la vie que des éclairs fulgurants et fugaces.

 Il n’y a pas d’intrigue dans ce film. Le spectateur est invité à se laisser porter pendant deux heures et demie par la poésie, ce qui explique que les critiques se partagent entre l’enthousiasme fébrile et le profond ennui. Je suis du parti des enthousiastes. Chaque plan est photographié avec l’angle et la lumière justes. La bande sonore est magnifique. Les dialogues sont sculptés au plus juste, entre tragique et dérision. Le jeu des acteurs est bouleversant. Et puis il y a la ville de Rome dans toute sa splendeur, évoquée avec la maestria de Fellini dans La Dolce Vita et dans Roma.

 Que relater de ce film immense ? Un chœur de femmes dans des ruines antiques. Romano (Carlo Verdone) venu demander à Jeff une interview qui se voit répondre « nous sommes devenus un peuple d’interviewés ! ». Stefania (Galatea Ranzi) qui se vante devant un groupe d’amis d’être une femme comblée et se voit rappeler par Jep les tromperies de son mari, ses enfants qu’elle ne voit jamais, ses rôles dans des séries télévisées minables. La manière dont Jep évoque les funérailles comme une occasion mondaine parmi d’autres où il faut se mettre en scène. La perplexité de Jep lorsqu’un ami lui révèle que son épouse, qui vient de mourir, n’a vécu secrètement qu’avec lui dans le cœur.

 Il y a naturellement dans la Grande Belleza, comme dans le cinéma de Fellini, une forte présence de la religion. Une petite fille en habit de communion solennelle fixe intensément Jep, comme un rappel de la pureté originelle. Un évêque ne sait parler que de recettes de cuisine. Une « sainte » de 104 ans rappelant Mère Theresa semble un spectre sorti de sa tombe. Elle n’a qu’un message pour les vivants : la pauvreté ne se commente pas, elle se vit.

 Au soir de sa vie, Jep est conscient d’avoir vécu dans le néant. La conscience de ce néant, la capacité d’en rire, est la seule voie de salut. Quarante ans après son premier et unique livre, il pense à écrire un livre sur le néant. Le fera-t-il ?

Toni Servillo et Carlo Verdone dans La Grande Belleza
Toni Servillo et Carlo Verdone dans La Grande Belleza

2 comments

  • Fabienne

    18 juin 2013 at 8h08

    Je partage ton enthousiasme pour ce film ébouriffant sur la vacuité des mondanités, un « voyage au bout de la nuit » et de l’ennui avec pour toile de fond une Rome sublimée et merveilleusement photographiée; Le scenario est ténu mais au-delà du superficiel des relations nocturnes transpercent les questions existentielles et spirituelles de « Jep » qui touchent à l’universel…

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  • elisabeth lagadec

    15 juin 2013 at 14h54

    Merci, Xavier, de ce guide cinématographique où tu nous ouvres la voie de sorties intéressantes. Ainsi, hier, nous avons vu avec grand plaisir « Le temps de l’aventure », et nous irons voir ce week-end « La grande bellezza ». Au moins, nous sommes sûrs de pouvoir faire confiance à tes critiques, tant tu partages nos goûts (en tout cas, les miens, à coup sûr, Patrick ayant parfois tendance à préférer l’action ou la politique à la pure poésie).

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