L’homme qui lisait des livres

Dans « L’homme qui lisait des livres » (Julliard, juillet 2025), Rachid Benzine raconte la rencontre en 2014 d’un photographe français et d’un libraire dans une ville de Gaza déjà soumise aux bombardements israéliens.

Le libraire se nomme Nabil Al Jaber. Il tient une minuscule échoppe où il vend, et le plus souvent offre, des livres jaunis et écornés par les années.

Nabil est né en 1948, l’année de la « nakba », la catastrophe vécue par les Palestiniens chassés de leur terre. Il a passé son enfance dans les camps des réfugiés, Aqabat Jabr dans la vallée du Jourdain, puis Jabalyia, à l’extrémité nord de la bande de Gaza. Son père et sa mère, de fortes personnalités, se sont battus pour que sa sœur et lui puissent étudier.

En juin 1967, pendant la Guerre des six jours, l’armée israélienne envahit le camp. Moussa, le frère de Nabil, est tué les armes à la main. « Étendu à terre, Moussa m’a caressé tendrement les cheveux. Il m’a offert un pauvre sourire et m’a saisi soudain par le bras : « Lis. Lis jusqu’à perdre la raison. Mais lis, petit frère. Lis. » Sa tête est retombée en arrière. Ses yeux ont contemplé une dernière fois le ciel de Gaza. » Nabil suivra fidèlement la recommandation de Moussa. Emprisonné pendant vingt ans à la suite de la participation à la première Intifada, il dévore les livres.

Le livre de Rachid Benzine décrit l’horreur du sort des Gazaouis. « Des façades éclatées, éventrées comme des carcasses de bêtes crevées. Les entrailles de béton pendent, tordues, répandues sur les trottoirs. Les maisons ne sont plus que cages thoraciques fracassées (…) Et pourtant, on continue de vivre. Un théâtre de misère et de folie, un bal grotesque où les vivants ne sont plus tout à fait vivants, mais pas encore tout à fait morts. »

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Il s’attache en particulier aux enfants. « Journée ordinaire hier : deux frappes ont tué quatre gamins dont le seul crime avait été de jouer au football sur la plage. » Après un bombardement israélien, « sans ce tas de pierres, nous cherchions les nôtres. Par miracle, la femme de Hafez était vivante, mais pas sa petite-fille, qui avait dormi chez ses grands-parents la veille. »

Hiam, la femme de Nabil, disparaît dans ce bombardement. Elle croyait, comme son mari, à la force des mots. Elle avait créé dans le camp de Jababiya un atelier théâtre. « Elle souhaitait montrer aux enfants que le monde pouvait être réinventé. Que leurs corps eux-mêmes pouvaient devenir langage. Qu’ils pouvaient être effectivement des rois, des héros, des penseurs, même au cœur des ruines. »

« Prenez-la donc, votre photo du vieux Nabil Al Jaber, dit Nabil à son interlocuteur français. Perdu au milieu de ses livres, comme il l’est dans ce monde absurde, enragé, inhumain. »

C’était en 2014. En 2025, « à où vivait Nabil, il n’y avait plus que poussière. Là où se trouvait sa boutique, il y avait un tas de ruines. » À l’hebdomadaire La Vie, Rachid Benzine confie : « Mon livre est né de la tragédie en cours à Gaza, de mon déchirement face à la déshumanisation à l’œuvre. Je m’interroge sur la manière dont nous pouvons tenir, en tant qu’êtres humains, face à l’effondrement auquel nous assistons. »

 

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