Belles filles albanaises

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Au cours d’une conférence de presse avec le Président albanais Sali Berisha le 11 février, le Président du Conseil Italien Silvio Berlusconi a demandé à l’Albanie plus de contrôle sur les passeurs clandestins, et a ajouté : « pour ceux qui amènent de belles filles, nous ferons une exception ». L’écrivaine albanaise Elvira Dones lui a écrit une lettre ouverte. Nous la publions ce 8 mars, jour des droits de la femme.

Moi, écrit Elvira, ces « belles filles » je les ai rencontrées, j’en ai rencontré des dizaines, de nuit et de jour, en cachette de leurs proxénètes, je les ais suivies de Garbagnate Milanese jusqu’en Sicile. Elles m’ont raconté des lambeaux de leurs vies violées, brisées, dévastées. A « Stella », ses patrons avaient tatoué sur son estomac un mot : pute. C’était une belle fille avec un défaut : enlevée en Albanie et transportée en Italie, elle refusait d’aller sur le trottoir. Après un mois de viols collectifs par des proxénètes albanais et leurs associés italiens, elle dut s’incliner. Elle connut les trottoirs du Piémont, du Latium, de la Ligurie et bien d’autres. Et seulement alors, trois ans plus tard, ils lui tatouèrent sa profession sur le ventre, comme çà, par jeu ou par caprice.

Autrefois, elle était une belle fille, oh oui ! Aujourd’hui c’est un déchet de la société, elle ne deviendra jamais plus amoureuse, elle ne deviendra jamais maman ou grand-mère. Cette pute sur le ventre lui a retiré toute lueur d’espoir et de confiance en l’homme, le massacre par les clients et les protecteurs lui a détruit l’utérus.

Elvira termine ainsi sa lettre ouverte à Berlusconi : « L’Albanie n’a plus de patience ni de compréhension pour les humiliations gratuites. Je crois que vous devriez arrêter de considérer les drames humains comme du matériau pour des plaisanteries de bar à heure tardive et que vous n’auriez qu’à y gagner. »

Les humiliations mentionnées par Elvira dépassent le cadre de la plaisanterie déplacée. Le Président du Conseil italien, dans la même conférence de presse, envisageait de faire de l’Albanie un producteur régional d’énergie. Il s’agirait en réalité de construire dans ce pays les centrales nucléaires dont les Italiens ne veulent pas sur leur sol. L’Albanie se prépare à recevoir les déchets de sa grande voisine.

Elvira Dones, née en Albanie en 1960, exerce aux Etats-Unis le métier d’écrivaine et de metteuse en scène. Sa lettre m’a été communiquée par le groupe « Uomini in Cammino » de Pinerolo, Piémont.  Photo de la conférence de presse commune de Berlusconi et Berisha à Rome, La Repubblica, http://www.repubblica.it/cronaca/2010/02/12/news/berlusconi_sbarchi-2272819/

« Religion » du changement climatique

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La croyance dans le changement climatique est-il une religion ? Le débat fait rage en Grande Bretagne, alors qu’une commission d’enquête parlementaire examine les allégations de truquage de statistiques.

En novembre dernier, Tim Nicholson, cadre licencié par une grande société immobilière, gagna un procès contre son ex-employeur. Le juge admit que son licenciement était lié à ses profondes convictions environnementales et que celles-ci donnaient droit à la même protection qu’une foi religieuse. Pour preuve du mépris de son employeur pour l’environnement, Nicholson avait raconté l’anecdote de son patron qui, ayant oublié son BlackBerry à Londres, avait ordonné à un employé de le lui apporter par avion en Irlande.

Dans son arrêt, le juge définit 5 critères pour établir si une croyance philosophique pourrait tomber sous le coup de la règlementation du travail sur la discrimination religieuse. 1- Il faut véritablement adhérer à cette croyance. 2- Il doit s’agir d’une croyance et non d’une opinion ou d’une vue basée sur l’état actuel de l’information disponible. 3- La croyance doit toucher à un aspect lourd et substantiel de l’activité humaine. 4- Elle doit atteindre un certain niveau de rigueur, de sérieux, de cohérence et d’importance. 5- Elle doit être digne de respect dans une société démocratique, ne pas être incompatible avec la dignité humaine et ne pas entrer en conflit avec les droits fondamentaux des autres.

C’est précisément la nature « religieuse » ou scientifique de la croyance dans le changement climatique qui fait débat. On sait que, à l’initiative de l’Institute of Physics de Londres, une commission parlementaire enquête sur la manipulation de statistiques dont se seraient rendus coupables des chercheurs de l’unité de recherche climatique de l’Université de l’East Anglia. La plainte a été rédigée en partie par un consultant, Peter Gill. Celui-ci a récemment écrit : « si vous ne « croyez » pas dans le changement climatique anthropogène, vous risquez au mieux le ridicule, mais plus probablement des commentaires au vitriole et même la diffamation (« character assassination »). Malheureusement, pour beaucoup de personnes, le sujet est devenu une religion, de sorte que les faits et les analyses sont devenues de plus en plus privés de signification ».

Il est apparu que Peter Gill est à la tête d’un cabinet de consultants qui travaille pour de grandes compagnies pétrolières, ce qui entache sa contribution de partialité, d’autant plus que plusieurs membres de l’Institute of Physics ont critiqué la plainte déposée en leur nom. Il reste que, sur le sujet spécifique comme sur le domaine de l’environnement en général, il y a un risque sérieux que des attitudes dogmatiques prennent le pas sur la construction humble et difficile de preuves scientifiques. La conviction du changement climatique doit se fonder sur l’état actuel de l’information disponible. Elle ne devrait pas être de nature religieuse.

(Source : articles du quotidien The Guardian, 3 novembre 2009 et 5 mars 2010. Graphique : diminution observée et extrapolée de la surface des glaciers de l’Arctique, The Guardian)

Ex-voto

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Cet ex-voto de la basilique Notre Dame de la Garde à Marseille rend grâce pour une guérison miraculeuse. Il est clairement construit sur l’opposition du masculin et du féminin. En bas à droite, les hommes discutent et s’affligent. A gauche, les femmes prient et espèrent. En haut à droite, La Vierge, son enfant dans les bras, rayonne et tend une main secourable.

Musique contemporaine

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Kings Place, un centre culturel proche de la gare Kings Cross à Londres, consacre à la musique contemporaine une série de concerts intitulée « Out Hear » (entendre hors d’ici). Le 1er mars, le concert était donné par le Grup Instrumental de València.

« Out Hear » nous invite à « briser notre mur du son » en nous embarquant pour un voyage excitant d’aventures sonores dans les mondes de la musique contemporaine / expérimentale, la gymnastique vocale, l’improvisation, le spectacle d’avant-garde et multimédia. Cette série de concerts est organisée par Kings Place, qui est à la fois le siège londonien du quotidien The Guardian, un centre de conférences et un pôle d’art contemporain.

Dirigé par Joan Cerveró, l’ensemble instrumental de Valence (http://www.grupinstrumental.com) associe des instruments classiques, de la musique électronique et une chanteuse de Flamenco. Il joue des œuvres composées pour la plupart par de jeunes musiciens espagnols entre 1978 et 2007. Pour l’auditeur novice que je suis, elles sont dérangeantes. En apparence, l’orchestre se présente de manière tout à fait classique, avec un chef donnant le tempo, un violon, un violoncelle, une trompette, une flûte, des percussions. Mais les sons qui sortent des instruments ne répondent pas aux critères habituels : la violoncelliste utilise la caisse de son instrument comme percussion, le flûtiste fait entendre le râle de sa respiration, le percussionniste gratte la peau de son tambour. Une musique électronique restitue une ambiance sonore proche de celle d’une grande ville, parfois distincte, parfois assourdie.

Dans « pour trois couleurs de l’arc en ciel » de José Antonio Orbs, la musique est associée à des couleurs. Dans Les Sept Vies d’un Chat, de Martín Matalón, elle fournit un contrepoint à un film muet, « le chien andalou », court métrage onirique de Luis Buñuel et Salvador Dali. Dans Raís del Aire de Mauricio Sotelo, elle joue sur l’antagonisme avec un chant traditionnel, le Flamenco d’Isabel La Julve.

Rien n’est improvisé, tout est écrit, même si je peine à imaginer le langage utilisé pour transcrire de la pure recherche acoustique. Peu à peu, nous entrons dans le jeu et constatons que ces musiciens audacieux nous ont aidés, vraiment, à dépasser nos préjugés confortables, à briser notre mur du son.

(Photo Kings Place)