Escapade à Marseille

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Nous venons de passer un week-end à Marseille à l’invitation d’un couple de Marseillais d’adoption. En voici le récit.

Le survol de la baie de Marseille en provenance de Londres et les premiers pas sur le tarmac de l’aéroport Marseille Provence offrent un premier saisissement. On se sent soudain environné de lumière. Mais nous apprendrons aussi, au fil du week-end, que Marseille sait être pluvieuse et grise.

Notre première visite est naturellement pour la « Bonne Mère », Notre Dame de la Garde. Le panorama sur la ville et la baie est stupéfiant. Les murs intérieurs de la basilique, consacrée en 1864, sont couverts d’ex-voto. C’est tout un peuple qui s’exprime ici et remercie pour une grâce reçue, une guérison inespérée, le dénouement miraculeux d’un accident d’avion, d’un naufrage ou d’une chute d’échelle.

Nous arpentons le quartier du Panier, celui où s’implantèrent les colons Phocéens il y a 2600 ans. Nous visitons la « Vieille Charité », un ensemble de trois austères bâtiments construit au 17ième siècle pour enfermer les gueux. Une chapelle ferme la perspective. Son dôme elliptique, réalisé par l’architecte marseillais Pierre Puget, est harmonieux. Cet endroit de réclusion et de désolation a été restauré et est devenu un haut lieu culturel abritant des expositions temporaires.

Nous visitons une boutique de savon de Marseille. On ne le fabrique plus en Provence, mais dans différents pays du monde. La boutique propose des articles colorés avec des formes variées et amusantes. Une autre boutique incontournable est celle des santons. Comme les ex-voto, c’est la vie du peuple marseillais qui s’exprime ici, mais dans une version passéiste et idéalisée. Ce sont les métiers d’autrefois qui sont magnifiés, le facteur, le boulanger, le rémouleur. L’agent de call-centre et le garde de télésurveillance en sont absents. Nous nous rendons à l’Estaque à la tombée de la nuit et si l’obscurité nous empêche de parcourir le chemin des peintres, nous savourons un « chichi frergies » au comptoir d’une guinguette particulièrement fréquentée.

Nous nous rendons à l’une des dernières faïenceries marseillaises, la Faïencerie Figuères (http://www.faiencerie-figueres.com/), spécialisée dans le trompe- l’œil en céramique. Les olives ou les figues produites par leurs fours n’attendent que d’être dévorées… du regard. Nous randonnons sur le sentier littoral des calanques de la Montagne Marseille Veyre. La roche calcaire et la mer réfléchissent la lumière. Nous faisons une pause dans un bar restaurant au bord du rivage. Son approvisionnement se fait par voie de mer. Un groupe de personnes d’une soixantaine d’années se baigne dans une eau à douze degrés.

A Aubagne, nous visitons l’exposition permanente « Le Petit Monde de Pagnol », installée par la mairie en hommage à l’enfant du pays (1895 – 1974). Elle est organisée sur le principe d’une crèche de Noël, dont les santons seraient les héros des films de Pagnol : au premier plan, la partie de cartes, la pétanque, la boulangère ; en arrière, le Château de ma Mère, Manon des Sources. Nous visitons aussi la maison natale de Marcel Pagnol. Je me rends compte qu’il fut formé comme professeur d’anglais, découvrit à Londres le cinéma parlant et traduisit Shakespeare.

A Auriol, nous nous rendons au Moulin à Huile Margier (http://www.domainelamichelle.com/moulin.htm). L’huile d’olive s’achète en vrac de grandes cuves. Comme pour les vins, il y a des millésimes et des saveurs différentes. Notre week-end s’achève au restaurant Bonaparte de Cassis. La falaise surplombant Cassis est illuminée de blanc. Le restaurant se trouve dans une ruelle proche de l’église. La soupe de poisson, le loup grillé à l’huile d’olive, le gâteau tropézien et le vin blanc local « Clos de la Madeleine » sont délicieux.

(Photo : la partie de cartes – « tu me fends le cœur » – Le Petit Monde de Pagnol, Aubagne).

Coûts et bénéfices de la libéralisation financière

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L’un des premiers articles de Transhumances a été consacré au rapport Turner sur la crise financière. Adair Turner, président de la Financial Services Authority, a donné le 15 février à Mumbai une passionnante conférence intitulée « après les crises : évaluer les coûts et les bénéfices de la libéralisation financière (http://www.fsa.gov.uk/pages/Library/Communication/Speeches/2010/0215_at.shtml).

Le président de la FSA entend ne pas analyser seulement la dernière crise financière, celle de 2008, mais tirer les leçons de toutes les crises, y compris la crise asiatique de 1997. Les deux crises sont différentes. La crise asiatique avait été caractérisée par de brutales entrées et sorties de capitaux aux frontières de pays en développement, avec un fort effet inflationniste. La crise de 2008 est née dans les pays développés, à partir d’une offre de crédit démesurée et du développement de formes opaques de titrisation des crédits et de dilution des risques. Elles ont pourtant un point commun : la « financiarisation » de l’économie, c’est-à-dire le découplage entre la croissance de l’économie réelle et celle des transactions financières. La question qui se pose est dans quelle mesure le développement de l’économie financière favorise-t-elle celui des échanges de biens et de services ?

Adair Turner rappelle le débat fondamental en économie entre les néo-classiques et les keynésiens. Les premiers considèrent, modèles mathématiques à l’appui, qu’un marché liquide, un « trading » actif et l’innovation financière favorisent une allocation optimale des facteurs. Ils soutiennent donc des politiques qui réduisent la règlementation au strict minimum nécessaire pour compenser les imperfections de certains segments du marché, comme celui de travail.

Pour Keynes au contraire, les traders ont déconnectés de l’économie réelle et en proie à leur instinct grégaire. C’est le syndrome du concours de la photo de la plus jolie fille. Les concurrents ne misent pas sur celle qu’ils jugent la plus jolie, mais sur la fille qui, selon eux, ralliera la majorité des suffrages. La spéculation pure, non attachée aux fondamentaux de l’économie, peut produire des bulles auto-entretenues qui non seulement ne jouent aucun rôle utile dans l’allocation des facteurs, mais produisent d’importants effets déstabilisants.

Lord Turner ne croit pas qu’un marché financier dérégulé apporte de réels bénéfices à l’économie réelle ; il croit même au contraire qu’e les dégâts peuvent être considérables. Il demande au moins qu’on considère à partir de quel point l’utilité d’un marché plus liquide devient décroissante. Le fait de conclure des transactions programmées par ordinateur en quelques millisecondes a-t-il vraiment un effet positif pour l’économie ? N’est-ce pas au contraire une machine infernale ?

Il reconnait que dans les pays émergents tels que l’Inde il est nécessaire de rendre plus profond le marché financier en facilitant l’accès aux services bancaires de base et au crédit à des secteurs de la population qui en sont aujourd’hui exclus. Mais cela n’a rien à voir avec la dérèglementation et le développement des activités spéculatives.

Il faut maintenant agir pour empêcher les « effets de troupeau » spéculatifs de mettre en danger de nouveau la stabilité du système financier international et de détruire de la valeur et des emplois. Lord Turner reconnait qu’il est plus facile d’adhérer au dogme de la libéralisation financière comme à un article de foi que de mettre en place des politiques raisonnables en agissant simultanément sur plusieurs paramètres. Parmi ceux-ci, il mentionne l’idée de dissuader les banques de « devenir trop grosses pour faire faillite » ; d’obliger les banques à constituer plus de réserves en contrepartie de leurs activités spéculatives ; d’imposer des limites aux effets de levier ; et de mettre en place une taxe sur les transactions financières avec l’objectif, selon son inventeur James Tobin, de jeter du sable dans les roues de l’activité spéculative.

Les marchés ont la mémoire courte. On sait que nombre d’institutions sont revenues avec délectation aux pratiques qui provoquent à coup sûr des crises financières. Du moins est-il réconfortant de voir que, tels Adair Turner, certains régulateurs ont les yeux ouverts.

(Photo : la City de Londres la nuit. Voir aussi les articles « transactions à haute fréquence » du 6 septembre 2009 et « Comprendre la crise financière : le rapport Turner » du 11 septembre 2009).

Reconstruire la confiance

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 Les services sociaux de Haringey, dans la banlieue nord de Londres, ont connu une crise dramatique après la mort d’un bébé de dix-sept mois à la suite de mauvais traitements répétés. Eleanor Brazil, nommée directrice par intérim, explique dans The Guardian comment elle a entrepris de reconstruire la confiance.

En août 2007, Baby P, 17 mois, mourait des sévices infligés par l’amant de sa mère, à la suite d’une longue série de mauvais traitements. Les services sociaux de Haringey, qui étaient censés protéger l’enfant, ont été accusés par les médias de complicité passive dans son assassinat.

Le quotidien The Guardian relate dans son édition du 24 février le travail d’Eleanor Brazil, nommée directrice par intérim du service des enfants et des familles de Haringey en janvier 2009, pour reconstruire la confiance. L’article se trouve à l’adresse suivante : http://www.guardian.co.uk/society/2010/feb/24/haringey-rebuilds-childrens-services-baby-p.

Eleanor évoque la colère, la peur et la démoralisation des personnels qui essayaient vaille que vaille, malgré les attaques de la presse, de continuer leur travail auprès des enfants vulnérables.

Pendant six semaines, les responsables des services sociaux, des services de santé, de la police et des écoles se mirent ensemble à élaborer un plan d’action. La priorité était d’avoir un système de signalement et d’évaluation efficace. Les écoles et les services de santé se plaignaient de la piètre qualité des évaluations. De leur côté, les travailleurs sociaux opéraient dans une atmosphère frénétique, lourde et désorganisée. Ils se plaignaient de longues heures, d’une surcharge de travail et d’un manque de supervision. Une expérience pilote fut réalisée, qui conduisit à la création d’un service « Première Réponse » chargée de la réception et de l’analyse des signalements.

Le plan avait différents volets, le recrutement de responsables qualifiés, le renforcement des équipes avec l’embauche de 17 travailleurs sociaux venus des Etats-Unis, la définition de chemins de carrière pour le personnel. On eut recours à des consultants chargés d’aider à la supervision de cas complexes, de développer un outil d’audit global et de revoir la gamme des soutiens que l’on pouvait apporter aux familles. Un soin particulier fut apporté à la communication avec les travailleurs sociaux, dans un premier temps pour recevoir leurs doléances. Un comité multidisciplinaire fut créé pour examiner tous les quinze jours les cas les plus difficiles.

« J’aime faire des puzzles, dit Eleanor, et il me semble que transformer un service est un peu comme faire un puzzle complexe. Vous devez concentrer votre énergie sur les différentes parts du problème, en donnant une attention soutenue aux parts essentielles du puzzle à différents moments. Si vous n’avez pas accès au tableau final, il vous est difficile de comprendre comment tout s’emmanche. Il en fut de même du programme de transformation : au début, ceux qui ne comprenaient pas le tableau global étaient sceptiques sur la manière dont tous les différents éléments allaient s’arranger ensemble. »

Du fait de l’attention médiatique, le processus de changement mené par Eleanor Brazil a bénéficié de budgets dont n’oseraient rêver d’autres services sociaux, en Grande Bretagne et ailleurs. Il reste que cet exercice de changement en profondeur selon plusieurs dimensions est un intéressant exemple de management.

(Photo The Guardian, Baby P)

Prime Monster

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Le tabloïd britannique The Sun, qui a pris fait et cause pour le Parti Conservateur, a titré le 22 février « Prime Monster » (Premier Monstre) en désignant le « Prime Minister » (Premier Ministre).

Une polémique se développe en Grande Bretagne sur les relations du Premier Ministre Gordon Brown avec le personnel du 10 Downing Street : tyrannise-t-il ses collaborateurs ? La directrice d’une ligne d’écoute de personnes s’estimant victimes de brimades au travail a même déclaré que son service avait reçu quatre appels provenant des services du premier ministre, sans préciser toutefois si ces appels concernaient le Premier Ministre lui-même et s’ils étaient fondés.

Une chose est sûre toutefois : Gordon Brown est bien un monstre sacré de la politique. Depuis son accession au pouvoir, il a déjoué plusieurs complots de travaillistes convaincus de ce qu’il était temps de changer de leader. Il a traversé une crise financière et industrielle. Sa cote de popularité est plus basse encore que celle du président Sarkozy en France. Pourtant, il avance imperturbable. L’opinion publique commence à douter des Conservateurs et leur leader David Cameron n’est plus certain d’obtenir une majorité absolue au prochain parlement. L’hypothèse d’un gouvernement travailliste soutenu par les libéraux démocrates n’est plus tout à fait exclue. Le Premier Ministre pourrait alors s’appeler Gordon Brown !

(Photo de la BBC : Gordon Brown à 21 ans, déjà recteur de l’université d’Edimbourg)