Away we go

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 Le film « Away we go » de Sam Mendes a été généralement fraîchement accueilli par les critiques, qui l’ont trouvé fade en comparaison des Noces Rebelles. Mais en raison de son optimisme et de sa bienveillance, il constitue un excellent divertissement pour la période des fêtes.

Burt et Verona sont des intellectuels quelque peu marginaux, « altermondialistes » dit la féroce critique de Télérama. Ils vivent dans une maison isolée et passablement délabrée près de chez les parents de Burt. Lorsqu’ils leur annoncent qu’ils vont avoir la joie d’être grands parents, c’est la douche froide : ceux-ci se préparent en effet à partir pour deux ans en Europe.

De Phoenix à Madison et de Montréal à Miami, de famille en amis, Burt et Verona se mettent à la recherche d’une communauté de vie où ils se sentiront bien, eux et le bébé. Ils vont de déception en déception. Ici, une famille abrutie de l’Amérique profonde ; là, des illuminés qui prétendent vivre une vie d’où conflits et séparations sont absents ; là encore, un couple qui semble mener une vie débordante de générosité mais est dévoré par la frustration de ne pas avoir pu mettre au monde un enfant. Revenus dans leur maison, Burt et Verona la voient avec un autre regard et se disent qu’ils peuvent y être heureux.

Il y a des moments forts dans le film. Dans un hall d’exposition, Verona et sa sœur se glissent dans une baignoire dos à dos ; la sœur de Verona fait mine de lui appliquer un shampooing et elles évoquent des souvenirs d’enfance. Burt et Verona offrent au couple d’illuminés une poussette pour leur petit garçon ; la femme rejette ce cadeau : « j’aime trop mon enfant pour le pousser, pour le repousser devant moi ! » ; il s’ensuit une scène désopilante : Burt transforme la poussette en bolide et le petit garçon en pilote dans le salon de leurs hôtes scandalisés, transformé en circuit de Formule 1. Couchés sur un trampoline au soir couchant, Burt tente d’arracher à Verona la promesse qu’elle l’épousera. Celle-ci s’y refuse, mais ils échangent des promesses vraies ou saugrenues dans lesquelles se scelle un amour qui résistera au temps.

(Photo du film Away we go)

Le vol de l’ibis rouge

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En cette fin d’année, je propose une lecture du magnifique roman de la Brésilienne Maria Valéria Rezende, O voo da guará vermelha (Oficina do Livro, 2005), le vol de l’ibis rouge.

Irene est fatiguée, fatiguée. Elle était belle et vendait cher ses charmes. Aujourd’hui, minée par la maladie, maigre et édentée, elle vend son pauvre corps à des malheureux qui ne peuvent se payer de la chair saine. Ce qui la maintient en vie, c’est le fils qu’elle a eu sans le vouloir et dont on disait qu’il aurait mieux valu qu’il ne naquît pas : client après client, Irène met de côté l’argent pour payer la vieille qui l’élève. Irene conserve au fond de sa mémoire un souvenir de petite fille, quand elle apportait à boire à son grand-père tailleur de pierres : alors si, sa vie avait un sens.

Soudain apparaît Rosálio. Sans famille, nommé « Moins-que-rien» par les gens de son village, Rosálio avait rencontré son destin le jour où il avait secouru un « bougre » blessé dans la campagne. L’étranger portait une caisse de livres, Don Quichotte et les Mille et Une Nuits. Il raconta à l’adolescent subjugué les histoires cachées sous les caractères d’imprimerie. Ce dernier se mit en route de par le monde, avec l’espoir de rencontrer quelqu’un qui lui apprît à lire.

Apprendre à lire. Pour y arriver, Rosálio a vécu mille galères, un camp de bûcherons esclaves dans la forêt vierge, une colonie de chercheurs d’or rongés par l’appât du gain, et aujourd’hui un chantier de construction où tout est gris, gris le béton, grise la poussière. Il sort dans la ville et voit, penchée à sa fenêtre, une femme, Irene.

Blanc comme les nuages, vert et noir, ocre et or, bleu et violet, rouge comme l’ibis que Rosálio libère d’un buisson d’épines et qui, ensanglanté, tente de prendre son envol : Irene et Rosálio voient maintenant le monde avec les yeux l’un de l’autre, et le monde est plein de couleurs.

Elle est avide d’entendre l’histoire de sa vie. Il a faim de mots, de sentiments et de gens. Elle lui enseigne l’écriture, comment par la magie des lettres on peut voyager léger de « romaria » (pèlerinage) à « Roma » (Rome), ou qu’il suffit d’étendre le bras pour cueillir au jardin du romarin.

L’homme touche à la terre promise. Le chantier fini, il achète pour lui et pour Irène des habits de couleurs. Il ira sur les marchés conter les histoires qu’il découvre dans les livres, elle passera la cédille aux badauds captivés. Rosálio n’a pas peur. Il a appris le métier de conteur auprès du Bègue, un homme doué pour le bonheur qui construisit sa maison dans un quartier pauvre, incommode, mais avec une vue imprenable sur la mer. Le jour de l’inauguration de sa maison, pour ne pas casser l’ambiance, le Bègue s’était mis à raconter des histoires désopilantes, sans bégayer. Sa renommée s’était étendue, d’autres lui avaient donné la réplique, une troupe de théâtre d’improvisation s’était créée, le Bègue l’avait nommée « le Théâtre du Ciel ».  Puis les tour-opérateurs étaient venus, et le théâtre avait été englouti par son succès. Rosário avait conservé le savoir-faire. Il allait en faire son métier.

Aube d’une vie nouvelle pour Rosálio, crépuscule pour Irene, mais un crépuscule somptueux. L’impossible rêve s’est réalisé, elle a un homme à elle, un homme pour elle, un homme qui l’aime pour l’éternité. L’ibis rouge, rouge de sang, peut prendre son envol.

(Photo : Wikipedia)

Coiffeurs de Goma

A Goma, à l’Est du Congo, les coiffeurs de rue sont devenus les pivots de la prévention du Sida.

« Goma (à l’Est du Congo, à la frontière avec le Rwanda) est une ville avec une population de 350.000 habitants dans laquelle le Sida est répandu. Amenée de l’extérieur, une coûteuse initiative pour organiser une campagne s’avéra inefficace. La solution ne pouvait venir que de la population elle-même (population dont la moyenne d’âge n’est que de 26 ans). A la fin, la délivrance vint des coiffeurs locaux. Environ 1.500 coiffeurs se rendirent compte de ce qu’ils étaient les mieux placés pour parler du Sida, puisque leurs salons étaient situés aux carrefours. Ils se donnèrent le nom de « citoyens coiffeurs » ou « d’éducateurs de base ». En raison de leur crédibilité dans la rue, ce groupe est maintenant le point focal d’une information et d’une prévention significatives et réussies. »

Ce texte est issu d’une interview publiée dans la revue Crisis Response (http://www.crisisresponsejournal.com/) de Michel Séguier par Patrick Lagadec. Michel est co-auteur de « Pratiques émancipatrices, actualités de Paulo Freire (Syllèpse, 2009), Patrick est directeur de recherche à l’Ecole Polytechnique (http://www.patricklagadec.net/).

Conte de Noël

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En ce jour de Noël, je propose un conte écrit il y a sept ans dans le cadre d’une célébration de la Communauté Chrétienne dans la Cité, à Paris. George Bush n’est plus président des Etats-Unis, mais Sangatte reste un lieu de trafic, de malheur et d’espérance.

Trois hommes dégustent un whisky au bar du Star Hotel de Stockholm. Ils reviennent du Palais Royal, où vient de leur être décerné un prix Nobel pour leur éminente contribution au progrès de l’humanité. Gaspard a reçu le Prix de Médecine pour ses travaux sur la carte du génome du rat des champs. Melchior s’est vu récompenser pour la mise en évidence de la disparition des cycles dans la Nouvelle Economie. A Balthazar a été attribué le Prix Nobel de la Paix pour sa médiation dans le conflit entre la Tartarie et le Gonflustan Occidental. Remplis de légitime orgueil, les trois sommités sirotent leur  Chivaz. 

Melchior

Mon cher Gaspard, vos révélations sur la carte du génome du rat des champs sont stupéfiantes. Ainsi, 99% de leurs chromosomes sont communs aux humains ?

Gaspard

C’est bien  cela. Notre découverte ouvre de grandes possibilités à la médecine : le rat au secours de la santé de l’homme ! Mais réduire le champ de la maladie sur le terrain de l’économie, n’est-ce pas ce que vous avez vous-même si brillamment réussi, cher Melchior ?

Melchior

Mon mérite est minime. Je me suis contenté de diriger une équipe, et tout le mérite lui revient. Nous avons établi en effet que, dans la Nouvelle Economie, le raccourcissement des délais de production tend à supprimer les cycles économiques. En somme, nous avons trouvé la recette de la prospérité pour tous et, finalement, cher Balthazar, un élixir de paix.

Balthazar

L’ambition d’un Prix Nobel de la Paix, cher Melchior, est de se trouver au chômage. Mais je crains que tartares et gonflustanais n’attendent guère avant de réactiver la guérilla. Le médiateur devra bien reprendre du service…

Dans le hall de l’hôtel, un écran géant transmet CNN. L’écran est soudain envahi comme d’une lumière extranaturelle, une étoile apparaît dans un angle et se déplace lentement. Le commentateur, comme ravi d’extase, prononce les paroles suivantes:

Un fils nous est donné,

On l’appellera Prince de la Paix

Jouez hautbois résonnez musettes

Aux confins du monde, célébrons la naissance du Messie

Les magiciens de la médecine, de l’économie et de la paix se prennent au jeu et décident de résoudre l’énigme et se mettre à la recherche du Fils, où qu’il se cache, fût-ce dans les montagnes de l’Afghanistan.

Le titre de Prince de la Paix les met naturellement sur la piste de George W Bush. Ils demandent audience à la Maison Blanche au chef de la lutte contre le terrorisme et pour le triomphe de la liberté.  Hélas, ils sont mis à la porte sans ménagement. Si un Messie nous est donné, ne serait-ce pas une menace contre le Prince au pouvoir ? D’un bout à l’autre de l’empire, de Bagdad à Tucuman, commence le massacre des innocents.

L’allusion aux hautbois et aux musettes les conduit au Château de la Star Academy. Ils cherchent ce fils musicien qui enchantera le monde. Hélas, ils arrivent au moment d’une procédure d’exclusion de l’un des participants et ne parviennent pas à se faire admettre dans le château des amis.

Ils se rendent enfin aux confins du monde connu, à Sangatte, là où se concentre l’espérance d’un ailleurs, d’un plus tard, d’un mieux vivre, bref l’espérance tout court. Sous un porche, hors du centre  de la Croix Rouge désormais fermé, un enfant est né. Des bergers kurdes transplantés à des milliers de kilomètres de leur troupeau jouent de la flûte et du tambourin.

« Avec les collègues, on vaquait è nos occupations. En passant sur le quai, près du wagon, on a entendu des coupas sur la ferraille et puis des cris. Il y avait des gens là-dedans ! »  C’est dans ce conteneur, un Wagon plombé arrivant de Modane, en Italie, et se dirigeant vers Feignies, dans le Nord, que, dans la soirée de samedi à dimanche, des agents de la SNCF ont découvert 22 ressortissants roumains. « Ils étaient enfermés depuis des heures, probablement depuis quarante-huit heures. Ils ne savaient plus où ils étaient. Ils pensaient qu’ils étaient arrivés près de Sangatte », reprend l’agent. Pour ces Roms, trois hommes, six femmes et treize enfants, dont un bébé de 18 mois, le voyage vers un eldorado appelé Angleterre s’est terminé là, dans une gare de triage du Pays Haut. Immédiatement pris en charge et réconfortés par les gardiens de la paix du commissariat, les cheminots et les élus qui sont apporté des couvertures, des vêtements, du café, des gâteaux, les Roms, épuisés, ont passé une première nuit dans un gymnase.

Les autorités italiennes, contactées dès dimanche, avaient répondu lundi matin qu’en vertu de l’accord bilatéral de réadmission signé avec la France, elles acceptaient de recevoir les roumains. « Je ne sais pas ce que les italiens vont en faire », a confié un membre du cabinet du préfet. C’est à leur diligence ».

Gaspard, Melchior et Balthasar s’agenouillent devant le Prince de la Paix et lui apportent leurs présents : une carte génétique, une courbe parabolique, une alliance clanique. L’enfant leur sourit.

(Photo : le cortège des Rois Mages à Milan)