Berlusconi, personnage baroque

La Cour Constitutionnelle italienne vient de déclarer inconstitutionnelle la loi qui garantissait l’impunité pénale au chef du Gouvernement italien. Ce rebondissement met une nouvelle fois au cœur de l’actualité Silvio Berlusconi, après le « Noemigate » (sa relation avec une mineure) et les révélations sur ses soirées agrémentées de call-girls.

Berlusconi est pour les non italiens une énigme. Comment un tel personnage peut-il être populaire en Italie au point d’être encore et malgré tout placé en tête des sondages ?

En 2000, je m’étais inquiété auprès d’un ami italien du probable retour au pouvoir (déjà !) de Berlusconi, malgré ses conflits d’intérêt, sa rhétorique hors d’age sur la subversion communiste et son antagonisme avec l’institution judiciaire. Mimmo m’avait répondu : « ne t’en fais pas, en Italie personne ne croit en la politique, ce n’est que du théâtre ». Je pense que Mimmo se trompait : Berlusconi allait enfoncer davantage le pays dans le cynisme et l’arbitraire, mais il y avait dans sa réaction quelque chose de juste : Berlusconi relève d’une culture enracinée en Italie et que je qualifierais de baroque.

La contre-réforme catholique du Concile de Trente a profondément marqué le tempérament italien. Face à l’austérité protestante, on multipliait les images, les dorures et les cérémonies sentant bon les fleurs et l’encens. Face à l’omniprésence du péché, on offrait un accès aisé à l’absolution pourvu qu’elle fût prononcée par un prêtre catholique. « Je ne suis pas un saint », reconnaît Berlusconi avec un naturel que n’eussent pas désavoué les papes Borgia. Son exubérance, son jeu d’acteur permanent, son goût de la mise en scène, sa conviction que ses faux pas vont être sans aucun doute pardonnés, tout cela fait de lui un personnage éminemment baroque.

La tradition baroque, excès de représentation et effacement des péchés, n’est certes pas l’apanage du populisme berlusconien. Il inspire aussi largement l’œuvre d’un Roberto Benigni ou d’un Dario Fo. Mais elle fournit une clé d’interprétation à des phénomènes difficilement compréhensibles de l’extérieur.

 

Ellen MacArthur change de vie

La navigatrice Ellen McArthur, 33 ans, vient d’annoncer qu’elle ne cherchera pas à regagner le record du tour du monde à la voile en solitaire et va désormais militer pour un mode de vie respectueux de la planète, « sustainable living ».

Il y a peu de personnalités également populaires des deux côtés de la Manche. Je pense spontanément à Jane Birkin pour la chanson et le cinéma, à Arsène Wenger et Thierry Henry pour le football. Ellen MacArthur est de celles-là. Son duel avec Francis Joyon pour le record du tour du monde à la voile a passionné les opinions publiques britannique et française : 71 jours pour elle en 2005, 14 jours de moins pour lui l’an dernier. Les 80 jours de Phileas Fogg étaient pulvérisés.

« Ce monde, dit Ellen, dont, enfant, je pensais qu’il était le plus grand, le plus aventureux endroit que l’on puisse imaginer, n’est pas si grand. » Il faut, dit-elle, prendre conscience de ce que nos ressources sont limitées. « Quand vous naviguez à bord d’un bateau, vous prenez avec vous le minimum de ressources. Vous ne gaspillez rien. Vous ne laissez pas la lumière allumée ; vous ne laissez pas un écran d’ordinateur allumé. Et vous vous rendez compte de ce que sur la terre vous prenez ce que vous voulez. Vous ne feriez pas cela à bord d’un bateau. Si vous avez besoin d’un rouleau de papier de cuisine, vous déchirez un coin, pas un carré entier. Mais quelqu’un quelque part a pensé que tout le monde avait besoin d’une ligne perforée. »

Le Sunday Times (4 octobre 2009) évoque l’enfance d’Ellen et son rêve d’océans. « Elle était d’une certaine façon coincée puisqu’elle vivait loin de la mer au milieu du Derbyshire, de sorte que son bateau était au fond du jardin la plus grande partie de l’année. Elle s’asseyait simplement dedans imaginant la vie sur les vagues. »

Ellen imagine maintenant la vie dans un monde libéré de l’insouciante gloutonnerie.

 

 

 

Un mois de « transhumances »

 « Transhumances » s’est ouvert il le 5 septembre 2009, il y a juste un mois. C’est le moment de tenter un premier bilan.

Depuis l’ouverture du blog, 22 articles et 10 commentaires ont été publiés. Au total, 451 pages ont été vues dont 275 entre le 20 et le 22 septembre lorsque j’ai communiqué son existence par courriel à mes amis.

Le Monde permet d’identifier les articles qui ont fait l’objet d’une recherche spécifique. A part l’article programmatique « bienvenus sur transhumances » et le poème intitulé Séga écrit la veille du courriel, les plus demandés sont :

– Deux chroniques économiques : « Comprendre la crise économique, le rapport Turner » et « transactions à haute fréquence »

– Trois notes de lecture : « la clé de Sarah », « le tigre blanc » et « une dangereuse fortune »

– L’article sur Blechtley Park, où l’ingénieur Alan Turing perça le code allemand Enigma

– L’article intitulé « aphasie : étranger dans sa propre vie »

Ces premiers résultats sont encourageants. Un groupe de lecteurs se constitue peu à peu, avec des pôles d’intérêt variés.

Lecteurs, merci de votre toute nouvelle fidélité à « Transhumances ». Vos remarques et vos conseils sont bienvenus !

Gandhi, héros malgré lui

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BBC 2 diffuse actuellement une série de documentaires sur la vie de Gandhi. Son autobiographie, publiée en feuilleton entre 1925 et 1929 alors qu’il touchait la soixantaine, a largement inspiré cette série. Elle porte pour titre « l’histoire de mes expériences avec la Vérité ». La photo qui illustre le présent article a été prise au musée Gandhi de Delhi ; elle illustre le moment où, en Afrique du Sud, Gandhi est expulsé d’une voiture de première classe en raison de sa race.

De retour de Londres où il a étudié le droit, Gandhi rencontre à Bombay l’homme d’affaires Raychandbhai qu’il décrit ainsi : « les transactions commerciales de Raychandbhai couvraient des centaines de milliers. Il était connaisseur des perles et des diamants. Aucun problème d’affaires, aussi noué fût-il, n’était trop difficile pour lui. Mais toutes ces choses n’étaient pas le cercle central sur lequel tournait sa vie. Ce centre était la passion pour voir Dieu face à face. Parmi les objets déposés sur sa table de travail, il y avait invariablement quelques livres religieux et son journal. (…) C’était un chercheur de la Vérité. J’avais la conviction, enracinée au plus profond de moi, qu’il ne m’induirait jamais volontairement en erreur et me confierait toujours ses pensées les plus intimes. Dans mes moments de crise spirituelle, il était donc mon refuge. »

Le jeune Mohandas n’a pas l’étoffe d’un héros. Enfant, il a un sommeil anxieux. Jeune avocat, il souffre d’une sévère timidité qui le handicape dans l’exercice de son métier.

Le livre est principalement consacré à son séjour de plus de vingt ans en Afrique du Sud, de son arrivée en 1893 pour défendre au tribunal les intérêts d’un homme d’affaires indien jusqu’à son retour définitif  en Inde en 1915, après plusieurs campagnes de défense des intérêts de la communauté indienne du Natal victime de la discrimination. Comme Mandela, Gandhi est profondément un juriste. Il exerce d’abord sa profession comme un banal avocat d’affaires. Il met ensuite sa capacité à disséquer les lois et règlements de l’Administration ennemie, au service d’une cause.

Le moteur qui anime Gandhi, c’est sa permanente angoisse existentielle. C’est elle qui l’anime à passer des nuits de discussion passionnée avec des dizaines de gens de rencontre qui deviennent des amis à la vie et à la mort. C’est elle qui l’amène à ne jamais affirmer quelque chose sans l’avoir vérifié et documenté. C’est elle qui l’amène à voir dans l’adversaire quelqu’un dont le rôle et les actions peuvent être détestables mais qui reste une personne respectable, capable du pire mais aussi du meilleur.

Il porte en lui de profondes contradictions. C’est ainsi qu’il est viscéralement allergique à la viande et au lait jusqu’à en faire un interdit absolu pour sa vie et celle de ses proches. Mais en même temps, il fréquente des chrétiens et des musulmans et s’efforce de comparer leurs religions à la sienne dans un esprit de tolérance et d’ouverture. Habitué à vivre au milieu d’autres civilisations, rompu au dialogue, il impose pourtant comme un tyran à sa famille ses propres règles : il refuse d’envoyer ses enfants à l’école et à l’université, ce que son fils aîné ne lui pardonnera pas ; il vend au profit de ses actions militantes les bijoux offerts à son épouse lors de leur adieu à l’Afrique du Sud ; il prend le risque de refuser les médecines occidentales lorsque celle-ci tombe malade, au péril de sa vie.

La philosophie de Gandhi est connue : Ahimsa (non violence), Satyagraha (force de la vérité, résistance passive),  Brachnachanya (vœu d’abstinence, de distanciation des passions, de purification). « Il n’y a d’autre Dieu que la Vérité. Le seul moyen pour réaliser la Vérité est la non-violence. Ma dévotion pour la Vérité m’a conduit dans le champ de la politique ; ceux qui disent que la religion n’a rien à voir avec la politique ne savent pas ce que religion veut dire. Dieu ne peut jamais être réalisé par quelqu’un qui n’est pas pur de cœur. Pour atteindre la pureté parfaite, on doit devenir absolument libre de toute passion en pensée, en parole et en action, de manière à s’élever au dessus des courants contradictoires de l’amour et de la haine, de l’attachement et de la répulsion ».

Mohandas Karamchand Gandhi est mort assassiné en 1948 par un Hindou fanatique qui ne pouvait accepter son refus de la partition du continent indien selon le critère religieux. Ses angoisses et ses contradictions auraient pu le paralyser. Ils l’ont galvanisé au point d’en faire l’une des personnalités les plus marquantes du vingtième siècle.