Les monnaies locales se multiplient

 

Lancement de la « Miel » à Libourne. Photo Sud-Ouest

 

Ces derniers jours, le journal Sud-Ouest a annoncé la création simultanée de deux monnaies locales, à Libourne et au Pays Basque.

 « Transhumances » a relaté la création de monnaies locales dans une favela brésilienne, Conjunto Palmeiras, et dans une métropole européenne, Bristol. On assiste en France à une profusion d’initiatives de ce type.

 A Libourne, le groupe « Libournais en transition » (Trans’Lib) vient de lancer La Monnaie d’Intérêt Economique du Libournais : la « Miel ». Le dépliant de l’association souligne qu’en Europe la Suisse, l’Allemagne et le Royaume Uni restent les plus grands utilisateurs du système. En Allemagne, Chiemgau sert de vitrine à ceux qui, ailleurs, veulent se lancer. La Miel de Libourne a pris pour modèle l’Abeille de Villeneuve sur Lot. Mais il faut aussi mentionner la Bogue et les Lucioles en Ardèche, la Mesure à Romans (Drôme), l’Occitan à Pézenas (Hérault) et le Sol violette à Toulouse.

 Le principe de ces monnaies est toujours le même. L’émetteur crée un titre de paiement analogue aux tickets restaurant ou aux chèques cadeaux, accepté par des commerçants de la zone. Les Euros remis pour acheter les monnaies locales sont déposés dans une banque, ce qui garantit leur convertibilité. Une fois mise en circulation, la monnaie locale a la même parité que l’Euro. Un droit d’adhésion est demandé aux particuliers et aux commerçants. Une commission est prélevée sur la conversion, par les commerçants, de leur excédent de monnaie locale.

 La « Miel » comporte une caractéristique singulière : la monnaie se déprécie de 2% tous les six mois. Les « Miels » non dépensées au terme de ce délai sont échangées en Euro avec une décote, ou conservées avec un timbre d’une contrevaleur égale à la dépréciation. Trans’Lib met le doigt ici sur une caractéristique de la monnaie : plus elle circule vite de main en main, plus la richesse de la communauté s’accroit. La pénalité de 2% vise à décourager la thésaurisation.

 Dans le Pays Basque, c’est l’Eusko qui est en phase de lancement. Ici, c’est la conversion de la monnaie locale en Euro que l’on cherche à dissuader : une taxe de 5% frappe les commerçants qui se défont de leurs Euskos, dont 3% au profit d’associations et 2% au titre de frais de gestion.

 Aucune monnaie locale en Europe ne représente un pourcentage significatif du produit intérieur brut de leur zone de chalandage. Dans le cas d’une communauté pauvre comme Conjunto Palmeiras, l’accroissement de la vitesse de la monnaie a une directe incidence sur le produit intérieur brut, en vertu de l’équation selon laquelle celui-ci est égal au produit de la masse monétaire par la vitesse de circulation.

 En Europe, les monnaies locales relèvent en grande partie d’un acte militant, tant du point de vue des particuliers que des commerçants. Les uns et les autres adhèrent par patriotisme local ou régional. Les citoyens entendent développer les circuits courts de proximité et valoriser l’échange et le lien social. Les entreprises souhaitent améliorer leur image de marque en l’associant au territoire. D’une manière plus immédiate, les consommateurs bénéficient parfois de réductions quand les produits et services sont pays en monnaie locale, et les commerçants espèrent fidéliser leur clientèle. Mais ces avantages matériels pèsent peu au regard des cotisations initiales et des frais de conversion de la monnaie locale en Euro.

 Trans’Lib cite le chiffre de 5.000 systèmes de monnaies locales au niveau mondial. C’est donc à un phénomène de société d’ampleur planétaire que l’on assiste. L’émergence des monnaies locales est un fruit de la mondialisation, parce qu’elle se répand rapidement d’un pays à l’autre et parce qu’elle s’appuie sur des monnaies internationales, telles que l’Euro. Mais c’est aussi une réaction à la mondialisation parce qu’elle favorise la focalisation sur les réalités et les intérêts des territoires.

A La Réunion, le Musée Léon Dierx a cent ans

Musée Léon Dierx. Photo « transhumances »

A Saint Denis de La Réunion, le Musée Léon Dierx a célébré ses cent ans le 12 novembre dernier.

 Installé rue de Paris, dans l’ancien évêché de Saint Denis de La Réunion, le musée est principalement consacré aux peintres métropolitains et créoles du dix-neuvième siècle. Il a été rénové en 1965 : la maison en bois fut détruite, la façade en pierre fut remplacée par une façade identique en béton.

  Sa collection comprend principalement des œuvres achetées il y a 100 ans, lors de la fondation, et une donation de Lucien Vollard, le frère d’Ambroise Vollard. Créole de La Réunion, ce dernier assura la promotion d’artistes innovateurs au début du vingtième siècle, au nombre desquels Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Matisse ou Picasso. Parmi les sponsors de la première heure, on relève le nom d’Odilon Redon, peintre bordelais époux de la sœur de Juliette Dodu, patriote réunionnaise dont une rue de Saint Denis porte le nom.

 Le musée est petit et les collections n’ont rien d’exceptionnel. Toutefois, l’exposition consacrée à la peintre réunionnaise Gabrielle Manglou, née en 1974, réserve une excellente surprise. L’artiste a utilisé des images anciennes de la Réunion, telles que des lithographies, et leur a redonné vie en leur donnant une nouvelle profondeur. Les traits sont prolongés hors du cadre, des volumes se réfléchissent sur le mur portant les toiles, les couleurs trouvent leur écho dans un arc en ciel hors du canevas. Gabrielle Manglou est une artiste créative et pétillante. Le cabinet d’exposition temporaire du musée Léon Dierx ne doit pas excéder 20 m². Il a le mérite d’offrir une plateforme à des artistes réunionnais de talent.

 

Gabrielle Manglou au Musée Léon Dierx. Photo « clickanou »

Le petit train de Lacanau

Fresque de l’Escoure, par Frédéric Hauselmann

Le livre de René Magnon, « Lacanau-Océan a cent ans, 1906 – 2006 » constitue une mine d’information sur l’histoire de cette station créée à partir de rien par de entrepreneurs visionnaires. Le chemin de fer y joua un rôle essentiel.

 L’une des premières illustrations du livre présente une carte du Médoc de 1604.  On y voit, en contrebas de la dune littorale ancienne et parallèle à la côte, « l’étang doux de Médoc de cinq lieues de long et une de large » (environ 22 km sur 4). Cet espace marécageux, de profondeur variable, inclut ce que sont aujourd’hui les lacs de Carcans – Hourtin et de Lacanau. Des paroisses le bordent. Certaines sont reconnaissables aujourd’hui : Carcans, Lacanau, Le Porge. Hourtin n’est pas mentionné. Taris, Talaris, Cartaignac ne sont plus maintenant que des lieux-dits.

 Jusqu’au dix-huitième siècle, c’était une zone de pâturages, où les troupeaux étaient veillés par des bergers souvent montés sur des échasses. La malaria, maladie des paluds (marécages), sévissait. A partir de 1817, l’Etat entreprit un gigantesque programme d’ensemencement de pins maritimes, dont l’objectif était de produire de la résine pour l’industrie chimique  et du bois, en particulier des poteaux pour l’industrie minière ; il était aussi de contribuer au bien-être de la population par l’assainissement et la création d’emplois.

 Lorsqu’en 1894 un propriétaire de Lacanau, Pierre Ortal, développa le projet de construire sur la dune une station touristique, le projet paraissait insensé. Certes, Soulac et Arcachon attiraient déjà des vacanciers, mais la première était proche de l’estuaire de la Gironde et la seconde sur le Bassin d’Arcachon, deux emplacements logiques. Lacanau n’était « nulle part ». On y accédait à dos de mules par des chemins forestiers. On construisit une ligne de chemin de fer de Lacanau à l’Océan, prolongeant ainsi les lignes qui reliaient déjà Lacanau à Bordeaux, Lesparre et Arès. Elle fut inaugurée en 1906 et ce fut le point de départ de la station. La route, quant à elle, ne fut ouverte que quatre ans plus tard.

 Le trajet de Bordeaux à Lacanau Océan par le petit train durait 3 heures. Le convoi se composait de voitures de première, seconde et troisième classes, d’un fourgon avec un compartiment aménagé pour le service de la poste et parfois un wagon à bestiaux, car durant les grandes vacances les chevaux suivaient leurs maîtres. En 1908 furent mises en service seize voitures aux jolies portières arrondies achetées au Metropolitan Railway de Londres. Chaque compartiment s’ouvrait par une porte donnant sur le quai.

 Le petit train de Lacanau dépérit peu à peu après la seconde guerre mondiale, supplanté par la route. La fin de l’exploitation fut décidée en 1961. L’emprise de la voie ferrée est maintenant occupée par une piste cyclable départementale qui va jusqu’à Bordeaux.

Bristol Pound

 

L'affiche du lancement de la livre de Bristol

 

La ville de Bristol vient de lancer sa monnaie locale : la livre de Bristol, Bristol pound.

 La livre de Bristol est émise par une « credit union », l’équivalent d’une caisse de crédit mutuel. Les usagers peuvent y ouvrir un compte sur la base de la parité : 1 livre sterling est convertie en 1 livre de Bristol. Ils peuvent payer en Bristol pound des biens et des services proposés par des commerçants qui l’acceptent, plus d’une centaine actuellement. Elle prend la forme de coupures de £1, £5, £10 et £20, mais elle peut aussi être utilisée électroniquement pour payer des factures, par ordinateur ou depuis un téléphone portable. Puisque la Bristol Credit Union est homologuée par le régulateur bancaire, la FSA, les déposants jouissent d’une garantie de leurs avoirs jusqu’à 85.000 livres par personne.

 L’objectif de cette monnaie est de retenir dans l’économie locale une part plus grande des revenus qu’elle génère. Les commerçants espèrent que les acheteurs se tourneront vers eux pour écouler leur monnaie locale. Les consommateurs agissent par patriotisme régional : ils entendent participer à une initiative qui stimule l’économie de leur ville. Autre argument ; s’ils utilisent un compte électronique libellé en Bristol pound, ils reçoivent une prime de 5 livres pour 100 livres déposées.

 D’autres villes britanniques ont mis au point un système semblable : Totnes, dans le Devon, se lança en  2006. Bristol a plusieurs atouts : sa taille, le soutien d’une « credit union » et celui de la municipalité, ainsi que la coexistence d’une forme papier et d’une forme scripturale.

 « Transhumances » a rendu compte en novembre 2009 de l’expérience de la Banque Palmas qui gère une monnaie locale dans le périmètre d’une favela, le Conjunto Palmeiras. L’objectif était de créer de la richesse en partant du principe que le produit brut d’un territoire est le produit de la masse monétaire par sa vitesse de circulation. En faisant circuler très vite une monnaie dans un espace restreint, on accroit le revenu de ses producteurs et de ses consommateurs. Les initiateurs de la Bristol pound évoquent l’effet multiplicateur de la circulation de la monnaie locale. Les objectifs sont toutefois modestes : 125.000 Bristol pounds en circulation aujourd’hui, et un objectif de 500.000 dans un an qui ne représente qu’une fraction infime de la monnaie en circulation dans la région. Mais l’effet symbolique est considérable : Bristol rejoint d’autres grandes métropoles, comme Hambourg ou Toronto, dans le club des villes avides d’innovation sociale et décidées à la faire advenir.

Coupures de Bristol pound