Les Neiges du Kilimandjaro

Darroussin et Ascaride dans "Les Neiges du Kilimandjaro"

« Les Neiges du Kilimandjaro », film de Robert Guédiguian (2011), est inspiré du poème « les pauvres gens » de Victor Hugo.

  Dans ce poème, qui fait partie de la Légende des siècles, Jeannie craint, cette nuit comme toutes les nuits, pour la vie de son mari parti sur la barque pour pêcher. « Lui, songe à sa Jeannie au sein des mers glacées. / Et Jeannie en pleurant l’appelle ; et leurs pensées / Se croisent dans la nuit, divins oiseaux du cœur. » Au petit matin, Jeannie va sur la grève tenter d’apercevoir l’embarcation. Sur le chemin du retour, elle se rend compte que sa voisine, veuve, vient de mourir en laissant deux tout-petits abandonnés. Elle les prend chez elle. Elle craint la réaction de son mari : n’ont-ils pas déjà cinq enfants à nourrir ? « Déjà dans la saison mauvaise, on se passait de souper quelquefois. » La nuit était mauvaise, le pêcheur n’a rien pris. Il urge pourtant Jeannie d’aller chercher les enfants. « Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà. »

 Comme Jeannie et son mari, Marie-Claire (Ariane Ascaride) et Michel (Jean-Pierre Darroussin) s’aiment depuis trente ans d’un profond amour. Ce sont des purs. Michel est militant à la CGT. Dans la première scène du film, on le voit présider un tirage au sort qui va déterminer les victimes d’un licenciement économique. Il s’inclut dans le lot. Le voici préretraité, sans vraiment de projet sinon celui d’être plus présent auprès de ses petits enfants et de monter une pergola dans le jardin de son fils. Famille et amis organisent une fête dans la cour des locaux de la CGT pour fêter les trente ans de mariage de Marie-Claire et Michel. Tous reprennent en cœur la chanson « les neiges du Kilimandjaro » de Pascal Danel. C’est que le cadeau est un voyage en Tanzanie sur les pentes du volcan. C’est le bonheur. Ce sont les mères adorant l’enfance épanouie, les baisers de la chair dont l’âme est éblouie, les chansons, le sourire, l’amour frais et beau qu’évoque Hugo dans son poème.

 Et puis, un soir de jeu de cartes entre Marie-Claire, sa sœur Denise, son beau-frère Raoul et Michel, tout s’effondre. Des truands font irruption sous la menace de leur arme, les ligotent, leur extorquent l’argent du voyage au Kilimandjaro et leurs codes de carte bancaire. Michel ne tarde pas à se rendre compte que l’un d’entre eux, Christophe, est un ouvrier licencié en même temps que lui. Il le dénonce, le fait arrêter.

 Christophe a organisé le vol à main armée pour payer ses dettes et faire vivre ses deux jeunes frères. Il n’y a pas de père ; la mère entend vivre sa vie de femme sans contraintes. Christophe emprisonné, les gosses sont à l’abandon. Un sentiment de culpabilité pèse sur les épaules de Marie-Claire et Michel. Comme le pêcheur et sa Jeannie dans les Pauvres Gens avaient accueilli Guillaume et Madeleine, Marie-Claire et Michel arrivent ensemble à la conclusion qu’évidemment ils accueilleront Jules et Martin, les frères de Christophe. Dans le pardon, dans le pur altruisme, ils retrouvent leurs racines et peuvent aller de l’avant.

 A ce point, l’histoire pourrait être celle de héros anonymes, ceux qui ont l’avenir dans leurs mains jointes. Mais leur héroïsme a-t-il un avenir ? Christophe, le père de famille par défaut  devenu truand faute de mieux n’a que mépris pour Michel, ce syndicaliste minable qui n’a été capable d’imaginer qu’un tirage au sort pour gérer la mise au chômage de ses camarades, cet ouvrier exemplaire qui a pu s’acheter sa maison et va toucher le chômage et des indemnités de licenciement, se convertissant ainsi en petit bourgeois. Pire encore, Flo et Gilles, les enfants de Marie-Claire et Michel, sont révoltés par leur attitude : alors que la vie est déjà si dure et si étroite, pourquoi leur imposer de partager le peu qu’il y a ? Et pourquoi avoir renoncé au Kilimandjaro, alors que la collecte de fonds pour le voyage avait représenté un effort pour la famille et les amis ? Dans Télérama, Louis Guichard exprime ce jugement cruel : « la dernière génération de personnages (de Guédiguian), toute à sa survie, n’a plus les moyens d’être altruiste. A peine ceux d’être honnête. ».

 La chanson de Pascal Danel parle d’un homme qui va mourir enseveli sous les neiges du Kilimandjaro. Le poème de Victor Hugo contemple, lui aussi, la mort. « Hélas ! Aimez, vivez, cueillez les primevères, / Dansez, riez, brûlez vos cœurs, videz vos verres, / Comme au sombre océan arrive tout ruisseau, / Le sort donne pour but au festin, au berceau, / Aux mères adorant l’enfance épanouie, / Aux baisers de la chair dont l’’âme est éblouie, / Aux chansons, au sourire, à l’amour frais et beau / Le refroidissement lugubre du tombeau ! »

 La force du film de Robert Guédiguian, c’est qu’il ne choisit pas son camp. Par solidarité générationnelle, il s’identifie évidemment avec ses héros Astaride / Darroussin. Mais il n’exclut pas, comme Christophe, Flo et Gilles, que ceux-ci soient en train, eux-mêmes et leurs idéaux, de glisser vers leur tombe.

En famille avant le drame

La Part des Anges

 

Avec La Part des Anges, Ken Loach nous propose une réjouissante comédie qui opère la transsubstantiation du moût fétide de vies prolétaires en un divin whisky.

  Dans la première scène du film un homme que l’on devine simple d’esprit marche en équilibre sur l’arête du quai d’une gare pendant qu’un train s’approche. D’un haut parleur, une voix lui ordonne de se reculer ; il recule en effet, jusqu’à tomber sur la voie. Robbie, Rhino, Albert et No, les héros de La Part des Anges, sont eux aussi en permanence sur le fil du rasoir, menacés d’être écrasés par la violence qui passe, sommés par une autorité anonyme de rentrer dans le rang.

 Ils comparaissent tous les quatre le même jour face à un tribunal correctionnel qui les condamne à des travaux d’intérêt général. Chaque matin, un minibus les emmène à une salle des fêtes à repeindre ou un cimetière à nettoyer. Leur superviseur, Harry (John Henshaw) croit profondément en la possibilité d’une rédemption. Il a une passion, le whisky. Sur son temps libre, il emmène sa troupe de pieds nickelés à une séance de dégustation et à une visite de cave. Robbie (Paul Branningan) se découvre un talent de goûteur. Il organise avec ses nouveaux amis, déguisés en association écossaise de promotion du whisky, un raid sur le contenu d’un tonneau qui se vend aux enchères pour un million de sterlings. Cette ultime mauvaise action a des relents de Robin (ou Robbie) des Bois, prendre aux riches pour distribuer aux pauvres ; elle permet surtout à Robbie d’échapper à son destin de chômeur et d’accéder à un vrai emploi.

 La part des anges, c’est la part du whisky qui s’évapore et que personne ne boira jamais. Robbie n’est pas un ange. La procédure de condamnation à des travaux d’intérêt général lui impose une confrontation à sa victime, et c’est à glacer le sang : l’homme qu’il a sauvagement agressé, sans raison, restera handicapé à vie. Les anges, ce sont Luke, le bébé né de l’union de Robbie et de Leonie, venue d’une classe sociale supérieure, tiraillée entre son amour et l’ostracisme de son père. C’est aussi Harry, auquel Robbie laissera une bouteille de soda remplie de l’inestimable whisky accompagnée d’un billet « la part des anges ; merci de m’avoir donné une chance ».

 L’idée du scénariste Paul Laverty est puissamment originale. Je suis loin d’avoir compris tous les dialogues, dits dans le patois et avec l’accent de Glasgow. Mais je suis sorti du cinéma avec un bienfaisant sentiment d’optimisme.

Le rebond de l’industrie automobile britannique

 

Usine Jaguar à Birmingham. Photo The Guardian.

Alors que les difficultés de PSA font la une de l’actualité en France, l’industrie automobile britannique connait une croissance impressionnante.

 L’ancien président Sarkozy aimait affirmer que la Grande Bretagne n’avait plus d’industrie. Ce qui se passe dans le secteur automobile semble lui donner tort. Il est vrai que le pays ne produisait plus que 1,3 million de véhicules par an en 2001, après un maximum de 2 millions en 1977. Mais il est à peu près certain que le cap des 2 millions sera dépassé en 2015. La tendance est positive : la production était de 11,8% plus élevée sur les 4 premiers mois de 2012 que sur la même période l’an dernier.

 Il est vrai que la Grande Bretagne n’a plus d’industrie automobile nationale, au sens de la propriété du capital : Jaguar Land Rover appartient à l’Indien Tata, Mini à l’Allemand BMW, Vauxhall à l’Américain General Motors. Pourtant, nous assistons à une succession d’annonces d’investissements dans ce secteur. BMW a décidé de produire à Birmingham ses voitures de sport hybrides i8. Jaguar Land Rover a créé à Wolverhampton une usine de production de moteurs avec 750 emplois et ouvre des emplois dans ses usines de Solihull et Halwood près de Liverpool. General Motors a annoncé la continuité de son site d’Ellesmere Port, préservant 2.100 emplois et en créant 700 nouveaux. Nissan et Honda renforcent leur présence.

 Les ingrédients de ce succès sont la politique industrielle, la spécialisation sur le haut de gamme et la qualité des relations sociales.

 Le Gouvernement de Gordon Brown et maintenant la coalition des Conservateurs et des Libéraux Démocrates ont proclamé leur intention de réindustrialiser le pays et n’ont pas hésité à y mettre les moyens, comme la levée de fonds profitant du triple A de l’Etat britannique. Le faible cours du sterling les a aidés dans ce projet.

 L’industrie automobile britannique s’est spécialisée sur des modèles qui font l’envie des élites de pays tels que la Chine. Une Jaguar, une Range Rover, une Mini se vendent bien à la grande exportation. L’industrie nationale s’est aussi spécialisée sur les segments d’avenir, tels que l’électrique. La cotation des titres des compagnies peut se faire à New York, New Delhi ou Francfort ; les bureaux d’étude sont notamment à Birmingham parce qu’est là que se trouvent les ingénieurs les plus performants.

 Enfin, les relations sociales sont probablement plus imaginatives et moins bloquées qu’ailleurs. Les dirigeants de Jaguar Land Rover considèrent qu’il est logique d’investir dans l’entreprise maintenant que les choses vont bien, alors que pendant la crise financière de 2008, les travailleurs avaient accepté 70 millions de sterlings de sacrifices pour soutenir l’entreprise dans une conjoncture défavorable.  Dans Le Monde du 20 juillet, Eric Albert indique que « General Motors a annoncé, en mai, un investissement de 150 millions d’euros dans son usine Vauxhall après un accord voté à 94% par les 2.200 salariés. Celui-ci prévoit le gel des salaires pendant deux ans, suivi d’une hausse pendant les deux années suivantes légèrement supérieure à l’inflation. A cela s’ajoute la mise en place d’une « banque d’horaires » ; pendant les périodes creuses, les salariés ne travailleront pas et seront payés normalement ; en échange, pendant les pics, leurs heures supplémentaires ne seront pas payées, dans la limite du nombre d’heures qu’ils avaient en réserve. »

 Contrairement aux idées reçues, il reste une industrie automobile en Grande Bretagne, et elle est en plein expansion. Le ministère français du Redressement Productif pourrait y trouver des références utiles.

Résilience

Photo "transhumances"

Les vacances offrent une occasion de rencontres. Parfois alors la vie des autres se mêle à la nôtre. Une vie souvent difficile, dont chaque moment est fait de minuscules combats. La résilience des êtres humains, quel que soit leur âge, est admirable.

 Une jeune femme trentenaire décide de tourner le dos à un mariage de sept ans, sans amour et stérile. Epuisée, elle tombe en dépression. Pourtant, elle se prend en mains, elle loue et aménage un appartement, trouve un autre travail, change la couleur de ses cheveux. On la sent fragile, mais aussi résolue et courageuse.

 Un homme octogénaire assiste au délabrement de son corps, dont les organes menacent un par un de le lâcher. Il affronte la perspective d’être diagnostiqué d’un cancer de l’intestin grêle, mais a décidé de refuser la chimiothérapie. Il lutte pour conserver le contrôle de sa vie, et celui de sa mort.

 Un petit garçon de quatre ans comprend qu’il n’est une priorité ni pour son père, un homme faible et inconsistant, ni pour sa mère qui, après l’échec de son mariage, entend vivre pleinement sa vie de femme. Il est balloté entre nourrice, grands-parents, marraine. La vie se présente à lui comme une pente raide.