Le ministre de la Justice Gérald Darmanin a récemment annoncé un plan « zéro portable » pour rendre six établissements pénitentiaires totalement étanches au trafic de téléphones portables.
Les établissements concernés sont la Santé (Paris), Arras, Dijon, Toulouse, Toulon et Rennes. Divers moyens seront utilisés : à l’entrée dans les établissements, des portiques millimétriques ; dans les cours de promenade, des filets surplombants et des dispositifs antidrones ; aux fenêtres des cellules, des caillebotis renforcés pour empêcher les transferts d’objets par des « yoyos » d’une fenêtre à l’autre.
Le coût de l’opération est de 29 millions d’euros pour six établissements. Généralisée à l’ensemble des prisons françaises, il approcherait le demi-milliard d’euros. L’investissement est-il justifié ? En vaut-il la peine ?
Il est établi que des caïds du narcotrafic et du crime organisé utilisent leurs téléphones portables pour gérer, depuis la prison, leurs affaires à l’extérieur, préparer leur évasion, voire commanditer des assassinats. Combien sont-ils ? À combien d’entre eux appartenaient les 80 000 téléphones portables saisis en 2024 ?
En réalité, dans l’immense majorité des cas, c’est pour maintenir le contact avec le conjoint, les enfants et les proches que les personnes détenues se procurent un téléphone. Dans beaucoup de cellules, des appareils fixes permettant d’appeler une liste de numéros autorisés ont été installés. Mais leur coût est prohibitif, selon un avis du Contrôle général des lieux de privation de liberté publié au Journal Officiel le 3 décembre 2024. Par exemple, si un détenu souscrit un abonnement de 20€, une communication de 20 minutes vers un téléphone portable lui coûtera 3,20€ vers la France métropolitaine et 18€ vers l’Outre-mer.
Il faut ajouter qu’outre les téléphones indétectables aux portiques, beaucoup de personnes détenues se procurent des smartphones, qui leur permettent de communiquer visuellement avec la famille, de faire des démarches en ligne, de recevoir et d’envoyer des courriels.
Le plan « zéro portable » s’inscrit dans la logique d’imposer le même niveau de sécurité, le plus élevé, à celui qui a volé à l’étalage et au parrain d’un réseau mafieux. Tous, qu’ils soient ou non dangereux pour la société, verront les fenêtres de leurs cellules encore plus obscurcies par les caillebotis. Pour tous, le budget de l’État installera des brouilleurs (un million d’euros par établissement), des filins recouvrant les cours de promenade, des portiques ultrasensibles. Si l’on ne différencie pas le niveau de contrainte imposé eux personnes détenues selon leur de dangerosité, on fabrique inutilement des gens frustrés à force d’isolement et on engage un montant astronomique de fonds publics.
Comment aller vers davantage de différenciation ? La première mesure consisterait à réserver la prison à des personnes qui représentent un vrai risque pour la société. Ceci implique de multiplier les peines alternatives à la prison, ainsi que les aménagements de peine pour ceux qui ont été condamnés et peuvent se réinsérer.

À court terme, pourquoi ne pas autoriser la possession de téléphones et de smartphones aux personnes détenues dans les « quartiers de confiance » ? Elles sont choisies en fonction de leur capacité à respecter des règles, et leur engagement est consigné dans un contrat avec l’administration pénitentiaire.
Pourquoi, au lieu d’investir de nouveau sur le bâti pénitentiaire, ne pas mettre une priorité sur l’accès des personnes détenues au numérique ? Ne pourrait-on pas imaginer des salles de conversation dans lesquelles des personnes détenues auraient un accès contrôlé à Internet, leur permettant de converser visuellement avec leurs proches, d’envoyer et recevoir des courriels, de faire des démarches en ligne ?
En appeler sans cesse à plus de sévérité, faire la guerre aux téléphones portables en prison, prend dans le sens du poil une partie de l’opinion publique. Cette démagogie a pour résultat une explosion de la dépense publique pénitentiaire dans un contexte général d’austérité. Elle accroît le sentiment de « haine » parmi les prisonniers, en particulier les plus jeunes, et fabrique une bombe à retardement opposée à la sécurité qu’elle est censée conforter.
C’est une approche plus complexe, plus différenciée, plus confiante dans la possibilité de changement des personnes, qu’il faudrait maintenant mettre en œuvre.
