La publication de photos du petit Aylan Kurdi, retrouvé noyé sur une plage turque, provoque une onde de choc dans les opinions européennes.
Il y a un mois, « transhumances » évoquait le livre de Frédéric Boyer : « quelle terreur en nous ne veut pas finir ?» L’auteur criait son indignation devant la massive indifférence de l’opinion française face au drame des réfugiés. Sa voix était celle du prophète qui crie dans le désert.
La publication dans tous les journaux du monde des photos du cadavre d’un petit garçon de trois ans retrouvé échoué sur une plage turque, a soudain obligé l’opinion à voir le drame qui se joue chez elle. « Accueillez-nous, le grand défi de l’Europe », titre Paris-Match. Il y a quelques semaines, l’engagement du gouvernement d’accueillir 24.000 migrants aurait soulevé une tempête de protestations : pourquoi accueillir des étrangers alors qu’il y a tant de chômage et de misère chez nous ? Aujourd’hui, ce chiffre semble ridicule, comparé au demi-million de réfugiés arrivés en Allemagne depuis le début de l’année.
Les politiciens partisans de faire de la France une forteresse contre les invasions barbares se trouvent, provisoirement sans doute, en difficulté. Dans l’émission de France Inter « si t’écoutes j’annule tout », l’humoriste Guillaume Meurice s’en donne à cœur joie. Il demande à un maire Front National qui refuse de participer au plan d’accueil des 24.000 s’il n’y a pas de contradiction entre son attitude et les valeurs chrétiennes, pourtant inscrites dans la charte de son parti. Il commente la décision d’un maire « Républicains » de n’accueillir que des réfugiés chrétiens par un retournement du précepte évangélique : « triez-vous les uns les autres ! »
Le regard des Français sur les réfugiés a changé, peut-être de manière éphémère, et de nombreux bénévoles s’impliquent dans leur accueil. En Allemagne, le phénomène a la puissance d’un tsunami. Les citoyens s’organisent pour accueillir les réfugiés, comme ils se sont mobilisés pour faire cesser le nucléaire civil malgré les intérêts industriels et financiers. L’État fédéral, de son côté, voit d’un bon œil ce brusque afflux de population. L’Allemagne est en effet menacée d’un grave déficit démographique. L’entrée soudaine de centaines de milliers d’hommes et de femmes jeunes pour la plupart avec leurs enfants constitue une opportunité, d’autant plus que ce sont les plus audacieux, les plus déterminés, les plus énergiques, souvent les plus instruits et qualifiés, qui quittent les leurs pour affronter l’aventure.
La vague de sympathie va retomber et les vagues de la Méditerranée vont continuer à chavirer les rafiots où s’entassent les réfugiés. Mais personne ne pourra plus dire que les réfugiés ne sont pas notre problème et qu’il suffit de hisser le pont-levis pour nous en protéger.
One comment
Gueuret Agnès
14 septembre 2015 at 9h02
Cher Xavier, merci de relayer notre indignation. De mon côté je participe à une écriture à plusieurs intitulée : « les sans papiers et la mer » L’ambition de Jean Foucault est de rassembler « cent papiers » pour alerter l’opinion. Voici ce papier que j’ai écrit le 1° août et qui paraîtra avec les 100 autres en octobre ou novembre; je t’en donne la primeur :
Ma contribution au livret de Jean Foucault :
« Les sans papiers et la mer ».:
En Méditerranée, être mère
Sur le fond du bateau,
à même le bois dur,
je me suis endormie.
Sur mon ventre arrondi,
j’avais posé ma main :
le cœur de mon enfant
battait très doucement.
Hier, le feu des bombes,
les treillis militaires,
les armes, la terreur !
Mon père enseveli
sous les gravats de la maison
et ma mère affolée
qu’une balle a fauchée,
là, sous mes yeux !
Un voisin m’a saisie
dans ses bras vigoureux.
Je ne sais plus par quel chemin j’ai joint le port.
Une voix a crié : « D’abord les femmes ! »
et je fus embarquée,
mais j’avais vu l’échange
des billets dans les mains
du passeur insolent :
qui donc avait payé pour moi ?
La barque tangue.
Autour, la mer immense ;
plus près, des femmes, des enfants
– le regard terrifié –
et moi, au beau milieu, sans savoir où je vais,
m’accrochant à la branche
de la vie qui m’habite :
Oui !
pour mon enfant j’irai
jusqu’au bout de la terre,
jusqu’au bout de la mer !
Le bourgeon sur la tige
n’a pas choisi de naître.
Lui non plus, il ne sait
d’où il vient, où il va
mais je le porte en moi.
Pour se défendre,
la rose a ses épines
pour se nourrir, la sève
qui lui vient de la terre.
Où sont mes armes
moi qui vais exilée,
affamée, anonyme ?
Oh ! Mes racines,
ma terre, mon pays,
pourquoi vous ai-je fui ?
Dans le désert immense
de la mer agitée,
la barque tangue.
Tout haut je rêve
et mon sommeil
n’est qu’un instant de répit non de paix !
La Méditerranée engloutit tant de gens !
« Pour l’enfant, je veux vivre ! » :
mon cri se lève
aussi haut que les vagues !
J’en appelle à mes frères
de par les océans, les terres :
Non !
Il n’est pas possible
que triomphe la haine
ou pire encore,
la négligence aveugle
de ces européens nantis
qui craignent pour eux-mêmes
sans voir et sans comprendre !
Mon fils est-il
un missile, une bombe ?
Un vent fort ce jour-là régnait.
On aurait dit un soc d’araire
fendant les eaux en sillons très profonds :
nul ne vit de la rive
l’embarcation sombrer.
Ils étaient cent,
ils étaient mille,
il y avait l’enfant
qui grandissait en paix
dans le sein de sa mère.
Agnès Gueuret
Le 1° août 15
De toute mon amitié,
Agnès