L’horreur brute de l’Alzheimer

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La journaliste de The Guardian Amelia Gentleman a rendu compte le 2 juin du livre dans lequel Andrea Gillies raconte l’enfer des deux ans consacrés à soigner sa belle-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. http://www.guardian.co.uk/lifeandstyle/2010/jun/01/andrea-gillies-mother-in-law-alzheimers.

« Se lever chaque matin, quand vous avez la maladie d’Alzheimer, cela fait penser à un film d’horreur amnésique. C’est ce que suggère Andrea Gillies dans son récit puissant et perturbant des deux ans qu’elle consacra à s’occuper de sa belle-mère Nancy, en proie à une démence galopante.

Nancy s’éveille pour découvrir qu’elle a pris 50 ans en une nuit, que ses parents ont disparu, qu’elle ne connaît pas la femme dans le miroir et qu’elle n’a jamais vu la série de pièces et de meubles que chacun autour d’elle déclare avec insistance être sa maison, écrit Gillies dans Keeper (Short Books, 2010).

Passer de la santé mentale à l’oubli induit par l’Alzheimer est comme franchir le miroir d’Alice, explique Gillies ; et la période qui provoque la plus grande détresse est quand vous passez d’un côté à l’autre. Nancy avait un pied à travers du miroir et elle ne pouvait pas réconcilier les deux mondes, la réalité de la démence et la vie normale. C’était de la science fiction d’une certaine manière.  Des gens complètement étrangers venaient dans la maison et disaient : comment vas-tu aujourd’hui ? Pourquoi n’irions nous pas nous promener ? Evidemment votre réaction normale est « de quoi me parlez-vous ? Je n’ai aucune idée de qui vous êtes ».

Dans son livre, Andrea raconte comment elle est arrivée à la conclusion que sa généreuse décision de prendre Nancy chez elle fut une erreur, qui la conduisit elle-même à la dépression. Sortie de son cadre, un pied de chaque côté du miroir, Nancy ressentit une angoisse croissante qui s’exprima dans un comportement de plus en plus agressif et rebelle incluant le rejet des règles d’hygiène. « Gillies dut expliquer à son fils de 10 ans que la femme qui se déplaçait dans le corps de sa grand-mère « n’est plus vraiment ta grand-maman, mais quelqu’un qui a été envahi par la maladie ». « Ce sont des mots terribles à dire. Mais c’est la seule manière d’expliquer pourquoi une grand-maman qui jusque là aimait son petit fils à la folie s’était mise à le battre et à le traiter de bâtard.

Andrea pense que la sage décision aurait été de laisser Nancy dans son cadre familier le plus longtemps possible, puis de la confier à une structure spécialisée. La maladie de Nancy a évolué. Elle est complètement passée de l’autre côté du miroir maintenant. Elle semble rassérénée, libérée de l’angoisse d’une transition cauchemardesque.

Illustration : Collection Scharf Gerstenberg à Berlin : Yves Tanguy, je suis venu comme j’avais promis, adieu, 1926.

Kafka à Prague

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Un bâtiment au bord de la Vltava abrite un musée dédié à Franz Kafka, dont le génie naquit de l’impossibilité à s’assumer a la fois comme Juif, Tchèque et Allemand, les trois communautés qui coexistèrent à Prague pendant des siècles, jusqu’à la mise en œuvre de la « solution finale ».

Le musée contient tout ce qu’on peut attendre d’un lieu de mémoire littéraire : des photos, des citations, des manuscrits (en particulier, celui de la « lettre au père »), des éditions originales. Mais il a aussi l’ambition de nous faire vivre une expérience kafkaïenne. On parcourt un long couloir obscur aux parois duquel s’appuient des casiers administratifs aux noms d’employés fantômes, dont « K » et « Joseph K », le héros du Château. Des casiers ouverts présentent des extraits du Château et du Procès.

Plus loin, des vitrines suspendues évoquent les femmes que Kafka aima. Cette représentation sonne juste : aucune de ces relations n’a vraiment pris racine, si ce n’est sans doute celle avec Dora qui accompagna le fonctionnaire écrivain jusqu’au bout de ses années d’agonie.

Kafka, tel une ombre sans identité, ou accablée par trop d’identités, vient habiter nos songes.

Photo « transhumances » : statue de Franz Kafka près de la synagogue espagnole.

Musée juif de Prague

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Le musée juif de Prague occupe plusieurs sites de part et d’autre de l’avenue de Paris, l’artère « chic » de la capitale.

L’ancien ghetto a été rasé pour laisser place à la ville moderne, mais plusieurs synagogues existent encore aujourd’hui. Elles doivent leur survie au fait que les Nazis voulaient en faire le témoignage d’une race disparue. Plusieurs ont été récemment restaurées.

La synagogue espagnole, qui sous sa forme actuelle remonte à 1868, est de style mauresque. On  y trouve une extraordinaire collection d’argenterie religieuse juive : étuis et pointeurs de Torah, chandeliers, encensoirs, etc.

La synagogue Pinkas est émouvante. Les noms de 80.000 victimes tchèques de l’holocauste ont été gravés sur les murs. On visite ensuite l’ancien cimetière juif, où 12.000 pierres tombales sont entassées dans un jardin exigu. On estime que 100.000 personnes sont enterrées ici, sur plusieurs niveaux. La tombe d’un ancien rabbin est particulièrement vénérée. On y dépose de petits cailloux et, comme au mur des Lamentations de Jérusalem, des messages dans les interstices du mur.

Photo « transhumances »

Prague et l’Euro

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La République Tchèque a choisi pour le moment de ne pas entrer dans la zone Euro. Mais ce choix, ou non choix, n’est guère confortable.

Beaucoup de facteurs poussent la République Tchèque à renoncer à sa monnaie, la Couronne, au profit de l’Euro : la proximité du puissant voisin allemand, son premier partenaire commercial, la vitalité de l’industrie touristique et par-dessus tout la décision du pays frère et rival, la Slovaquie, d’adopter la devise européenne. On pourrait aussi dire que, d’une certaine manière, les Pragois se sont déjà mis à l’Euro : beaucoup de prix sont d’ores et déjà affiché à la fois dans la devise nationale et la devise européenne.

Un fantasme est à la mode sur les rives de la Vltava : l’émergence d’une vraie monnaie internationale construite sur la base des droits de tirage spéciaux du FMI. Elle s’imposerait a toutes les nations et dispenserait la Tchéquie d’un choix cornélien : y aller ou non ?

Le débat est devenu plus aigu ces dernières semaines avec la crise grecque. D’une part, la cure d’austérité inouïe imposée au peuple grec fait office de repoussoir dans l’opinion publique. Mais d’un autre côté, les Tchèques se demandent si leur coquetterie ne leur a pas fait perdre une occasion historique. Les Slovaques sont entrés dans l’Euro dans une période de bienveillance. Les nouveaux venus devront montrer patte blanche, prouver que leur comptabilité nationale n’est pas truquée et qu’ils respectent scrupuleusement les critères de Maastricht que de grands pays comme la France ont allègrement jeté par-dessus bord.

Photo « transhumances »