Nelson Mandela, 20 ans

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Il y a vingt ans, le 11 février 1990, Nelson Mandela sortait de la prison Victor Verster après 27 ans de captivité. Dans le quotidien britannique The Guardian, Justice Malala, de Johannesburg, évoque cet événement.

Justice avait 19 ans lorsque l’ANC fut légalisée. La foule noire chantait et pleurait. « Il y avait toutefois quelque chose d’anormal. La foule était suivie par des véhicules de police, mais il n’y avait pas de gaz lacrymogènes ni de coups de feu en l’air. La police se contentait d’escorter la foule, elle ne tirait pas de grenades lacrymogènes sur les gens comme moi et tant d’autres nous y étions habitués. Ceux qui portaient un uniforme semblaient aussi tétanisés (shell-shocked) que les manifestants ».

Quelques jours plus tard, Mandela était libéré. « Quand Mandela émergea finalement de la prison tenant sa femme Winnie Mandela par la main, il y eut des pleurs et des youyous. Nous ne pouvions bouger. Nous ne pouvions que pleurer. En l’espace de quelques minutes, les gens sortaient de leurs maisons, criant et hurlant et chantant. C’était fou. Dans tous les townships, une jubilation sans précédent se répandit. Je n’avais jamais entendu tant de gens chanter, vu tant de pleurs et de joie en même temps ».

Justice rappelle l’œuvre de Mandela pour la vérité et la réconciliation. Il souligne pourtant que « l’Afrique du Sud que nous a léguée Mandela n’est pas toujours un endroit où il fait bon vivre. Le magazine Lancet, dans une étude publiée l’an dernier, disait que depuis 1994 l’espérance de vie en Afrique du Sud a diminué de près de 20 ans. Le taux d’homicide est cinq fois la moyenne globale. Le taux d’homicide féminin est six fois la moyenne globale. On estime qu’une femme est tuée par son partenaire toutes les six heures en Afrique du Sud. Pire, l’Afrique du Sud est l’un des 12 pays seulement où la mortalité infantile a augmenté depuis 1990, l’année de la libération de Mandela. Chaque année, 23.000 enfants sont morts nés, et presque 75.000 enfants meurent en Afrique du Sud, dont près d’un tiers dans leurs premières quatre semaines de vie. »

« Mandela n’a pas voulu cela pour nous », disent les gens en parlant des frasques de l’actuel président Zuma. « L’ignominie de Zuma nous rappellera (en ce jour de vingtième anniversaire) que la nouvelle Afrique du Sud n’est pas tout ce que nous voulions qu’elle soit en ce jour lointain de 1990. Mais nous danserons et nous verserons peut-être une larme et nous célébrerons encore la vie de Mandela. Je sais, nous savons, que le l’endroit où nous étions quand en 1990 Mandela marcha hors de sa prison était infiniment pire que celui-ci : seulement une précieuse jeune démocratie comme les autres. »

(Photo : libération de Nelson Mandela)

Pédale collante

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 Beaucoup a été dit sur la crise de la « pédale collante » : le constructeur japonais Toyota a du rappeler 3,8 millions de voitures dont la pédale d’accélérateur était susceptible de rester collée au plancher. Il y a un aspect qui me semble mériter attention.

Dans l’hebdomadaire britannique The Observer du 7 février, on peut lire : « il a depuis lors émergé que Toyota avait eu connaissance de plaintes de consommateurs au sujet de telles pédales  d’accélérateur « collantes » au Royaume Uni depuis la fin de 2008. Toyota admet que 26 des cas qu’il a rencontrés en Europe furent rapportés comme « questions de satisfaction-client » à l’époque. »

Toyota disposait certainement de procédures élaborées de gestion des plaintes. Certaines prenaient le chemin de la satisfaction-client, d’autres celui de la sécurité. On comprend pourquoi des techniciens ou des concessionnaires ont choisi le premier. Le second pouvait mener à une bombe, celle qui vient précisément d’éclater. Personne ne s’est trouvé au carrefour des deux chemins et n’a posé la question du risque potentiel que faisait courir aux conducteurs des véhicules incriminés et aux autres usagers de la route une pédale d’accélérateur qui reste enfoncée.

Les grandes organisations ont déployé des outils de gestion du risque opérationnel perfectionnés. Mais la complexité les rend parfois sourdes et aveugles, collées aux habitudes.

L’humour de Steve Bell

 

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Les caricatures de Steve Bell dans le quotidien britannique The Guardian sont une merveille d’humour et de pertinence. Je ne résiste pas au plaisir de reproduire celle-ci, réalisée d’après Charles Adams, qui fait suite aux récrimitations du pape contre les lois britanniques contre les discriminations. Le pape semble étonné de se retrouver en compagnie de personnages aussi bizarres, mais il est l’un d’entre eux.

Enron

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Le théâtre Noël Coward de Londres présente Enron, une pièce consacrée à la faillite retentissante du colosse américain de l’énergie le 2 décembre 2001. Elle sera aussi montée à Broadway en avril prochain.

L’auteur est une jeune Anglaise de 28 ans, Lucy Prebble. La mise en scène de Rupert Goold a de nombreux points communs avec « The Power of Yes », pièce consacrée elle aussi à la finance et à ses dérives. Son rythme est en permanence soutenu. Le style est parfois proche d’une comédie musicale : il y a des parties chantées et le mouvement des acteurs est réglé comme une chorégraphie.

La scène est partagée par un rideau ajouré noir. Certains tableaux se jouent sur une estrade dressée dans l’arrière-scène, les personnages rendus un peu irréels par l’interposition du rideau. Le rideau sert aussi d’écran pour la projection d’images d’époque : Clinton démentant toute relation sexuelle avec Monica Lewinsky, Greenspan vantant la sécurité apportée par les nouveaux instruments financiers, l’affrontement de Bush contre Gore, une publicité d’Enron se présentant comme l’entreprise du futur, la chute des Tours Jumelles de Manhattan quelques semaines avant celle d’Enron.

Il y a quelques trouvailles : Lehman Brothers est présenté sous la forme deux jumeaux moustachus à lunettes enveloppés d’un même manteau et parlant d’une même voix. Un dirigeant d’Enron met à l’épreuve un collaborateur sur un tapis de jogging en salle. Le directeur financier est entouré des « raptors » qu’il a conçus, dinosaures carnivores chargés d’engloutir les dettes de la compagnie.

Le personnage central est Jeffrey Skilling, un jeune homme brillant animé de brillantes idées, apôtre du « mark to market », technique comptable selon laquelle on assigne à tout moment à un instrument financier sa valeur sur le marché, ce qui permet donc d’enregistrer aujourd’hui des gains qui ne se réaliseront que plus tard. Skilling convainc le fondateur et président d’Enron, Ken Lay, de s’engager dans des voies nouvelles. Il s’oppose frontalement à Claudia Roe, qui défend une vision industrielle de l’entreprise : Enron devrait selon elle s’internationaliser, créer des usines en Inde. Pour Skilling au contraire, l’avenir est dans le virtuel. Il lance une activité de trading en énergie : il s’agit de vendre et d’acheter des contrats de gaz ou de kilowatts heure, et tant mieux si la transaction ne se dénoue pas en une livraison matérielle.

Skilling recrute et promeut un mathématicien financier, Andy Fastow, une sorte de professeur Nimbus qui met en place une cascade de filiales chargées de porter l’endettement du groupe. La maison mère porte ces participations à son actif, et nul ne se rend compte de la réalité : des dizaines de milliards de dollars de dettes.

Skilling, Fastow et Lay forment un triangle infernal. Ce dernier se charge du lobbying auprès des politiques, et en particulier du gouverneur du Texas, George W. Bush. Il obtiendra la libéralisation de l’énergie, avec comme conséquence des pannes électriques en Californie. Une bonne affaire pour Enron, dont les prix augmentent soudainement.

A partir de mars 2001, Fortune puis le Wall Street Journal se demandent pourquoi la compagnie a pu croître aussi vite. Skilling démissionne non sans avoir vendu son paquet d’actions. Jusqu’au bout, Lay affirme que la situation de l’entreprise n’a jamais été aussi bonne, et persuade les employés de conserver les leurs. Beaucoup se retrouveront ruinés et privés de retraite. Au procès, Fastow coopèrera pleinement avec la Justice en contrepartie d’un allègement de sa peine. Skilling s’obstinera dans un déni de toute erreur et de toute responsabilité et sera condamné à 25 ans d’emprisonnement. Lay mourra d’une crise cardiaque.

L’air de parenté entre « The Power of Yes », pièce consacrée à la crise financière culminant avec la faillite de Lehman Brothers, et « Enron » ne se limite pas au style de la mise en scène. Il y a dans la folle aventure d’Enron, dans la volonté de s’affranchir de la pesanteur de l’économie réelle, une anticipation de ce qui arrivera sept ans plus tard à l’échelle du système financier international.

(Photo tirée de la pièce Enron)