EconomieThéâtre9 février 20100Enron

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Le théâtre Noël Coward de Londres présente Enron, une pièce consacrée à la faillite retentissante du colosse américain de l’énergie le 2 décembre 2001. Elle sera aussi montée à Broadway en avril prochain.

L’auteur est une jeune Anglaise de 28 ans, Lucy Prebble. La mise en scène de Rupert Goold a de nombreux points communs avec « The Power of Yes », pièce consacrée elle aussi à la finance et à ses dérives. Son rythme est en permanence soutenu. Le style est parfois proche d’une comédie musicale : il y a des parties chantées et le mouvement des acteurs est réglé comme une chorégraphie.

La scène est partagée par un rideau ajouré noir. Certains tableaux se jouent sur une estrade dressée dans l’arrière-scène, les personnages rendus un peu irréels par l’interposition du rideau. Le rideau sert aussi d’écran pour la projection d’images d’époque : Clinton démentant toute relation sexuelle avec Monica Lewinsky, Greenspan vantant la sécurité apportée par les nouveaux instruments financiers, l’affrontement de Bush contre Gore, une publicité d’Enron se présentant comme l’entreprise du futur, la chute des Tours Jumelles de Manhattan quelques semaines avant celle d’Enron.

Il y a quelques trouvailles : Lehman Brothers est présenté sous la forme deux jumeaux moustachus à lunettes enveloppés d’un même manteau et parlant d’une même voix. Un dirigeant d’Enron met à l’épreuve un collaborateur sur un tapis de jogging en salle. Le directeur financier est entouré des « raptors » qu’il a conçus, dinosaures carnivores chargés d’engloutir les dettes de la compagnie.

Le personnage central est Jeffrey Skilling, un jeune homme brillant animé de brillantes idées, apôtre du « mark to market », technique comptable selon laquelle on assigne à tout moment à un instrument financier sa valeur sur le marché, ce qui permet donc d’enregistrer aujourd’hui des gains qui ne se réaliseront que plus tard. Skilling convainc le fondateur et président d’Enron, Ken Lay, de s’engager dans des voies nouvelles. Il s’oppose frontalement à Claudia Roe, qui défend une vision industrielle de l’entreprise : Enron devrait selon elle s’internationaliser, créer des usines en Inde. Pour Skilling au contraire, l’avenir est dans le virtuel. Il lance une activité de trading en énergie : il s’agit de vendre et d’acheter des contrats de gaz ou de kilowatts heure, et tant mieux si la transaction ne se dénoue pas en une livraison matérielle.

Skilling recrute et promeut un mathématicien financier, Andy Fastow, une sorte de professeur Nimbus qui met en place une cascade de filiales chargées de porter l’endettement du groupe. La maison mère porte ces participations à son actif, et nul ne se rend compte de la réalité : des dizaines de milliards de dollars de dettes.

Skilling, Fastow et Lay forment un triangle infernal. Ce dernier se charge du lobbying auprès des politiques, et en particulier du gouverneur du Texas, George W. Bush. Il obtiendra la libéralisation de l’énergie, avec comme conséquence des pannes électriques en Californie. Une bonne affaire pour Enron, dont les prix augmentent soudainement.

A partir de mars 2001, Fortune puis le Wall Street Journal se demandent pourquoi la compagnie a pu croître aussi vite. Skilling démissionne non sans avoir vendu son paquet d’actions. Jusqu’au bout, Lay affirme que la situation de l’entreprise n’a jamais été aussi bonne, et persuade les employés de conserver les leurs. Beaucoup se retrouveront ruinés et privés de retraite. Au procès, Fastow coopèrera pleinement avec la Justice en contrepartie d’un allègement de sa peine. Skilling s’obstinera dans un déni de toute erreur et de toute responsabilité et sera condamné à 25 ans d’emprisonnement. Lay mourra d’une crise cardiaque.

L’air de parenté entre « The Power of Yes », pièce consacrée à la crise financière culminant avec la faillite de Lehman Brothers, et « Enron » ne se limite pas au style de la mise en scène. Il y a dans la folle aventure d’Enron, dans la volonté de s’affranchir de la pesanteur de l’économie réelle, une anticipation de ce qui arrivera sept ans plus tard à l’échelle du système financier international.

(Photo tirée de la pièce Enron)

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