« Cabeza de Vaca », film réalisé en 1990 par le Mexicain Nicolás Echevarria et diffusé en France vingt ans plus tard, relate l’incroyable aventure d’Álvar Nuñez Cabeza de Vaca qui marcha pendant huit ans à travers l’Amérique jusqu’à la côte Pacifique du Mexique après avoir fait naufrage au large des côtes de la Floride en 1528.
Nuñez (joué par Juan Diego) accoste avec quelques hommes à bord d’un radeau de fortune dont la voile consiste en leurs chemises nouées entre elles. Ils sont pris pour cible par les guerriers d’une tribu indienne. Seuls quatre Espagnols survivent, dont Álvar Nuñez et son esclave noir Estebanico.
Nuñez est réduit en esclavage par une tribu indienne vivant en bordure d’une rivière. Son maître est un nain dénué de bras, qu’il doit nourrir à la cuillère et dont il subit parfois les crachats. Invraisemblable retournement pour un conquistador convaincu d’apporter la civilisation à des infrahumains. Il assume ce retournement, observe ses geôliers, enregistre leurs rites, entre dans les bonnes grâces du sorcier – ou chamane – de la tribu.
Tournant le dos à sa religion catholique, qui pourrait le condamner au bûcher pour cela, il s’initie au chamanisme. Reconnu comme chamane, il devient un homme libre. Vêtu de peaux de bête, il se met en route sur les chemins vers l’ouest qui le conduiront, des années plus tard, vers la côte atlantique du Mexique.
Le conquistador devenu chamane est accueilli par des tribus indiennes vivant dans des environnements divers, de la cité quasi lacustre des premiers mois à des déserts rocailleux. Le chamane guérit, extrait des pointes de flèche, cicatrise des plaies. Il ramène à la vie une jeune femme.
Des années plus tard, Nuñez, son esclave et ses deux compagnons font la jonction avec un peloton de soldats espagnols. Ils protègent le site d’une cathédrale en construction et sont chargés de recruter des travailleurs forcés. Ils comptent sur les amitiés indiennes de l’ancien naufragé pour renforcer les effectifs. Le dernier plan de film montre des Indiens portant une lourde croix sur un espace désertique. La colonisation est en marche. L’acculturation d’un conquistador devenu Indien parmi les Indiens n’aura été qu’une parenthèse.
Cabeza de Vaca (tête de vache) n’était pas un surnom, mais le nom de famille de la mère de Nuñez. Celui-ci revint en Espagne puis repartit en Amérique latine où il se heurta à l’hostilité des colons. Il fut emprisonné à Madrid, exilé à Oran avant d’être gracié par Philippe II qui lui accorda une fonction de juge à Séville, avant de se retirer dans un couvent sévillan et d’y mourir.
Le film de Nicolás Echevarria est emprunt de violence, qui n’est autre que celle infligée à des hommes rescapés de justesse d’un naufrage et plongés dans un milieu hostile. Le spectateur se sent souvent mal à l’aise. Il partage le sentiment des naufragés d’être privés de repères. Les décors (naturels) et les maquillages renforcent ce sentiment de radicale étrangeté. Cabeza de Vaca est un grand film.