Jérôme Cahuzac dans son rôle de Ministre du Budget
Un aspect intéressant de l’affaire Jérôme Cahuzac est la réflexion qu’elle a suscitée en France sur le mensonge.
Jérôme Cahuzac, ancien Ministre du Budget, a donc avoué avoir menti, lorsqu’il niait « en bloc et en détail », « les yeux dans les yeux », être titulaire d’un compte à l’étranger.
Sur France Inter le 4 avril, le philosophe Raphaël Einthoven affirmait qu’on avait tort de placer cette affaire sur le registre de la morale et même de la religion en parlant de « faute » et de « pardon ». Il appelait à réduire cette histoire au respect du doit fiscal. Mais peu après, un micro-trottoir dans la cour d’une école primaire dégonflait la baudruche du philosophe. Les enfants s’exprimaient sur le mensonge. A-t-on le droit de mentir ? Qu’est-ce qu’un petit ou un gros mensonge ? Qu’est-ce qu’on ressent quand on a menti ? La voix des enfants ramenait l’affaire sur le terrain de la confiance trahie et du code éthique qui cimente la société.
Pourquoi Cahuzac a-t-il menti ? Lorsqu’il doit s’expliquer sur un message téléphonique malencontreusement arrivé par erreur sur la boîte vocale d’un rival politique, dans lequel il évoque son compte en Suisse, il dit : « cela ne peut être moi ». Il ne dit pas : « ce n’est pas moi », mais « cela ne peut être moi ». Tout se passe comme si deux personnes s’avançaient en parallèle, celle du militant socialiste rocardien, pugnace et intègre ; et celle du chirurgien esthétique affairiste et fraudeur. Le premier ne peut accepter que le second coexiste en lui : « cela ne peut être moi ».
Pourquoi Cahuzac a-t-il persisté dans le mensonge, alors qu’un aveu précoce accompagné du rapatriement des fonds aurait minimisé l’affaire ? L’un de ses amis, un député socialiste, expliquait aussi au micro de France Inter, que l’ancien ministre du budget « ne pliait pas ». Au contraire du roseau de Pascal, il rompt.
Jérôme Cahuzac, avec ses contradictions et son mensonge, est un véritable personnage de roman. Son histoire individuelle est intéressante. Le défi qu’elle représente pour la démocratie est fascinant et inquiétant.
Le président – commandant vénézuélien Hugo Chávez, qui vient de disparaître à l’âge de 58 ans, laisse un héritage politique controversé.
La disparition d’Hugo Chávez a causé une émotion considérable au Venezuela, en Amérique latine et dans certains milieux de gauche en Europe. « Le monde gagnerait à avoir plus de dictateurs comme lui », a déclaré Victorin Lurel, qui représentait la France aux obsèques et voyait en Chávez la combinaison de de Gaulle et Léon Blum. « Ce qu’est Chávez ne meurt jamais », a commenté Jean-Luc Mélenchon, invoquant « l’idéal inépuisable de l’espérance humaniste de la révolution » et exprimant la honte que lui inspiraient des commentaires formulés en France. Je crains que Mélenchon ait honte également de « transhumances » !
The Guardian a publié en octobre 2012, dans le contexte de la campagne présidentielle au Venezuela, des statistiques montrant comment la Venezuela avait évolué entre 1999 et 2011.
Le produit national brut par tête a bondi de 4.105 dollars à 10.801 dollars, en majeure partie grâce au quintuplement de la valeur des exportations de pétrole. La pauvreté a reculé : en 1999, 23.4% de la population était dans un état d’extrême pauvreté ; ils n’étaient plus que 8.5% en 2011. Le chômage est tombé de 14.5% à 7.6% de la population active. Le taux de mortalité infantile est tombé de 20‰ à 13‰.
Moins de pauvreté, un meilleur accès à l’emploi, aux soins et à l’éducation représentent pour des millions de Vénézuéliens une chance historique inouïe. Pour eux, c’est l’accès à la dignité ; pour le pays, c’est l’émergence d’une force vive que la pauvreté mettait sous l’éteignoir.
Le recul de la pauvreté a été acquis grâce à un massif effort de redistribution, opéré grâce à des programmes appelés « missions bolivariennes » dans tous les domaines qui touchent la vie des gens. Mais ce modèle n’est pas transposable à d’autres pays, car il repose uniquement sur l’appropriation étatique de la rente pétrolière, dans un pays qui dispose des plus grandes réserves prouvées au monde.
Au Venezuela même, le modèle touche à ses limites. La redistribution massive génère une inflation de plus de 20% par an. Le déficit des finances publiques représente plus de 9% du PNB. L’état est lourdement endetté, notamment à l’égard de la Chine. Le taux de change de la devise nationale, le « bolivar fort », a été divisé par plus que 4 contre le dollar entre 1999 et 2011.
La corruption est endémique. Le Venezuela est classé 172ième pays de majeure corruption perçue par l’indice Transparency International. La violence est chronique : le nombre de meurtres pour 100.000 habitants atteint 45, contre 25 en 1999 (environ 1,5 pour 100.000 habitants en France). L’état des infrastructures est désastreux, les sommes dédiées aux investissements étant fréquemment détournées.
A ce stade, le chavisme n’a pas créé les conditions d’un développement durable de son pays. L’économie dépend de manière croissante des exportations de pétrole. L’industrie et l’agriculture n’ont pas gagné en compétitivité, et ont même régressé. Il faut bien reconnaître que le régime n’a pas encouragé les initiatives de la société civile et des milieux économiques. Son action a été très largement clientéliste et infantilisante. Les débordements d’émotion constatés lors des obsèques sont celles d’un enfant perdant son père. Chávez va être embaumé « pour l’éternité » comme l’avaient été Lénine et le « petit père des peuples », Staline, mort presque 60 ans jour pour jour avant le président vénézuélien. Hugo Chávez n’était pas léniniste et encore moins stalinien. Mais le culte du chef qu’il a poussé au paroxysme n’a pas favorisé le débat d’idées, l’analyse collective des faits et des chiffres, la proposition de projets qui caractérisent une société développée.
La fascination de certains milieux de gauche idéalistes pour les révolutions castriste ou bolivarienne est émotionnelle plus que rationnelle. Redistribuer fortement la richesse est une exigence de dignité humaine et aussi de cohésion sociale. C’est ce qu’a compris le Brésil de Lula et de Rousseff. Mais la redistribution doit aller de pair avec la construction d’une économie solide et d’une société civile adulte.
Partisans d’Hugo Chavez se rendant à ses obsèques. Photo The Guardian
L’inconnue de l’élection parlementaire italienne de ce week-end est le score du M5S de l’humoriste Beppe Grillo.
Le MoVimento 5 Stelle (MouVement 5 Etoiles) pourrait rallier 20% des voix à l’élection du Parlement italien. Le « V » majuscule est à la fois symbole de victoire et la première lettre de « vaffanculo », « va te faire foutre » en français. Le M5S a été créé par l’humoriste Beppe Grillo, avec pour objectif de nettoyer les écuries d’Augias de l’Etat italien qualifié de bureaucratique, surdimensionné, coûteux et inefficace.
Beppe Grillo évoque pour les français Coluche, qui s’était brièvement présenté à l’élection présidentielle pour « sortir les sortants » ; Jean-Luc Mélanchon pour ses qualités de tribun et sa capacité à rassembler en meeting des foules énormes ; et aussi Ségolène Royal pour son appel à la démocratie directe par Internet. Il dédaigne les plateaux de télévision mais occupe les journaux télévisés qui se délectent de ses bons mots et accordent une large place à ses meetings. Sur la Place du Duomo à Milan, le prix Nobel de Littérature Dario Fo a déclaré devant environ 30.000 personnes : « cette manifestation m’en rappelle une semblable en 1945, au lendemain de la guerre ; mais alors nous avons échoué à construire l’Italie que nous voulions. Essayez, n’abandonnez pas, retournez l’Italie ! »
Le programme du M5S est construit autour de sept chapitres, dont l’ordre est indicatif des priorités : Etat et citoyens, énergie, information, économie, transports, santé et instruction. Le fil rouge est la réforme de l’Etat, avec la disparition des provinces, le non cumul des mandats, le plafonnement des rémunérations des élus, la suppression du financement public des partis politiques. Le programme a aussi une forte teinte écologique, avec une insistance étonnante sur l’isolement thermique des bâtiments ; il recommande aussi la promotion de circuits de distribution courts. Les enquêtes montrent que le cœur de l’électorat du M5S réside dans les déçus de Berlusconi, qui trouvent dans le programme une inspiration antiétatique et libérale qu’ils jugent tarie dans le Parti des Libertés ; et dans l’électorat de gauche qui soupçonne le PDS de Bersani de corruption et de collusion avec les banques.
Les sondages accordent au PDS une majorité absolue au Parlement mais non au Sénat, ce qui pose une hypothèque sur la gouvernabilité du pays. Le comportement des futurs élus du M5S, désignés par des primaires sur Internet et dotés d’un programme populiste, idéologique et non chiffré, pourrait se révéler un facteur important de la vie politique italienne dans les mois à venir.
2000 participants à la « Manif pour tous » à Saint Denis de La Réunion. Photo « Clicanoo »
Dans Le Monde du 13 – 14 janvier, Danièle Hervieu-Léger a signé un article intitulé « le combat perdu de l’Eglise : le discours hostile de l’Eglise sur le « mariage pour tous » confirme son inadaptation aux nouvelles voies de la famille ». Elle pense que, si elle le voulait, l’Eglise pourrait avoir une parole audible et constructive sur le thème de l’adoption, « paradigme de toute parentalité ».
La présence de 380.000 personnes à la « Manif pour tous » contre le projet de « Mariage pour tous », le 13 janvier à Paris (chiffre de la police), constitue un indéniable succès pour les organisateurs. Mais, pour reprendre la « une » de l’Express, François Hollande va-t-il caler ? Il est très probable que non et que la loi sur le mariage gay sera votée, comme l’ont été, malgré d’autres manifestations semblables, les lois sur la contraception, le divorce, l’avortement ou le PACS. La manifestation constituait un cri de colère des traditionnalistes, un de plus contre ce qu’ils perçoivent comme une perte des références et une soumission à la dictature du relativisme.
L’Eglise Catholique n’était pas seule à manifester, mais elle a fourni le plus gros des bataillons de protestataires. Dans son article au Monde, Danièle Hervieu-Léger montre que, dans le combat contre le mariage gay comme dans ses précédents combats, l’Eglise a perdu d’avance. La revendication de la liberté individuelle et le rejet de l’intrusion d’institutions dans le couple sont des mouvements de fond que rien ni nul ne peut arrêter. Les sciences sociales ont montré l’inanité du concept de « loi naturelle » assimilée à celui de « loi divine » : l’organisation des relations entre les humains n’est pas invariante, elle change selon les cultures et les moments historiques. Enfin, le découplage entre mariage et filiation implique une pluralité de modèles familiaux composés et recomposés. S’opposer à ces vagues de fond, c’est avancer à reculons et affronter des moulins à vent, fût-ce avec le panache d’un Don Quichotte.
Plutôt que de s’opposer à des évolutions irréversibles en ruinant sa crédibilité, l’Eglise Catholique pourrait-elle faire entendre sa voix par une contribution positive sur « la scène révolutionnée de la relation conjugale, de la parentalité et du lien familial » ? Danièle Hervieu-Léger suggère que l’Eglise adresse une parole aux hommes et aux femmes, homosexuels comme hétérosexuels, dans l’exercice de leur liberté. Elle évoque le thème de l’adoption. « De parent pauvre de la filiation qu’elle était, elle pourrait bien devenir au contraire le paradigme de toute parentalité. Dans une société où, quelle que soit la façon dont on le fait, le choix « d’adopter son enfant », et donc de s’engager à son endroit, constitue le seul rempart contre les perversions possibles du « droit à avoir un enfant », qui ne guettent pas moins les couples hétérosexuels que les couples homosexuels ».