Petit lexique des émeutes en Grande Bretagne

Dans The Guardian du 14 août, le caricaturiste Chris Riddell montre les émeutiers encapuchonnés suivre le joueur de flûte du consumérisme comme les enfants de Hamelin le flûtiste dératiseur qui les noya dans la rivière Weser. D’une manière moins imagée, « transhumances » propose à ses lecteurs un petit lexique des mots clés de la presse britannique dans son traitement des émeutes.

 Broom. Le balai est devenu symbole de citoyenneté, cette citoyenneté (citizenship) que les émeutiers foulent aux pieds dans le dessin de Chris Riddell.

 Community. Dans le cadre de son projet de « big society », David Cameron voudrait transférer aux communautés locales des responsabilités qui échoient aujourd’hui à l’Etat. Le problème est que de nombreux jeunes ne se sentent pas partie prenante de leur communauté. Ed Milliband, leader de l’opposition travailliste, a ainsi déclaré que « donner aux gens le sentiment d’avoir part à la société et que nous sommes une société et non deux mondes parallèles est très important. »

 Cuts. L’annonce de coupes budgétaires dans les effectifs de police dans le cadre du plan d’austérité met le Gouvernement Britannique en difficulté. Les 14.000 postes supprimés correspondent plus ou moins aux renforts appelés pour ramener le calme.

Greed. Le lucre. Beaucoup d’observateurs ont rapproché l’avidité des pillards du mauvais exemple donné par les banquiers sans morale ou par les députés gonflant sans hésitation leurs notes de frais.

 Hoody. Le vêtement de sport à capuchon, uniforme des émeutiers.

 Katrina moment. C’est le moment inconfortable que connaissent certains politiciens britanniques, tel le maire de Londres Boris Johnson. On leur reproche d’avoir interrompu tardivement leurs vacances, comme Bush lors du cyclone Katrina.

Kneejerk reaction. Réaction-réflexe des politiciens lorsqu’ils agissent dans l’émotion du moment sans réfléchir aux conséquences. C’est un reproche fait à David Cameron lorsqu’il a annoncé son intention d’évincer des logements sociaux les familles dont un des membres aurait participé aux émeutes et aux pillages.

 Looting. C’est le pillage de magasins de sport et d’électronique, mais aussi de petits commerces locaux, qui a le plus choqué l’opinion. Le dessin de Chris Riddell exprime avec force l’ivresse des pillards accédant l’espace d’un fugitif moment à l’abondance.

Pure and simple. Criminalité pure et simple, tel est le diagnostic du Premier Ministre sur les événements.

Zero tolerance. Même concept qu’en français !

  Illustration The Guardian : Chris Riddell, « The pied pipe of consumerism”

Les encapuchonnés de Hackney

Les émeutes et les scènes de pillage de Londres étonnent : la ville se présente comme un modèle de cohabitation multiethnique harmonieuse. L’entrée en scène de pillards encapuchonnés dans des quartiers déshérités comme Hackney ou Croydon oblige à regarder en face une autre réalité.

 Les étrangers vivant à Londres expriment le plus souvent un sentiment de confiance et de sécurité. Emprunter le métro la nuit est moins inquiétant qu’à Paris et de nombreuses femmes seules le font tranquillement. On ne ressent pas dans les autobus ou sur les chaussées des villes l’énervement perceptible ailleurs : habitués à la foule et aux contrariétés de transports souvent au point de rupture, les usagers ne protestent pas et ne s’insultent pas. Au marché de Camden mais aussi en de nombreuses autres localités, les odeurs, les couleurs et les langues s’associent dans un patchwork toujours changeant.

 On a l’impression d’un monde cosmopolite dans lequel les peuples du monde se mélangent. En réalité, Londres est tendue entre deux pôles, celui d’une métropole financière internationale puissamment connectée avec New York, Tokyo et Shanghai, et celui d’une constellation de banlieues internationales par leur peuplement, où pèse lourdement le chômage. Un responsable du métro de Londres disait qu’à l’est de London Bridge, à chaque station de métro de la Jubilee Line correspondaient six mois d’espérance de vie en moins. Le Londres financier et le Londres sans emploi ont chacun leur uniforme : le costume à rayures pour l’un, la veste de sport avec capuchon pour le second.

 L’un des problèmes que les autorités ont à résoudre est de trouver pour les centaines d’encapuchonnés arrêtés des places de prison. Il y a 85.000 prisonniers pour la seule Angleterre et le Pays de Galles, donc sans compter l’Ecosse et l’Irlande du Nord ; à titre de comparaison, ils vont atteindre en France le chiffre record de 65.000. La société britannique a une forte propension à enfermer ses déviants.

 C’est dans une prison invisible que les encapuchonnés se sentent enfermés, c’est de cette prison que l’excitation de la lutte contre la police, l’accès libre à des marchandises convoitées dans les magasins pillés et l’effacement provisoire des territoires de clans permettent de s’évader pour un éphémère instant.

 Dans The Guardian du  10 août, Kevin Braddock s’interroge sur la signification du capuchon (« hoody »). « David Cameron, dans un rare éclat d’intelligence de la situation, dit au Centre pour la Justice Sociale en 2006  que les hoodies étaient « un moyen de rester invisible dans la rue. Dans un environnement dangereux, la meilleure chose à faire est de baisser la tête, de se fondre dans la masse, de ne pas se faire remarquer ». Il avait raison, encore qu’il n’esquisse même pas le début d’une réflexion sur pourquoi toute une génération de jeunes choisit de se retirer sous le manteau d’invisibilité du hoody et d’échapper à la dure réalité d’un présent troublant et d’un futur de cauchemar : les coûts de la vie et de l’éducation s’envolant en spirale, un marché de l’emploi sauvage, un niveau de vie promettant d’être inférieur à celui des parents, et zéro possibilité d’accéder à la propriété d’un logement, le tout allant de pair avec la suspicion de la société dans son ensemble à l’égard des jeunes. Jeunes se cachant, effrayés d’être vus, et en même temps incarnant dans leur uniforme de tous les jours la furtive vision de tunnel qui semble définir leur perception morose et introspective du monde extérieur. C’est peut-être cela la vraie signification du capuchon.

 Photo The Guardian : émeutes à Hackney.

Inimaginable

La dégradation du rating AAA des Etats-Unis par Standard & Poors : inimaginable.

 La panique des marchés financiers, à peine quelques jours après un sommet de la zone Euro destiné à sauver la monnaie unique : inimaginable. Le blocage institutionnel des Etats-Unis, pris en otages par la furie antiétatique de la Tea Party : inimaginable. La réduction, pour la première fois, de leur budget militaire : inimaginable.

  Un « défaut » de l’Italie ou de l’Espagne sur leur dette : inimaginable. La recommandation d’économistes de renom de laisser filer l’inflation pour renouer avec la croissance et payer les dettes : inimaginable.

 Il va nous en falloir, de l’imagination, pour réduire en douceur les déséquilibres financiers et les bulles spéculatives, pour renouer avec une croissance équitable et respectueuse de l’environnement, pour réconcilier les opinions publiques et leurs dirigeants, pour avancer avec confiance malgré les fondamentalismes et les populismes !

 Un homme en orbite autour de la terre. C’était inimaginable. Il y a cinquante ans, pourtant, Gagarine…

Lucian Freud fait l’actualité

 

Dans The Guardian du 23 juillet, le caricaturiste Martin Rowson imagine une rétrospective du peintre Lucian Freud, qui vient de mourir, illustrant les thèmes d’actualité.

 Lucian Freud vient de mourir chez lui à Londres à l’âge de 88 ans.

 Dans la « rétrospective » que lui offre Martin Rowson, figurent les thèmes qui font l’actualité de la Grande Bretagne en ce mois de juillet : Cameron confronté au « Hackgate » (le scandale des écoutes), le Chancelier Osborne faisant subir une cure d’amaigrissement au budget britannique et le duo Sarkozy Merkel réduit à la mendicité !

 Dessin de Martin Rowson.