Les canaux britanniques en eaux inconnues

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Le réseau de canaux britanniques va changer de statut, ce qui soulève des questions sur son avenir et provoque l’inquiétude de personnes qui ont choisi d’y vivre en permanence.

Dans The Guardian du 27 avril, Andrew Mourant évoque le changement de statut de British Waters, l’organisme semi-public (« quango ») qui gère le réseau de canaux et de rivières navigables de Grande Bretagne. Dans le cadre de la politique du Gouvernement Cameron, l’organisme devrait se transformer en institution de bienfaisance (« charity ») : ceci permettrait de réduire la subvention publique et irait dans le sens de la « grande société » prônée par les Conservateurs, les usagers étant représentés au comité de surveillance de la nouvelle institution.

British Waters est en charge de 3.700km de voies navigables. Certaines, comme le Grand Union Canal qui passe à Watford, ont été construits au dix-huitième siècle. Depuis des dizaines d’années, elles ne servent plus au transport des marchandises, mais sont activement utilisées par des touristes qui possèdent ou louent des péniches étroites.

Le transfert de British Waters à une organisation de bienfaisance est un pari risqué. D’ores et déjà, 19% du réseau est en mauvaises conditions, et au rythme actuel des investissements, ce pourcentage pourrait s’accroître jusqu’à dépasser 40% en 2030. Le Gouvernement pense que la sortie du secteur public permettra une gestion plus active et génèrera de nouvelles ressources, telles que des attractions touristiques ou des programmes immobiliers.

Parmi les usagers que cette réforme inquiète se trouvent les « navigateurs continus ». Au nombre d’environ 3.500, ils vivent en permanence dans leur bateau. La règlementation actuelle les autorise à amarrer leur bateau pendant un maximum de 14 jours à un accostage public, après quoi ils doivent réaliser un parcours « substantiel ». Certains « navigateurs continus » sont attachés à une région par leur travail ou l’école de leurs enfants. Ils craignent que la nouvelle administration rende les règles plus sévères.

Photo « transhumances » : péniche étroite amarrée sur le Grand Union Canal en hiver.

Ben Laden

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La nécrologie d’Ousama Ben Laden signée le 3 mai par Jason Burke et Lawrence Joffre dans The Guardian est remarquable, tant par son information que par la qualité de son analyse.

Après avoir remarqué que Ben Laden fut l’une des rares figures dont l’action a changé le cours de l’histoire, les auteurs poursuivent : « sa vie fut une vie d’extrêmes et de contradictions. Né au sein d’une grande richesse, il vécut dans une relative pauvreté. Diplômé en ingénierie civile, il assuma le rôle d’un professeur de religion. Propagandiste doué qui avait peu d’expérience réelle de la bataille, il se projeta comme un résistant, un guerrier saint. Tout en appelant à un retour aux valeurs et au système social du septième siècle comme un moyen de restaurer un ordre juste dans le monde d’aujourd’hui, il justifia l’usage de la technologie moderne avancée pour tuer des milliers de gens dans le cadre d’une interprétation rigoureuse et anachronique de la loi Islamique. Tout en étant l’un des hommes les plus célèbres de la planète, Ben Laden vécut pendant des années dans l’obscurité, sa présence publique se limitant à des apparitions intermittentes en vidéo ou sur Internet. Tout en affirmant qu’il avait tout sacrifié pour les autres et ne se préoccupait en rien de lui même, il était férocement conscient de la postérité. »

C’est en effet la contradiction entre une pensée obscurantiste et une organisation résolument moderne qui frappe. El Qaida est une organisation internationale, qui admet des niveaux différents d’adhésion allant jusqu’à la logique de la franchise, qui utilise la technologie d’aujourd’hui et maîtrise la télévision planétaire et Internet. Son projet politique est pourtant rétrograde : la conversion forcée de l’humanité entière à la communauté des croyants des premiers temps de l’Islam.

Après avoir constaté l’échec d’El Qaeda à provoquer un soulèvement mondial des Musulmans et sa faible influence dans le Printemps Arabe, Burke et Joffre concluent ainsi leur excellent article : « l’idéologie de Ben Laden avait été une réponse à l’échec de nombre de projets utopiques précédents dans le monde islamique. Il avait exercé une brève attraction sur certains, en grande partie à cause des actions menées pour s’y opposer. Mais la plupart des Musulmans ont toujours su que quelque chose d’essentiel manquait : la notion de Allah al-rahman w’al-rakhim – Dieu le bienveillant et miséricordieux. Ben Laden avait un jour affirmé « c’est notre devoir d’apporter la lumière au monde ». Pourtant derrière la rhétorique sur la pensée correcte, la justice divine et la rétribution, il n’y avait rient d’autre que l’obscurité ».

Photo « The Guardian » : poster exaltant Ben Laden au Pakistan en 1999.

Immobilité et Changement au Royaume-Uni

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Les divers scrutins qui ont eu lieu en Grande Bretagne le 5 mai ont exprimé un non massif au changement du mode de scrutin, mais ont apporté un changement de taille : le Parti National Ecossais dispose désormais de la majorité absolue au Parlement régional, ce qui ouvre la voie à un referendum sur l’indépendance de l’Ecosse.

Comme citoyens de l’Union Européenne, les Français résidant en Grande Bretagne peuvent voter aux élections locales. Le fait que les élections se déroulent un jeudi n’est pas le seul objet d’étonnement. Il n’y a pas de contrôle d’identité, pas d’enveloppes, pas de bulletins multiples, pas de rideau d’isoloir. Pourtant il n’y a pas plus de fraude qu’en France, et les vrais-faux électeurs ne sont pas connus de ce côté de la Manche.

La proposition d’introduire le vote alternatif (la prise en compte du second choix des électeurs si le candidat arrivé en tête a obtenu moins de 50% des suffrages) a été rejetée par près de 70% des votants. Beaucoup d’électeurs ont voulu sanctionner ainsi le Parti Libéral Démocrate, coupable de s’être allié avec le Parti Conservateur et d’avoir renié un bon nombre de promesses électorales. La caricature de Steve Bell reproduite ici montre un bulletin à l’effigie de Nick Clegg, leader du parti, barré par la croix que les électeurs écrivent sur le bulletin de vote pour marquer leur choix. Au-delà de l’opportunisme politique, les Britanniques se sont révélés attachés au système du « premier à passer le poteau » qui, bien que manifestement inique, présente l’intérêt d’obliger les deux grands partis (Conservateur et Travailliste) à trouver en leur sein un équilibre entre les grands courants qui traversent la société et d’écarter extrémistes et populistes.

Le fait marquant des scrutins du 5 mai a été l’effondrement du Parti Travailliste dans son fief écossais. Le Scottish National Party a obtenu la majorité absolue au Parlement Ecossais. L’organisation d’un referendum sur l’indépendance de l’Ecosse est inscrite à son programme. Toutefois, un tel referendum n’est pas joué d’avance, comme l’a montré le referendum sur le vote alternatif que le Parti Libéral Démocrate avait imprudemment voulu organiser.

Illustration : caricature de Steve Bell, The Guardian, 5 mai 2011.

DSK au FMI

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Le Seuil publie un livre de Stéphanie Antoine, journaliste à France 24 : « DSK au FMI, Enquête sur une renaissance » (février 2011). Un livre utile à quelques mois, ou semaines, de la possible candidature de Dominique Strauss Kahn à l’élection présidentielle française.

« Etes-vous toujours de gauche ? » demande au directeur général du FMI le modérateur d’un débat à Genève le 8 décembre 2010. « J’ai réussi certaines choses, d’autres non, j’essaye de contribuer à mettre en œuvre un système efficace qui produise, car si on ne produit pas, il n’y a rien à partager. Il faut lutter jour après jour pour corriger les inégalités et faire en sorte que le résultat de son action ne soit pas seulement l’enrichissement de la collectivité pour elle-même, mais la réalisation de chacun en termes d’éducation, de santé. Un programme que vous pouvez mettre en œuvre en tant que maire d’une ville ou comme directeur général du FMI ». « Ou comme président de la République française », commente Stéphanie Antoine.

Telle est la conclusion de l’enquête de la journaliste sur Dominique Strauss Kahn ces quatre dernières années. On le voit, après la démission de Rodrigo Rato, précédent directeur général du FMI, mobiliser ses réseaux avec l’aide du premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker et « oublier » de consulter les Britanniques, qu’il devine hostiles, sur sa candidature. Une fois installé à Washington il découvre une institution surdimensionnée par rapport à ses ressources et honnie par une partie de l’opinion mondiale, particulièrement dans les pays asiatiques. Il réduit les coûts, supprime 400 postes et investit dans la communication, interne et externe.

Au début 2008, alors que la crise des subprimes a commencé, il affiche son pessimisme. A rebours de l’orthodoxie du FMI, il appelle les Etats à soutenir la conjoncture par la dépense publique. Il place d’emblée l’institution qu’il dirige au cœur de la réaction contre la crise. Son rôle central est confirmé au sommet du G20 à Londres en avril 2009 : ses ressources passent de 250 a 750 milliards de dollars, à quoi s’ajoutent 250 milliards de « droits de tirage spéciaux » (droits d’emprunter dans panier de monnaies au taux d’intérêt pondéré de ces monnaies).

Strauss-Kahn obtient que le FMI vende une partie de son stock d’or, et qu’une partie du produit de la vente serve à consentir des prêts à taux zéro aux pays les plus pauvres. Il obtient aussi la mise en place de prêts sans conditions à des Etats « préqualifiés » selon le critère de leur bonne gestion, alors que la règle d’or du FMI était la conditionnalité de ses financements.

Le FMI a regagné en quelques années, en vertu de la crise mais aussi sous l’action de son directeur général, une crédibilité telle que son intervention est réclamée par les Etats Européens pour le sauvetage des pays en crise de la zone Euro, Grèce, puis Irlande et maintenant Portugal.

« Les pays qui vont bien, les peuples qui avancent le plus vite, même s’ils sont partis de loin, sont ceux que l’action des gouvernants et le discours des élites ont cherché à placer au cœur du débat mondial », dit DSK. Ceux qui vont le plus mal sont ceux dont les élites intellectuelles, politiques, syndicales, patronales s’enferment dans les vieux modèles et se replient sur elles-mêmes. Ce que j’ai appris, c’est que l’économie est bel et bien mondialisée et qu’il n’y a pas de solution nationale. J’en étais convaincu de façon abstraite et théorique, maintenant je l’observe tous les jours. L’ambition que doit avoir la pensée politique de gauche est d’instituer un espace politique à l’échelle de l’économie ».

On se prend à rêver. Et si le prochain président de la République mettait au cœur de son action et de son discours l’adaptation de notre société a une économie ouverte au lieu de stigmatiser des minorités et d’ériger des barrières ? Et si le prochain président de la République travaillait modestement, au jour le jour, et tenait suffisamment bien le cap pour pouvoir négocier ?

Photo FMI : Dominique Strauss-Kahn.