Au bout du conte

« Au bout du conte », film réalisé par Agnès Jaoui sur la base d’un scénario écrit avec Jean-Pierre Bacri, est une comédie un peu grinçante sur les rêves et le destin d’hommes et de femmes ordinaires.

 Pierre (Jean-Pierre Bacri) ne croit pas aux médiums. Il reste qu’il s’approche dangereusement de la date qu’une voyante a désignée il y a longtemps comme celle de sa mort. Il n’y croit pas, mais sa vie est de plus en plus pourrie par le doute.

 Laura (Agathe Bonitzer) voit en rêve un Prince Charmant l’emmener vers le bonheur. C’est en effet le bonheur qu’elle, fille de bonne famille un peu déprimée, connait brièvement avec Sandro (Arthur Dupont), un jeune musicien désargenté mais talentueux. Hélas, elle ne résistera pas aux avances d’un ténébreux Don Juan, Maxime (Benjamin Biolay), et perdra son amour.

 Marianne (Agnès Jaoui) a perdu l’amour de sa vie. Elle vient de se séparer de son mari, mais découvre qu’elle ne sait rien faire seule, conduire, entrer le mot de passe de son ordinateur ou mettre en route le chauffe-eau.

 Tous ces personnages croient aux contes de fée, mais ils savent bien que la vraie vie est différente, qu’elle passe par des ruptures, des souffrances et aussi des épisodes de félicité.

 Il y a des scènes drôles dans « au bout du conte », comme celle où Bacri, moniteur d’auto-école, tente de donner confiance en elle à son élève Jaoui. Il y a aussi des scènes émouvantes, comme celle où Pierre pleure dans les bras de son fils Sandro, avec qui il n’a jamais su avoir de vraie communication. Ou bien lorsque Laura rencontre Sandro après avoir été plaquée par Maxime. On croit qu’elle va trouver les mots pour renouer ; mais elle ne trouve pas les mots, balbutie, prononce une phrase insignifiante et tourne le dos, définitivement meurtrie.

 Les personnages sont en permanent déséquilibre. S’ils penchent trop vers le conte de fée, ils savent qu’ils se brûleront les ailes ; s’ils s’abandonnent au cynisme, ils perdent leur âme. Ils entendent vivre pleinement le grand amour, mais sont convaincus que la fidélité est impossible.

 C’est un film inventif,  tendre et drôle, qui capture bien l’esprit de l’époque.

Arthur Dupont et Agathe Bonitzer dans « au bout du conte »

La balade de Lucie

Sandrine Bonnaire dans « la balade de Lucie »

France 2 vient de diffuser « la balade de Lucie », un téléfilm réalisé par Sandrine Ray avec Sandrine Bonnaire dans le rôle principal.

 Dans son blog du Parisien, Jim Pariser note que le titre du film est inspiré de la chanson de Marianne Faithfull, the ballad of Lucy Jordan. Elle évoque une femme de trente sept ans qui vit dans une chambre blanche dans une banlieue blanche. Lucy Jordan rêve à des milliers d’amants mais se rend compte qu’elle ne traversera jamais Paris dans une voiture de sport, un vent tiède lui soufflant dans les cheveux Ses maris et ses enfants la retiennent à la maison.

 Comme la Lucy de Faithfull, Lucie Dupré (Sandrine Bonnaire) vit dans un cocon avec son mari qui la couve et la couvre de cadeaux et deux garçons. Lorsque son mari est arrêté et emprisonné pour abus de confiance, lorsque l’huissier vient saisir les meubles, le monde de Lucie s’effondre. Elle part pour Lyon où l’attend sa mère (Mylène Demongeot) et une autre prison dorée, une grande maison bourgeoise servie par une domestique. Lucie s’évade et s’enfuit vers le point d’ancrage de sa vie : la plage d’Aquitaine où, enfant, elle jouait avec sa grand-mère adorée. Une course de vitesse s’engage : à leur tour, ses garçons se sont lancés sur ses traces ; un avis de recherche est lancé. Il lui faut trouver d’urgence du travail et un logement. Elle doit en quelques semaines réinventer sa vie.

 Le personnage de Lucie est complexe : elle est meurtrie, hostile à l’égard de sa mère, affectueuse envers ses enfants et même de son mari, cynique à l’endroit des hommes qu’elle rencontre, y compris ceux qui lui tendent la main. C’est l’interprétation de Sandrine Bonnaire qui donne au film une certaine profondeur. L’immense plage sableuse de l’Atlantique est le point d’ancrage de Lucie, mais aussi la colonne vertébrale du film.

 « La balade de Lucie » est loin d’être un grand film. L’histoire est peu crédible et les personnages, hormis ceux de Lucie et de ses garçons, stéréotypés. Mais le portrait d’une femme cherchant à prendre son destin en mains a été opportunément diffusé deux jours avant la journée de la femme. Et le choix du Pyla comme lieu de vie rêvé ne peut qu’enchanter l’Aquitain d’adoption que je suis devenu.

Vincere

La chaîne de télévision Arte a diffusé le 24 mars le film de Marco Bellochio « Vincere » (2009). Par l’histoire tragique de la femme et du fils cachés de Mussolini, c’est la mécanique de l’instauration du fascisme qui est mise au jour.

 En 1914, Ida Dalser (Giovanna Mezzogiorno), 34 ans, rencontre les pas de Mussolini (Filippo Timi). Cet homme assoiffé de pouvoir la fascine. Elle tombe éperdument amoureuse de lui. Pour lui permettre de créer son journal, le « Popolo d’Italia », elle vend tout ce qu’elle possède. Elle lui donne un fils, Benito Albino. Elle prétend qu’ils se sont mariés religieusement et que le père a reconnu son fils.

 Mais Mussolini entretient une relation avec une autre femme, Rachele Guidi. C’est elle qu’il épousera officiellement, c’est d’elle qu’il aura des enfants légitimes. Ida et le jeune Benito deviennent encombrants, d’autant plus qu’Ida ne baisse pas le ton. Elle clame à cors et à cris sa vérité. On l’enferme à l’asile psychiatrique. On la sépare de son fils, placé dans une pension glaciale, seul à l’écart de ses camarades. On ne trouve pas trace d’un acte de mariage avec le futur Duce et d’un acte de reconnaissance de paternité. La vérité d’Ida ne tient pas ; seule existe la vérité du nouveau régime. Ida et Benito mourront tous deux en détention psychiatrique, respectivement en 1937 et 1942.

 Dans la première partie du film, Marco Bellochio nous transporte dans l’excitation de la conquête du pouvoir, avec une énorme charge érotique. Dans la seconde partie, tout devient solitude, souffrance, lenteur. Il y a des scènes magnifiques, comme celle dans laquelle Ida se hisse en haut d’une énorme grille et confie au vent les messages de désespoir qu’elle destine à d’hypothétiques sauveurs, le Roi ou le Pape. Vers la fin du film, Bellochio utilise un reportage d’actualité montrant Mussolini vociférant un discours guerrier dans des postures ridicules, menton levé, bouche tordue, regard fuyant. Sollicité par des condisciples, son fils Benito Albino rejoue la scène et accentue l’absurdité du dictateur ; on le sent aveuglé de haine pour ce père qui l’a laissé tomber et ne le désigne que comme Benito Dalser.

 « Vincere » met l’art du cinéma au service d’un réquisitoire implacable contre le fascisme et la destruction qu’il opère de l’amour et de la beauté.

Wadjda

Le film de Haïfa Al-Mansour est source d’émerveillement.

 Avant l’émerveillement, il y a l’étonnement. Ce film est l’un des premiers tournés en Arabie Saoudite. Il a été réalisé par une femme. Il parle de la condition des femmes. Son tournage a été autorisé. La télévision saoudienne a promis de le diffuser sur ses antennes. En troisième semaine d’exploitation en France, il est encore projeté dans 120 salles.

 Le bouche à oreille fonctionne, et c’est tant mieux : Wadjda est un film merveilleux. Son titre est  le prénom d’une fille de 12 ans, dont on ne voit dans la première scène que les pieds : ils sont chaussés de baskets. Nous sommes à l’école : toutes les condisciples de Wadjda portent les chaussures grises règlementaires. Pas elle. Elle entend vivre sa vie de manière autonome.

 Proche de chez elle, dans la banlieue de Riyad, vit Abdallah, un jeune garçon qui en pince pour la jeune fille. Abdallah bat Wadjda à la course pour une bonne raison. Il possède une bicyclette, alors qu’il est réputé indécent pour une personne de l’autre sexe de chevaucher un deux roues. Wadjda voit passer derrière un mur une magnifique bicyclette. L’acquérir va devenir son but unique. Qu’il faille passer par un concours de récitation du Coran pour obtenir l’argent, peu importe. Wadjda est têtue et tous les moyens sont bons.

 L’histoire de Wadjda s’entremêle avec celle de sa maman qui, faute d’avoir engendré un garçon, va devoir subir l’arrivée d’une seconde épouse. Elle se mêle aussi à celle de la jolie et sévère directrice d’école, dont il se murmure qu’elle vit une aventure avec un gentil « voleur » qui la visite chez elle. Il est difficile pour les femmes de tracer leur chemin lorsque les traditions prétendent leur dicter les moindres actes de leur vie. Le film de Haïfa Al-Mansour est optimiste. La société saoudienne bouge, tout doucement certes, mais irrésistiblement, sous la pression de femmes courageuses qui vont de l’avant et ne se laissent pas museler.

 Il n’y a nulle caricature dans ce film. Les hommes ne sont pas catalogués dans le camp des méchants : Wadjda trouve par exemple un allié dans le marchand de bicyclette, qui accepte de réserver la machine convoitée à la petite fille obstinée qui la désire si fort. La récitation du Coran et la prière sont dignes et belles. Les relations entre la mère et sa fille, comme entre Wadjda et la directrice d’école, sont complexes, oscillant entre l’imposition d’une discipline dont le respect protège dans un certain sens la fillette, et l’admiration pour son courageux entêtement.

 Pour ne rien gâcher, le film a de l’humour. Lorsque Wadjda remporte le prix de récitation coranique, la directrice lui demande ce qu’elle fera des rials qu’elle a gagnés. La fillette annonce qu’elle va s’acheter une bicyclette, et provoque l’hilarité de ses camarades.

 « Wadjda » touche plusieurs de mes fibres : mon goût pour les films de femmes, mon intérêt pour la culture arabe et, naturellement, la bicyclette. Mais il est recommandable à tout spectateur, même s’il ne les partage pas : c’est un excellent film !